Lafarge en Syrie : le Quai d'Orsay retrouve doucement la mémoire
Par Ismaël Halissat
Libération
Dans une lettre envoyée aux juges d’instruction par l’ancien ambassadeur de France à Damas, Eric Chevallier, le Quai d’Orsay reconnait pour la première fois qu’un entretien a eu lieu à l’été 2012 avec les dirigeants de Lafarge.
Depuis près d’un an, les diplomates étaient catégoriques et affirmaient face aux enquêteurs que le Quai d’Orsay n’avait pas rencontré les dirigeants de Lafarge entre le mois de septembre 2011 et septembre 2014 pour évoquer la situation du groupe en Syrie. Cette période est au cœur des investigations de la justice française concernant l’activité de Lafarge et de son usine de ciment de Jalabiya dans le nord-est du pays, après des révélations du journal le Monde sur le financement par Lafarge – qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim – de plusieurs groupes armés, dont l’Etat islamique. Ces déclarations de la diplomatie française étaient contredites par l’ancien directeur adjoint de la multinationale, Christian Herrault, qui affirme que plusieurs réunions avaient été organisées. Dans une lettre envoyée aux juges d’instruction par l’ancien ambassadeur de France à Damas, Eric Chevallier, et consultée par Libération, le Quai d’Orsay retrouve pour la première fois la mémoire. Oui, une réunion a bien eu lieu à l’été 2012 avec les dirigeants de Lafarge.
« Je pensais que les responsables de Lafarge qui évoquaient l’existence d’entretiens se trompaient d’autant plus que les propos qui m’étaient attribués ne correspondaient en rien à ce que j’aurais pu dire », écrit le diplomate dans un courrier daté du 15 janvier 2018, reconnaissant pour la première fois qu’un « entretien a bien eu lieu, à l’été 2012 ». Cet envoi fait suite à la confrontation judiciaire organisée quelques jours auparavant entre Christian Herrault et Eric Chevallier. A ce moment, le diplomate était toujours catégorique, affirmant qu’il n’avait aucun « souvenir de ces rencontres » et que « le ministère a mené un travail de recherche dans ses archives et [qu’]il ne trouve pas trace de ces rencontres ».
Versement à des groupes armés terroristes
L’acharnement de la multinationale à poursuivre son activité dans ce pays en pleine guerre civile entre 2011 et 2014 est au cœur de l’enquête judiciaire ouverte en octobre 2016 après des révélations du Monde. Début décembre 2017, les deux directeurs successifs de la filiale syrienne – Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois –, ainsi que Bruno Lafont, ancien PDG du groupe, Christian Herrault, ex-directeur général adjoint, Eric Olsen, ancien DRH, et Jean-Claude Veillard, ancien directeur sûreté du groupe, ont été mis en examen pour « financement d’entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Des versements à des groupes armés terroristes, dont l’Etat islamique, ont effectivement été établis par un rapport d’expertise interne, confirmé depuis par les recherches des magistrats...