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8 mai 1945. Massacres à caractère génocidaire français à Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie.

par SLT 8 Mai 2018, 03:57 8 mai 1945 Sétif Guelma Algérie France Colonialisme Massacre De Gaulle Armée française Crimes contre l'humanité Articles de Sam La Touch

Alors que la France et les pays autrefois belligérants commémorent aujourd'hui la capitulation allemande du 8 mai 1945 marquant la fin de la Seconde guerre mondiale, l'histoire ne doit pas oublier que ce jour symbolique fut aussi le théâtre de massacres français à caractère génocidaire dans la colonie française d'Algérie, à Sétif, mais aussi Guelma et Kherrata.

8 mai 1945. Massacres à caractère génocidaire français à Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie.

Pour en finir avec le 8 mai 1945 et les fours crématoires : Les Oradour-sur-Glane algériens
Par Chems Eddine Chitour
Expression.dz

« Veuillez transmettre aux familles des victimes de l'agression de Sétif la sympathie du général de Gaulle et du gouvernement tout entier. Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l'Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d'une minorité d'agitateurs. Veuillez affirmer que la France garde sa confiance à la masse des Français, musulmans d'Algérie. »

Télégramme du général de Gaulle, au gouverneur de l'Algérie le 10 mai

Voilà ce qu'écrivait Charles de Gaulle à propos du génocide des Algériens en mai 1945. Je ne suis pas sûr qu'il s'adressait aux familles des Algériens et de fait il ne s'adressait en fait qu'aux Français d'Algérie et donnant des instructions fermes au gouverneur de mater la rébellion.



La réalité de la révolte

On sait que le 8 mai 1945 fut pour les Alliés une fête. Celle de la fin de la guerre, de la reddition de l’Allemagne, du suicide d’Hitler. Cette fête vécu en Europe et aux Etats Unis et dans les colonies notamment chez les colons en Algérie fut un jour sombre pour les vaincus mais aussi un jour à marquer d’une pierre noire pour les Algériens qui connurent à partir de cette date, le pire des massacres de masse et pour reprendre le mot inventé par Raphaël Lemkin, de génocide. La curée dura plusieurs mois et on vit une coalition des colons qui quelques mois plus tôt, étaient tous adeptes du maréchal Pétain, devenir nationalistes, gaullistes et faire assaut de patriotisme en cassant de « l’Arabe » .

Mieux encore l’armée qui avait une revanche à prendre sur l’histoire , elle qui a été défaite d’une façon honteuse en trois semaines par la Wehrmacht se défoula sur des pauvres hères qui, pensant que le 8 mai c’était aussi celui de la délivrance du colonialisme, défilèrent en brandissant à Sétif -épicentre de la révolte- un drapeau algérien.

« Le 8 mai 1945 signifie en Europe la fin du nazisme. Il correspond aussi à l'un des moments les plus sanglants de l'histoire nationale. La répression colonialiste venait d'y faire ses premiers accrocs face à une population farouchement déterminée à se promouvoir aux nobles idéaux de paix et d'indépendance. Faim, famine, chômage et misère semblaient résumer la condition sociale de la population musulmane algérienne colonisée par la France, (...) La fin de la Seconde Guerre mondiale, où pourtant 150.000 Algériens s'étaient engagés dans l'armée aux côtés de De Gaulle. Cela pour les Européens. « On a tiré sur un jeune scout » ! Ce jeune « scout » fut le premier martyr de ces incidents : Saâl Bouzid, 22 ans, venait par son souffle d'indiquer sur la voie du sacrifice la voie de la liberté. » (1)

John Eric MacLean Carvell, consul général britannique à Alger, envoie de nombreux rapports à l'ambassadeur à Paris. Une note du 23 mai résume ainsi « la cause de la révolte » : « Un policier français a perdu la tête. Je suis certain qu'autant de sang n'aurait pas coulé si les militaires français n'avaient pas été aussi impatients de perpétrer un massacre (...). » (2)

 

Les massacres de masse

La répression fut terrible au départ des colons qui, pour la plupart ont donné libres cours à une haine accumulée qui s'est matérialisée contre les faibles : Par un télégramme daté du 11 mai 1945, le général de Gaulle ordonne l'intervention de l'armée sous le commandement du général Duval qui mène une répression violente contre la population indigène. La marine y participe grâce à son artillerie, ainsi que l'aviation. Le général Duval rassemble toutes les troupes disponibles, Ces troupes viennent de la Légion étrangère, des tabors marocains qui se trouvaient à Oran, une compagnie de réserve de tirailleurs sénégalais d'Oran, des spahis de Tunis, et les tirailleurs algériens. La répression, menée par l'armée et la milice de Guelma, est d'une très grande violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas. Le croiseur Duguay-Trouin et le contre-torpilleur Le Triomphant, tirent plus de 800 coups de canon depuis la rade de Bougie sur la région de Sétif. L'aviation bombarde et rase des agglomérations kabyles. Une cinquantaine de « mechtas » sont incendiées. Les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et elles tirent à distance sur les populations. »(3)

