Suite de notre série sur Al-Nosra
- Naissance d’Al-Nosra
- Le double attentat du 23 décembre 2011
- Le conspirationnisme légitime
Billet 2/5 :
- Le “vrai boulot” d’Al-Nosra
- Quand les Américains font du “bon boulot” (non ironiquement)
- La Conférence de Marrakech “des amis du peuple syrien”
- Islamiste un jour, islamiste toujours ?
Billet 3/5 :
- Et Laurent Fabius fit son apparition
- Bonus : Notre ami Ahmad Moaz al-Khatib
- La propagande pro-Pouvoir ordinaire
Billet 4/5 :
- Le devenir d’Al-Nosra (et de la propagande chez nous…)
- 2011 : Amnistie Nationale
Billet 5/5 :
- [2017] Les fact-checkeurs entrent en scène
- Conclusion
IV. Le “vrai boulot” d’Al-Nosra
Le 10 février 2012, un nouveau double attentat frappa la Syrie, tuant 28 personnes et blessant 235 personnes à Alep (Source) :
Pourtant, le 12 février 2012, les premières informations fuitent (Source) :
Ainsi “La branche syrienne d’Al-Qaïda est probablement derrière les attentats“, mais on ne va pas trop le dire, car “cela donnerait du crédit aux accusations du Président Assad sur l’engagement d’Al-Qaïda dans la révolte“… Quand la Réalité s’oppose à nos envies, changeons la Réalité.
Mais ce qui est intéressant c’est que Le Monde a correctement (mais discrètement) relayé cette information très importante, sans pour autant en tirer les conséquences quant aux hypothèses conspirationnistes.
En effet, et contrairement aux sources suspectes de nos médias, les Américains ont eu de plus en plus de doutes légitimes (17 février 2012 ; Source) :
Al-Qaïda est probablement responsable des attentats suicides à la bombe perpétrés en Syrie, affirme le chef du renseignement américain
La branche d’Al-Qaïda en Irak a probablement commis récemment des attentats-suicides à la bombe en Syrie et a infiltré les forces de l’opposition luttant contre le régime du président Bachar al-Assad, a déclaré hier soir le chef du renseignement américain.
Les attentats à la bombe perpétrés à Damas et à Alep depuis décembre “avaient toutes les caractéristiques d’une attaque de type Al-Qaïda”, a déclaré James Clapper, directeur du renseignement national, au Comité sénatorial des services armés.
“Nous croyons donc qu’Al-Qaïda en Irak étend son influence en Syrie”, a-t-il dit.
Or, nous avons vu que la naissance du Front al-Nosra a été officiellement annoncée le 23 janvier 2012 dans une vidéo. Il apparaitra que dans celle-ci, Al-Joulani revendique l’attaque du 23 décembre 2011, comme l’indique l’universitaire Charles R. Lister (Source) :
Le 29 février, l’AFP indique (sans guère de reprise en France semble-t-il) que Al-Nosra a publié une autre vidéo revendiquant également les attentats des 6 janvier à Damas et 10 février à Alep (Sources : Now. et Michael Weiss & Hassan Hassan, État Islamique – Au cœur de l’armée de la terreur.) :
À ce stade, les choses sont donc relativement claires. Poursuivons.
Le 17 mars 2012, une attaque terroriste fait 27 morts à Damas (Source) :
Attaque revendiquée par Al-Nosra, comme l’indique le remarquable journal anglais The Telegraph (Source) :
Le 10 mai 2012, un attentat entraine 55 morts et 400 blessés à Damas – c’est le plus gros attentat depuis le début de la guerre civile (Source) :
Comme vous le voyez, le Conseil National Syrien n’hésite plus à formuler des affirmations dignes des pire thèses conspirationnistes :
Le Conseil national syrien (CNS), principale composante de l’opposition, a accusé le régime d’avoir mis en scène les attentats en plaçant des corps de victimes de la répression sur les lieux des attaques.
“Le régime vole ainsi les dépouilles de martyrs et les place sur les lieux des attaques”, a assuré le CNS.