« À la colère légitime des Algériens, la réponse du gouvernement français, dans lequel se trouve, mais oui, le PS et le PC, aux côtés de De Gaulle, ne s'est, en tout cas, pas fait attendre en mobilisant toutes les forces de police, de gendarmerie, de l'armée, en envoyant des renforts de CRS et de parachutistes, et même en recrutant des miliciens, qui ne se gênent pas de fusiller des Algériens de tous âges et sans défense. » L'armée française avait planifié l'extermination de milliers d'Algériens. (...) Dès lors, des camions de type GMC continuaient à charger toute personne qui se trouvait sur leur passage. Les milliers d'Algériens furent déchargés depuis les bennes des camions au fond des gorges de Kherrata. Des hélicoptères dénommés « Bananes » survolaient les lieux du massacre pour achever les blessés. Une véritable boucherie humaine allait permettre, plus tard, aux oiseaux charognards d'investir les lieux. Avec la venue de l'été, la chaleur monte... et l'odeur de la mort. Vers Guelma, faute de les avoir tous enterrés assez profond ou brûlés, trop de cadavres ont été jetés dans un fossé, à peine recouverts d'une pelletée de terre. Les débris humains sont transportés par camion. Le transport est effectué avec l'aide de la gendarmerie de Guelma pendant la nuit. C'est ainsi que les restes des 500 musulmans ont été amenés au lieu dit « fontaine chaude » et brûlés dans un four à chaux avec des branches d'oliviers. » (1)

« La répression se met en place, les tirailleurs sénégalais sont mis à contribution. Des centaines de FFI de la Creuse sont acheminés en Algérie et un pont aérien est mis en place, sans parler des contingents de « Képi Blancs » venant de Sidi Bel Abbès. Les P-38 et B-26 font plus de 300 sorties de bombardements et de mitraillage sur les mechta des « rebelles » On sait tous que la « pacification » continuera encore plusieurs jours, donc le décompte à ce moment-là est loin d'être définitif et fiable. »(4)

« La répression prend fin officiellement le 22 mai. L'armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en choeur : ' Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien '. Des officiers exigent la soumission publique des derniers insurgés sur la plage des Falaises, non loin de Kherrata. Certains, après ces cérémonies, sont embarqués et assassinés. Pendant de longs mois, les Algériens musulmans qui, dans les campagnes, se déplaçaient le long des routes continuèrent à fuir pour se mettre à l'abri, au bruit de chaque voiture. » (1)

« Des hommes de tous âges, des femmes aussi, furent ainsi conduits dans un de ces endroits, le lieu-dit Kef El Boumba, et aux fours à chaux de la ferme de Marcel Lavie où de nombreux corps furent incinérés. « 500 corps de musulmans fusillés ». Des prisonniers italiens qui travaillaient pour ce colon avaient brûlé les cadavres dans des bûchers en bois d'oliviers. » (5)



La conspiration du silence des médias unanimes

Les Algériens n'eurent pas de chance !! Tout le monde se ligua contre eux, même les prisonniers allemands et italiens qui participèrent au massacre armés par les colons. On sait que tout le spectre politique a fait l'unanimité. N'est-ce pas le ministre communiste de la Défense qui donna l'ordre de bombarder les dechras, douars, avec les avions américains. Même la presse mit un black-out à ces événements. Le 12 mai, L'Humanité appelle à 'châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute '' » Rien ne doit troubler la fête de la victoire. Cette omerta dura longtemps après tout. Il n’y avait pas de presse objective, il n’y avait pas de parti , il n’y avait pas d’organisation syndicales pour décrire l’horreur et dire leur déni de ces actes barbares : Il ne s’agissait après tout que d’indigènes et la dignité humaine ne s’applique pas à eux. De plus tout ce beau monde misait sur la rapidité de la punition, la non divulgation des meurtres de masse et l’oubli.

Comme l'écrit le journaliste Salah Guemriche qui rapporte une contribution de quelqu'un qui était sur les lieux, contribution qui fut en son temps et même pendant longtemps après les massacres de masse, systématiquement refusée : « Durant des décennies écrit-il, depuis 1985 (40e « anniversaire »), cette tribune avait, dans une version courte, été proposée à plusieurs journaux français. Aucun n'en avait voulu. Pour cause 'd'actualité surchargée'' ou, m'écrivit deux années de suite la rédaction-en-chef du Monde, parce que 'le sujet avait déjà été traité plusieurs fois.(sic) Pour les médias d'alors, il ne faisait aucun doute qu'à l'origine de ces émeutes il y avait la sécheresse et la famine. Aucun journal n'eut l'idée de mener sa propre enquête. C'est ainsi que l'opinion publique accueillit sans états d'âme la version gouvernementale du ' complot antirépublicain'', une thèse qui faisait fi des faits établis, même partiellement, par le rapport du général Tubert : la mission du même nom, rappelée trop tôt à Paris par le général de Gaulle, n'aura pas l'occasion d'entendre Marcel Reggui, ni de lire sa scrupuleuse enquête, menée à chaud, sur la répression aveugle. » (6)

Salah Guemriche nous présente justement, ce témoin privilégié de cette folie meurtrière : « Mahmoud-Marcel Reggui, né en 1905 à Guelma, était un Français « d'origine musulmane. » L'homme était peu suspect de nationalisme, et croyait sincèrement aux vertus de l'assimilation. Son enquête, d'une minutie impressionnante, restera durant soixante ans au fond d'un tiroir, avant d'être exhumée en 2006 par Pierre Amrouche. Pourquoi si tard ? » « A l'origine des massacres, confirme l'enquête, fut cette marche pacifique et sans armes (contrairement à ce que soutiendra la presse, de concert avec la rumeur) qui se déroula le jour même des célébrations de la victoire sur le nazisme : ' Il était 18h quand le cortège s'ébranla... Partis de la ville haute, (les manifestants) se dirigeaient vers le monument aux morts pour y déposer plusieurs gerbes de fleurs. Ils arboraient les drapeaux des Alliés, de la France, de l'Algérie autonome et des pancartes : Vive la démocratie ! '' Vive l'Algérie ! ; Libérez Messali ! ; Vive la Charte de l'Atlantique ! ; A bas le colonialisme ! ''. »

Salah Guemriche nous décrit la chape de plomb de l’information si ce n’est de se liguer contre ces épaves humaines en mettant en œuvre la théorie du complot contre la République : « Ces slogans n'apparaîtront dans aucun compte-rendu de presse, et seront ignorés par la classe politique, à gauche comme à droite : on insistera plutôt sur la présence d' 'agitateurs arabes'' (Libération, 12 mai 1945), des ' milices vichyssoises'' (L'Humanité, 16 mai), alors que le Parisien libéré (17 mai), entre un article de Vercors (Après la victoire, le combat contre soi-même'') Le 15 mai, sous le titre Les troubles d'Algérie, le journal La Croix évoque des 'difficultés de ravitaillement chez les tribus berbères frustes et misérables''. (...). Les résistances rencontrées par le documentariste Mehdi Lallaoui, tout au long de son travail d'investigation, en disent long sur l'entreprise d'occultation et le fameux malaise qui a grevé l'inconscient collectif de trois générations de journalistes et d'intellectuels connus par ailleurs pour leurs engagements humanitaires et leurs exigences d'un devoir de mémoire sans frontières. »(6) Même le journal Le Monde reprit en déformant les informations du journal La Croix :

« Le souvenir de ces massacres avait, certes, de quoi troubler durablement les consciences. Pour la simple raison que notre 8 mai 45 a le ' tort ' d'avoir eu lieu le 8 mai 45 : le jour même où la France et les Alliés fêtaient leur victoire sur la barbarie nazie ! Or, que nous disent les témoins de Marcel Reggui ? Que du soir au matin, à l'annonce de la visite du ministre de l'Intérieur, Adrien Tixier (qui n'aura lieu que le 26 juin), ' on empilait dans les fours à chaux (des minoteries Lavie, à Héliopolis, près de Guelma) les corps (déterrés) des fusillés... Pendant dix jours, on brûla sans discontinuer. L'odeur à la ronde était insupportable. Il suffit d'interroger les habitants de l'endroit. C'est pour cette raison que nous n'avons jamais pu retrouver les corps de ma soeur et de mon frère cadet.. » (6).

 

Le nombre de suppliciés morts sans sépulture

Aucun chiffre ne peut être établi s’agissant des victimes algériennes le chiffre allant de 1000 à 80.000. Par contre on connait le nombre et l’identité des victimes européennes : « Le nombre de victimes ' européennes ' est à peu près admis et s'élève officiellement à 102 morts et 110 blessés (rapport officiel de la commission Tubert de 1945). Le gouverneur général de l'Algérie fixa par la suite le nombre des musulmans tués à 1165 et 14 soldats,4500 arrestations, 89 condamnations à mort dont 22 exécutées. Par la suite, André Prenant, géographe spécialiste de la démographie algérienne, se rendant sur les lieux en 1948, fixe le nombre de victimes à 20.000. Le professeur Henri Aboulker avait à l'époque estimé le bilan proche de 30.000 morts. Le consul général américain à Alger de l'époque a établi le nombre de victimes indigènes par la répression de l'armée à 40.000. » (7)

« Le général Tubert, parle de sanglante répression aveugle'' (qu'il considère) comme une erreur aveugle. La raison d'Etat, la commodité d'une répression aveugle et massive permettant de châtier quelques coupables parmi les milliers d'innocents massacrés, l'immunité de fait'' couvrant, par exemple, le sous-préfet Achiari qui, plusieurs jours après le 8 mai 1945 à Sétif..., fit délibérément arrêter et fusiller, sans autre forme de procès, des musulmans... dont les familles réclament en vain une enquête, un jugement ou une simple explication. » (7)


Les massacres du 8 mai 1945 : des centaines d’Oradour sur Glanes

Ce n'est pas entretenir une concurrence des mémoires que de faire, au moins, un parallèle entre ces massacres et ceux commis par l'armée d'occupation allemande, des habitants du village français d'Oradour-sur-Glane Rappelons que la Division Das Reich tua 642 personnes après les avoir enfermées dans une église le 10 juin 1944. Les devoirs de mémoire ne doivent pas être pour autant convulsifs. Il ne s'agit pas de réécrire l'histoire, mais de faire le rappel que la présence coloniale de la France en Algérie a généré des dérives et des atrocités.

Lors de la commémoration de cet évènement en septembre 2013 le président Hollande déclare « Vous êtes la dignité de l'Allemagne d'aujourd'hui, capable de regarder en face la barbarie nazie d'hier, a lancé le président français à son homologue allemand. Le président allemand Joachim Gauck venu participer à la commémoration déclare : « Je vous regarde, monsieur Hollande, je regarde les familles des victimes assassinées, je voudrais tous vous remercier au nom des Allemands de venir au-devant de nous avec cette volonté de réconciliation. Je ne l'oublierai jamais. (...) Si je regarde dans les yeux ceux qui portent l'empreinte de ce crime, je partage votre amertume par rapport au fait que des assassins n'ont pas eu à rendre de comptes ; votre amertume est la mienne, je l'emporte avec moi en Allemagne et je ne resterai pas muet. » (8)

En Algérie la reconnaissance de ces crimes contre l'humanité se fait à dose homéopathique après les paroles de l'ambassadeur de la France en 2005, le gouvernement Hollande nous propose un ersatz de reconnaissance des crimes de la République française le secrétaire d'État aux Anciens Combattants Jean-Marc Todeschini qui a participé le 19 avril 2015 aux commémorations des massacres : « En me rendant à Sétif, je dis la reconnaissance par la France des souffrances endurées et rends hommage aux victimes algériennes et européennes de Sétif, de Guelma et de Kheratta. » Ce n’est ni suffisant ni honnête !