On retrouve cette perle sur les “cadavres déplacés” dans au moins 7 grands médias français :
Rappelons de nouveau que c’est ce CNS que la France a reconnu comme seul représentatif du peuple Syrien trois mois auparavant… (Source)
Cette attaque est de nouveau revendiquée par Al-Nosra, comme l’indique The Telegraph (Source) :
Petite anecdote : si vous lisez l’article anglais, vous verrez qu’il ne parle que de la vidéo de revendication d’Al-Nosra. Il faut consulter la presse française pour voir évoquée constamment la thèse complotiste (Source) :
Le 29 mai 2012 sont retrouvés à Deir ez-Zor les corps non identifiés de 13 hommes, exécutés les mains liées dans le dos (Source) :
Les activistes antigouvernementaux parlent “d’ouvriers exécutés pour avoir refusé de cesser une grève” (par le Medef local peut-être ?)…
Le 5 juin, Al-Nosra revendique l’exécution (Source) :
Le 27 juin 2012, un groupe de rebelles attaque une télévision privée pro-gouvernementale au sud de Damas. Ils tuent quatre gardes et trois journalistes, puis détruisent la station à l’explosif (Source) :
Le 4 juillet, Al-Nosra revendique l’attaque, ainsi que celle de “dizaines de raids armés et d’attentats à la bombe – incluant des attaques suicides – dans des villes syriennes” (Source) :
Le 5 aout 2012, Al-Nosra annonce avoir exécuté après interrogatoire Mohammed al-Saeed, un présentateur très connu de la chaine publique, qu’ils avaient kidnappé deux semaines auparavant (Source) :
Le 3 octobre 2012, Al-Nosra revendique le jour même la série d’attentats qui frappe Alep, et qui a fait 48 morts et 122 blessés (Source) :
Le 21 novembre 2012, un commando suicide d’Al-Nosra, composé de Tchétchènes, attaque l’Hôpital Français d’Alep dans une voiture bourrée de 2 tonnes d’explosifs (Source) :
Nous arrêtons ici cette bien triste litanie (à lire ici ou là). Sachez simplement qu’au 13 décembre 2012, Al-Nosra a revendiqué 43 des 52 attaques suicides survenues depuis le début de la guerre (Source avec le détail) :
L’apparition d’Al-Nosra début 2012 apparaît assez clairement quand on observe le nombre de morts quotidien des deux premières années de la guerre en Syrie (Source) :
Notons enfin que la plupart des revendications d’Al-Nosra en 2012 n’ont pas été reprises dans la presse française – le public français (et apparemment aussi Laurent Fabius) a donc conservé le doute instillé le jour des attentats quant à la responsabilité réelle des attentats, et n’a guère entendu parler d’Al-Nosra…
À ce stade, nous disposons donc d’une idée du “boulot” d’Al-Nosra en 2012, qui aura marqué durablement les Syriens par sa violence et par sa totale absence de considération pour la vie des civils.
Nous allons dès lors nous intéresser aux réactions des gouvernements occidentaux.
V. Quand les Américains font du “bon boulot” (non ironiquement)
Étant donné que le Front al-Nosra a commis tout au long de l’année 2012 plus de 600 attaques, dont 40 attaques-suicides, le 11 décembre 2012, les États-Unis finissent enfin par classer ce groupe comme organisation terroriste, en indiquant même qu’il s’agit simplement d’un pseudonyme d’Al-Qaïda en Irak !
Ce même jour l’AFP et le Monde en informent correctement notre pays :
VI. La Conférence de Marrakech “des amis du peuple syrien”
En réalité, ce classement par les États Unis en ce jour précis du 11 décembre 2012 n’est probablement pas dû au hasard. En effet, s’est tenue le lendemain, à savoir le 12 décembre 2012 à Marrakech “La 4e Conférence de Marrakech des amis du peuple syrien” (sic.), réunissant une centaine de pays (Source).