Pourquoi les Etats-Unis ont eu le courage de regarder le Vietnam en face ? C'est tout le bréviaire de la colonisation qui est en accusation. Des Oradour -sur- Glane l'Algérie en a connu, des milliers, les plus tragiques eurent justement lieu en mai- juin 1845 avec les tragiques et inexcusables 'enfumades'' du Dahra ; des bouchers s'illustrèrent. Ils devinrent même maréchaux de France à l'instar de Saint Arnaud dont Victor Hugo a pu dire pour le décrire : « Il avait les états de service d'un chacal. »

Du fait que ces faits sont imprescriptibles on se prend à rêver d'un tribunal qui rendrait justice aux morts et qui apporterait la paix aux vivants. Un tribunal à l'instar de ce que font les chasseurs de nazis, qui ont arrêté Klaus Barbie, fait condamner à 10 ans de prison le triste Maurice Papon qui eut une responsabilité dans la déportation des juifs. Le même Papon qui ne fut pas jugé pour le massacre des Algériens quinze ans plus tard en tant que préfet de Paris le 17 octobre 1961 . Souvenons du fameux slogan : « Avec Papon plus de ratons ».

A quand un tribunal qui jugerait même à titre posthume les Bigeard, les Achiary, les Bugeaud, tous les Aussarresses qui ont martyrisé l'Algérie. A quand un tribunal type Russel et, où sont les Klarsfeld algériens capables de poursuivre les criminels de guerre même si leur gouvernement les a absous ?

On pense que la révolution de 1954 a commencé en 1945, ceci pour conforter la phrase du boucher du Constantinois le général Duval : « Je vous ai donné pour dix ans. » La révolution de Novembre 1954 a commencé le 5 juillet 1830. En l'occurrence tout reste à faire pour l'apaisement qui passe par la reconnaissance de ces crimes contre l'humanité. Les Algériens sont moins intéressés par des dédommagements que par une reconnaissance du fait que la colonisation fut abjecte inhumaine et qu’elle ne fut pas, loin s’en faut, une œuvre positive

Ces mots simples de Simone Veil résument mieux que mille discours la réalité et l’ignominie de la colonisation. « Je n'oublierai jamais le moment où, pour la première fois, j'ai senti et compris la tragédie de la colonisation. [...] Depuis ce jour, j'ai honte de mon pays. Depuis ce jour, je ne peux pas rencontrer un Indochinois, un Algérien, un Marocain, sans avoir envie de lui demander pardon. Pardon pour toutes les douleurs, toutes les humiliations qu'on lui a fait souffrir, qu'on a fait souffrir à leur peuple. Car leur oppresseur, c'est l'Etat français, il le fait au nom de tous les Français, donc aussi, pour une petite part, en mon nom. » Tout est dit.
 

1. https://rebellyon.info/8-Mai-1945-Massacre-de-Setif

2. http://www.slideshare.net/Lepointfr/setif

3. Le 8 mai 1945 Encyclopédie Wikipédia

4. http://www.forcesdz.com/forum/viewtopic.php?f=15&t=81

5. http://www.aps.dz/fr/algerie/5556-les-m... A9-juriste

6. https://blogs.mediapart.fr/salah-guemriche/blog/060516/le-8-mai-1945-guelma-et-la-presse-francaise-de-lepoque

7. http://www.legrandsoir.info/8-MAI-1945-L-horreur-coloniale-et-le-rituel-politicien.html

8. http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/09/04/oradour-sur-glane-poignee-de-main-symbolique-entre-hollande-et-gauck_3471143_823448.html

Article de référence : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/241676-les-oradour-sur-glane-algeriens.html

 

Le 8 mai de Sétif dans le trou noir des commémorations françaises

Abla Merzougui Lahket et François Charles (21 mai 2014)
L'Autre Afrique

Le 8 mai 1945, l’armée française mitraille à Sétif, un manifestant porteur d’un drapeau algérien et poursuivra sa répression durant deux mois. Entre 30 000 et 45 000 victimes !

C’était il y a 60 ans.

Ce 8 mai 2014 en France, comme lors de tous les autres « 8 mai » depuis 1945, on aura entendu les discours convenus des uns et des autres sur la signature de l’armistice, sur l’instauration de la paix consécutive à la capitulation de l’Allemagne Nazie, sur la paix qui dure…

A propos de Sétif ? Non. Toujours rien.

Par ailleurs, la France immergée les élections européennes, nombreux ont été ceux qui, contre les « eurosceptiques », ont sauté sur cette commémoration pour saluer la sixième décennie de paix en Europe.

A cette occasion, Jean François Copé (1)s’emballant, assène même: « certains aujourd’hui, voudrait nous faire revenir en arrière, nous faire sortir de l’Europe et de l’Euro et revenir au France…et pourquoi pas aux sesterces ? » . Il faisait ainsi écho au président François Hollande lui-même qui, fustigeant les mêmes, affirmait de son côté que: « sortir de l’union européenne serait sortir de l’histoire »

L’histoire, l’histoire, l’histoire…Mais qu’ont-ils donc, ces dirigeants politiques français à toujours convoquer l’Histoire aux rendez-vous de leurs argumentaires particuliers ?

Coutumiers du fait ? Oui, sans aucun doute. Qu’on se souvienne. C’est sous la présidence de Jacques Chirac qu’a été soumise au parlement et votée, une loi dont l’intitulé portait en lui seul tout son programme : » Loi française du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Cette loi, même si un alinéa particulièrement honteux fut jugé inconstitutionnel et finalement retiré (2), a finalement consacré l’idée que la colonisation avait beaucoup apporté aux populations qui en avaient été victimes, et aussi que « les manuels scolaires reconnaitraient le rôle positif de la colonisation française ».

Dans cette lamentable affaire, seul Dominique De Villepin, premier ministre d’alors, se sera intelligemment démarqué en déclarant que : » ce n’est pas aux politiques, ce n’est pas au Parlement d’écrire l’Histoire ou de dire la mémoire. C’est la règle à laquelle nous devons être fidèles. (…) Il n’y a pas d’histoire officielle en France ». Et pourtant…

On se souviendra aussi de l’inénarrable Sarkozy, en Afrique, ânonnant un discours écrit par son scribe de l’époque (3) et assénant, du haut d’une chaire de l’université Cheik Anta Diop de Dakar, à un parterre d’universitaires sénégalais estomaqués, que : « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire… » (4)

En marge de cette instrumentalisation absurde c’est encore Michèle Alliot-Marie qui tient la corde. Toujours à propos du débat parlementaire sur « l’aspect positif de la colonisation » elle ira, en cours de session, jusqu’à déposer un projet de loi signifiant rien moins que : » la reconnaissance de l’oeuvre positive de nos compatriotes sur ces territoires est un devoir pour l’Etat français ». La découverte ultérieure de ses liens, « très resserrés », avec la famille Ben Ali en disent désormais beaucoup plus long sur sa pensée…

En ce moi de mai 1945, à Sétif comme partout ailleurs dans l’empire, le sentiment qui domine est le refus légitime de l’occupation française et de la colonisation. En Algérie circulait déjà, en février 1943, un Manifeste du Peuple Algérien, rédigé par Ferhat Abbas, réclamant une « Constitution égalitaire entre race et religion pour le peuple algérien. » Exigence complétée au mois de juin suivant par un additif réclamant cette fois, la création d’un Etat algérien dès la fin de la guerre.

Le 8 mai 1945, la revendication d’indépendance plus actuelle que jamais, l’AML (amis de la liberté) de Ferhat Abbas, conjointement avec le PPA (parti populaire algérien) interdit depuis 1939 et dont le leader Messali Hadj est emprisonné, organisent une manifestation. Environ 10 000 personnes répondent à l’appel et manifestent dans les rues de la ville. La manifestation est tolérée « à l’exception de slogans anti-coloniaux ». Des banderoles apparaissent pourtant où est inscrit « Vive l’Algérie indépendante! » puis un drapeau algérien, totalement interdit, est soudainement brandi par un manifestant aussitôt mitraillé par les militaires français. L’indignation est immense et de Sétif à Guelma, Kherrata, Bejaïa…c’est un véritable soulèvement qui se fait jour. Dans les troubles, des colons européens seront tués.

La réaction de l’état français sera d’une indicible férocité. Le gouvernement, d’Union Nationale, présidé par le général De gaulle envoie l’armée pour de véritables opérations de guerre : un acheminement massif de renforts terrestres, les croiseurs de la marine qui pilonnent les villes côtières, 28 avions de combat bombardent qui bombardent les villages et les villes de Guelma, Djillelli, Kherrata… détruisant pas moins de 44 villages. L’état des villes algériennes martyrisées est ainsi comparable à celui des villes bombardées, sur le continent européen, peu de temps auparavant : centre-villes dévastés, quartiers rasés, spécialement les quartiers populaires littéralement réduits en cendres.

C’est une terreur sans nom qui règnera ainsi sur toute la région jusqu’à la fin de l’été 1945, organisée par la police et l’armée d’une part, mais aussi par des milices civiles de colons. Les actions de « représailles », les destructions, les pillages, les crimes de masse, les incendies de maisons, de villages…se poursuivent ainsi sans aucune retenue.

Est-ce donc ceci que les législateurs français, à l’Assemblée Nationale, jugeaient digne de » la reconnaissance de la Nation » (intitulé de la loi) et dont « les manuels scolaires reconnaitraient le rôle positif de la colonisation française » ?

Les agissements « positifs » de la république française ne resteront pas circonscrits au seul sol algérien. Les troupes « libératrices » s’illustreront aussi contre les populations soulevées à Casablanca en 1947, juste après une sanglante répression à Haiphong en 1946, en Côte d’Ivoire en 1949 aussitôt après l’incroyable épisode de Madagascar…

Madagascar ou le pire crime colonial le plus méconnu.