Il est à noter que ce genre de grand-messe arabo-occidentale n’était pas une nouveauté. Il y avait eu un précédent avec la Libye l’année précédente – les peuples des pays que nous bombardons étant bien évidemment toujours nos “amis” :
“Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge !”
Mais revenons à la Syrie et à la réunion de décembre 2012 :
L’objectif principal de la réunion est la reconnaissance de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution comme seul “représentant légitime du peuple syrien” (point 13 des conclusions) (Sources : France 24 et RFI) :
Le fait que la plupart des combattants syriens – dont les extrémistes, comme Al-Nosra – aient rejeté, comme beaucoup de Syriens, cette coalition 3 semaines auparavant n’a pas eu l’air de gêner ces ministres quant à sa représentativité et à sa capacité d’action sur le cours de la guerre (Source) :
Pourtant des efforts avaient été faits à propos de cette Coalition, créée un mois auparavant à Doha sous l’impulsion de l’Occident et les pays arabes :
Pour Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient et professeur à l’université Lumière Lyon 2, « la coalition [est] dominée par les Frères musulmans, il n’est guère surprenant de voir à sa tête un de leurs compagnons de route (l’imam Mouaz al-Khatib), proche de leur idéologie, qui défend lui aussi l’islam politique ». Haytham Manaa, président du Comité national pour le changement démocratique, rejoint cette analyse et affirme : « Ce modéré, bien qu’il se dise indépendant, ne peut aller dans le sens contraire voulu par les conservateurs islamistes qui ont la mainmise sur cette coalition ». Selon Raphaël Lefèvre, doctorant en relations internationales à l’université de Cambridge, leur sens politique, leurs alliances et leur discipline, ont « donné aux Frères musulmans un rôle majeur, notamment au sein de l’opposition en exil, dans le Conseil national syrien (CNS) et, aujourd’hui, au sein de la coalition nationale. Alliés objectifs des djihadistes, les Frères musulmans, sans avoir nommément de brigades engagées en Syrie, y auraient également acquis un poids militaire en finançant, armant et entraînant plusieurs groupes dans les régions d’Idlib et d’Alep ». (Source)
Bref, l’Occident a décidé de reconnaître et de soutenir un comité non représentatif, noyauté par les Frères Musulmans, pour représenter son “ami”, le peuple syrien.
Les États-Unis, méfiants, ont alors demandé à cette Coalition de faire des efforts, et de prendre des “positions fermes contre les extrémistes”. Il est probable qu’ils aient décidé de tester ces nouveaux “alliés” avec son blacklistage d’Al-Nosra la veille (Source : Reuters) :
Ils ne vont pas être déçus de la réponse que va leur apporter Al-Khatib…
VII. Islamiste un jour, islamiste toujours ?
L’imam Ahmad Mouaz al-Khatib, chef fraichement adoubé de l’opposition syrienne, a très clairement répondu à l’appel du pied des Américains pour des “positions fermes contre les extrémistes”, lors de son discours d’ouverture – mais pas dans le sens attendu. Le fait qu’il était appuyé par les Frères Musulmans de Syrie n’y étant sans doute pas étranger… (Sources : Le Monde et Reuters)
Al-Khatabib a ainsi osé demander publiquement aux États-Unis de sortir “Al-Qaïda en Irak” de sa liste d’organisations terroristes ! Mieux :
Reuters : Al-Khatib a déclaré qu’il n’y aurait “aucune honte” si les rebelles syriens étaient guidés par des motifs religieux pour renverser Assad. “La religion qui ne libère pas son peuple et n’élimine pas la répression n’est pas une religion authentique “, a-t-il dit. “Le fait que le mouvement militaire ait des positions islamiques est globalement positif. Le djihad sur le chemin qui mène à Dieu a toujours été une motivation fondamentale pour les Droits de l’homme.“
Il est édifiant de voir les Frères Musulmans plaider pour le djihad, qui permettrait d’améliorer “les Droits de l’homme”, dans le cadre de leur projet “pour la Liberté et la Dignité humaine”… (lire ici pour avoir une source plus complète)