Le 29 mars, 2000 manifestants investissent un camp militaire de l’armée française, cantonnée là avant de partir à destination du Vietnam où la France fait déjà la guerre contre le Vietminh. L’affreuse ironie de l’histoire voudra que des militaires victimes des assaillants soient eux-mêmes africains puisqu’il s’agissait de tirailleurs sénégalais. Après avoir éliminé les officiers, les insurgés, neutralisent le camp avec le soutien de la population locale. Cette action paraît concertée dans la mesure où, en même temps, dans le sud de l’île, se produisent des faits similaires.

Dès le lendemain, la réponse française est indescriptible. Une répression tous azimuts! Tous les habitants du village de Moramanga, sans distinction, sont massacrés, les cadavres amoncelés s’entassent à même le sol par centaines. L’agglomération est brûlée et réduite à néant.

La méthode « Sétif » se met en place : massacres et terreur de masse. Elle est ensuite, appliquée à toute la sous-région. Durant pratiquement deux ans, l’horreur est à son comble. Les militaires français allant jusqu’à embarquer des otages dans leurs avions pour les précipiter vivants, en vol, sur leurs propres villages, « pour servir d’exemple à ceux d’en bas ». A Fianarantsoa des prisonniers sont abattus froidement dès leur arrestation. On tue par centaines dans des caves, dans les prisons, dans les bâtiments publics réquisitionnés…les incendies de villages, les pillages, les meurtres de masse se poursuivront pendant plus de 20 mois.

Hommes, femmes et enfants, l’armée française tuera ainsi près de 90 000 personnes ! (5)

A Paris et dans la métropole, durant ce temps, nul soutien tangible à ces populations victimes de lutter pour leurs droits élémentaires d’êtres humains et le droit fondamental à disposer d’eux-mêmes.

Pire, ceux qu’on aurait pu penser agir en leur défense les condamnent ! En effet, au moment des meurtres de masse en Algérie, ce gouvernement d’Union Nationale compte des ministres de gauche (6) qui, à l’unisson de leurs collègues, condamneront….les algériens !

Dès le 12 mai, le Parti Communiste Français publiait un communiqué sans équivoque: « Il faut tout de suite châtier, impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute, au nom de la défense de la république française, métropole et territoires d’outremer, une et indivisible. »

Puisé dans la même veine, De Gaulle, avait immédiatement demandé de « prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer les agissements d’une minorité d’agitateurs. » On sait ce qu’il advint de son »souhait »…

Le 11 juillet, à la tribune de l’Assemblée Nationale, on verra encore le porte-parole du PCF, Etienne Fajon, revenir à la charge et déclarer : « Les tueries de Guelma et de Sétif sont la manifestation d’un complot fasciste qui a trouvé des agents dans les milieux nationalistes » .

Le socialiste Chataigneau (7), pour sa part, commandant lui-même sur place, n’était évidemment pas en reste.

Force est de constater que, s’agissant de l’Algérie, cette Union Nationale se poursuivra jusqu’au plus fort de la guerre de libération qui verra un certain François Mitterrand, alors ministre de l’intérieur du gouvernement socialiste, déclarer en 1956, à l’intention des indépendantistes algériens : « La seule négociation, c’est la guerre! » et qui verra aussi les députés du groupe communiste à l’Assemblée Nationale voter le 12 mars 1956, les « pouvoirs spéciaux » au socialiste Guy Mollet, l’autorisant à intensifier la guerre et ouvrant l’épisode sanglant dit de « la bataille d’Alger ».

Une période bien noire dans les pays colonisés, où pour cause d’Union Nationale dans les pays colonisateurs, les patriotes, les nationalistes, les indépendantistes…ont été, non seulement bien seuls, abandonnés à leur sort, mais aussi insultés et assassinés.

A la lumière de cette « histoire » là, pourtant bien française, on comprend mieux la géométrie variable donnée aux commémoration et l’amnésie collective qui fait tant de trous dans la mémoire nationale.

Abla Merzougui Lahket et François Charles

1/ Jean François Copé, premier secrétaire de l’UMP. France Inter mardi 20 mai 2014

2/ Alinéa 2 de l’article 4

3/ Henri Guaino, conseiller spécial du président Sarkozy

4/ Nicolas Sarkozy 26 juillet 2007, Université Cheik Anta Diop, Dakar.

Integralité du « discours de Dakar » sur : www.lemonde.fr/afrique

5/ Les historiens s’accordent aujourd’hui sur 89 000 victimes des massacres

6/ Dans le cadre de la politique de « Reconstruction Nationale », le Général De Gaulle ouvre son gouvernement, en 1945, aux forces de le gauche française en nommant notamment des ministres communistes.

7/ Chataigneau se réclamait lui-même de la SFIO

Le 8 mai de Sétif dans le trou noir des commémorations françaises (L'Autre Afrique)

Mai 1945 : de la récurrence des massacres coloniaux à la filiation de la rupture de Novembre 1954
Par Abdelmadjid Merdaci
El Watan

Mai 1945 : de la récurrence des massacres coloniaux à la filiation de la rupture de Novembre 1954 (El Watan)
 

La date du 8 mai 1945 est l’une des rares, inscrite au calendrier des fêtes légales en Algérie, qui fasse l’objet d’un rappel des crimes de la colonisation française par le régime algérien et l’évocation, par le président algérien, de «fours à chaux» à l’occasion d’une cérémonie commémorative, à Sétif, avait suscité émotion et polémiques en France.

C’est aussi à l’université Ferhat Abbas de Sétif – arrêté lors des événements et suspecté d’en être l’inspirateur – que l’ambassadeur de France en Algérie, Colin de Verdière, esquisse les premiers pas vers la prise en compte de ce qu’il avait qualifié de «tragédie inexcusable» alors que son successeur en déplacement, pour sa part, à Guelma, faisait état «d’épouvantables massacres à Sétif, Guelma et Kherrata» et affirmait ceci : «Aussi durs que soient les faits, la France n’entend pas, n’entend plus les occulter.

Le temps de la dénégation est terminé.» C’est enfin à Sétif que le secrétaire d’Etat français, chargé des Anciens combattants, en compagnie de son homologue algérien, rend hommage à la mémoire des victimes, confirmant la position singulière de la ville et de sa périphérie dans ce qu’il est convenu de désigner comme le contentieux mémoriel algéro-français.

Qualifiées de «petits pas» par ceux qui s’en félicitent, ces démarches françaises – en terre algérienne, faut-il le souligner — ne mettent pas fin, pour autant, au déni français de l’extrême violence de la colonisation de l’Algérie. En quoi les massacres des journées de mai 1945 se distinguent-ils de tous ceux commis par l’entreprise coloniale tant à ses débuts qu’au cours de la guerre d’indépendance ?

Le bilan formellement retenu par le récit institutionnel algérien de 45 000 victimes est contesté particulièrement par des historiens et des publicistes français tentés par le cours révisionniste, qui retiennent une fourchette entre 1500 et 8000 victimes – bien moins que les 15 000 admis par la commission Tubert – et focalisent plus sur les 103 victimes européennes.

Les massacres de mai 1945 avaient eu vertu de rappel des mémoires blessées de la conquête, d’un désir affiché d’extermination des populations autochtones, et plus particulièrement d’un dévoilement de la nature de la colonisation française qui s’affichera encore, à peine dix ans plus tard, dans le Nord constantinois.

Le bilan avancé par le FLN de 12 000 victimes algériennes de la répression qui avait suivi l’offensive du 20 août 1955 dans le Nord constantinois aura soulevé moins de controverses, même si l’accent est volontairement mis par les médias et les publicistes français, sans surprise, sur les 71 victimes civiles et militaires des opérations du FLN-ALN.

La quasi-refondation de la résistance armée et de ses projections politiques consacrées par le Congrès de la Soummam d’août 1956 peut être légitimement considérée comme la réplique décisive à l’offensive stratégique d’août 1955, et notamment à l’ampleur des massacres qui s’en suivirent, tout comme il convient de tenir qu’il y a un avant et un après mai 1945 dans l’histoire politique, la culture et l’imaginaire algériens.

Ces massacres sont entendus comme une démarche politique délibérée de l’Etat colonial au-delà même des controverses ou des lectures contradictoires qu’ils continuent de susciter et appellent encore les éclairages de la recherche historique et anthropologique.
Cette notion de massacres scande, faut-il le souligner, la soumission quotidienne de la société algérienne dans tous ses démembrements aux violences coloniales multiformes, aux discriminations, aux atteintes à l’intégrité des personnes et aux spoliations de tous ordres dont le code de l’indigénat n’est qu’une formulation indicative.

L’ampleur des massacres de mai 1945 doit-elle ainsi être entendue au-delà du seul décompte des victimes et il faudra notamment y intégrer les séances d’allégeance collective ordonnées par les autorités militaires aux populations de la région, les arrestations massives et les procès expéditifs.

Le congrès de Belcourt de février 1947, marqué notamment par la création de l’Organisation spéciale (OS) en charge de la préparation de la lutte armée, paraît ainsi s’inscrire en résonance de mai 1945 et les massacres de ces journées – on peut rappeler la thèse inédite de Jean-Pierre Peyroulou sur les massacres de Guelma et sa région – ont-ils accouché ou relégitimé des nouvelles générations militantes, pour l’essentiel acquises à l’idée de l’indépendance avancée dès 1927 au congrès de Bruxelles par Messali Hadj au nom de l’Etoile Nord-africaine.

La littérature algérienne a peu pris en compte l’événement – on peut citer l’ouvrage précoce de Redouane Aïnat Tabet(1) ou la thèse de Boucif Mekhaled(2) – confortant la liturgie du récit institutionnel et validant une filiation quasi mécanique des acteurs de la rupture de Novembre 1954 qui demande encore examen. Des indications sont disponibles de la volonté des autorités coloniales de décapiter un mouvement dont elles appréhendaient la montée en puissance, qui n’épuisent pas la complexité des processus de cristallisation d’une culture algérienne de contestation de l’ordre colonial, y compris par le recours à la violence.

 

Trois basculements

Le transfert de l’objectif de l’indépendance du champ politique français à une Algérie encore subjuguée par le centenaire de l’occupation et en quête d’égalité de droits civiques et politiques s’est-il sans doute engagé le 2 août 1936 lors du meeting du stade municipal – «Cette terre n’est pas à vendre, elle a ses héritiers»(3), clamait Messali Hadj – qui allait inscrire un autre destin possible pour l’Algérie, concurrent de ceux portés par les élites acquises au républicanisme français ou par le Parti communiste algérien déjà enraciné au sein de la communauté européenne.

La création du PPA en mars 1937, sa progressive implantation en Algérie, son interdiction en septembre 1939, mettaient en place le premier basculement majeur, celui de l’avènement d’une génération indépendantiste, activant, pour un temps, dans la clandestinité.
Pour cette avant-garde et plus largement pour l’opinion algérienne, la défaite de juin 1940 fait sauter un lourd verrou psychologique dont rendent d’ailleurs compte les rapports des renseignements généraux : la France n’est plus invincible. Ce basculement sourd, mais actif reconfigure la perception que les Algériens pouvaient avoir de la puissance française.

Ce sentiment a pu être renforcé par l’attaque de l’aviation britannique du 3 juillet 1940, contre la base maritime de Mers El Kébir qui visait à mettre hors de portée de l’Allemagne la flotte française. Une France qui a besoin, pour sa guerre, de mobiliser des dizaines de milliers de jeunes Algériens – quelque 134 000 — qui, pour beaucoup d’entre eux, allaient prolonger une acculturation par l’école publique française par celle de l’armée française et de la violence du conflit mondial.

L’importance de l’engagement des Algériens au sein de l’armée française, la part prise au combat – que signalent les chiffres des pertes – informe aussi du basculement né de l’effroi à l’annonce de l’insoutenable répression du lendemain du jour de l’Armistice.
Une partie des fondateurs et dirigeants du FLN – Boudiaf, Krim, Benboulaïd, Bitat, Mechati, Ben bella – avait été enrôlée dans différents corps de l’armée française et y avait été, comme Benboulaïd et Ben Bella, distinguée.

 

Une accélération de l’histoire

Les Algériens vivaient la guerre alors que leurs enfants y participaient et l’imagerie populaire algérienne en a retenu «l’année des Américains», référée explicitement au débarquement du 8 novembre 1942 des forces alliées britanniques et américaines. «Alors, à travers la campagne, où montait de partout, repris par l’écho, répercuté par l’espace, présent dans l’air et sous terre, le bruit du tonnerre que produisaient les moteurs, un grand cri s’éleva : Les Américains !»(4)

Au-delà de ses objectifs immédiats, le débarquement rompt aussi le face-à-face algéro-français imposé par l’ordre colonial alors que des militants du PPA clandestin organisé dans le cadre clandestin du CARNA (Comité algérien révolutionnaire de l’Afrique du Nord) entreprenaient de leur côté des démarches pour négocier le soutien de l’Allemagne nazie. Cette initiative, désavouée par Messali Hadj, alors en détention, signale en creux la présence et l’influence du régime allemand à Alger rallié à Vichy et à la personne du maréchal Pétain.

Il importe de rappeler l’adhésion de la communauté européenne d’Algérie au maréchalisme et son soutien aux mesures antisémites – avec l’abrogation du décret Crémieux – et à la chasse des communistes.(5) C’est dans ce climat singulier que le PPA clandestin – sous la direction du Dr Lamine Debaghine – travaille à s’enraciner à travers le pays et il est notable que la clandestinité ait été le premier cadre de socialisation politique des nouvelles générations du nationalisme indépendantiste algérien.

On dispose, à ce sujet, des remarquables recherches du Pr Omar Carlier qui éclairent autant la distribution géographique que les origines sociales du militantisme indépendantiste qui allait être appelé à porter le puissant mouvement des «Amis du Manifeste des libertés» (AML).(6) L’année 1943 constitue un tournant significatif dans l’accélération de l’histoire du mouvement national algérien avec la publication en février du Manifeste du peuple algérien, initié par les élus indigènes et formalisé par Ferhat Abbas qui, inflexion décisive, porte la revendication d’une citoyenneté algérienne.

Remis aux autorités de Vichy et aux alliés – en particulier à Robert Murphy, ambassadeur américain – le Manifeste, adoubé par le PPA clandestin qui y adjoint un codicille, fournira la base politique inédite du premier grand rassemblement politique algérien acté en mars 1944, «Les amis du Manifeste et des libertés».

La rencontre d’Anfa, à Casablanca, entre le président américain Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill de juin 1943 — à laquelle furent associés le sultan Sidi Mohamed Benyoussef, les généraux Giraud et de Gaulle —, ses recommandations sur les peuples colonisés, avaient notamment encouragé l’évolution des dirigeants algériens les plus modérés à une plus claire prise en compte d’un destin national algérien.

Cette clarification est au principe de la création, en mars 1944, de l’association des «Amis du Manifeste et des libertés» dont le congrès d’avril 1945 consacre publiquement l’hégémonie du PPA et de ses militants au sein de l’organisation. Le fait doit être fortement souligné qui informe sur la profondeur et la dimension nationales de l’enracinement du PPA et tout semble s’être passé comme si, en dépit ou en raison des contraintes de la clandestinité, la revendication de l’indépendance rencontrait, confortait les attentes de la société. Le congrès des AML d’avril 1945 peut ainsi apparaître comme celui d’une reconfiguration décisive des rapports de force entre acteurs du mouvement national au bénéfice du PPA et au détriment de l’alliance élus indigènes-Oulémas.

On peut dater du congrès des AML d’avril 1945 le premier tournant historique du processus devant conduire à la rupture de Novembre 1954 et il est établi que l’hypothèse du recours à la lutte armée était prégnante dans la culture politique des clandestins du PPA comme le signalera, en mai, l’épisode de l’appel, par la suite annulé, à l’insurrection. L’appel des AML à la manifestation pacifique pour marquer l’Armistice avait vocation à rendre manifeste la montée en puissance de la revendication indépendantiste et sa légitimation massive par les Algériens.

 

La déflagration des symboles

Les autorités coloniales d’Alger comme les dirigeants du gouvernement provisoire français pouvaient-ils ignorer ou sous-estimer cette évolution ? Au regard des informations disponibles, l’option d’une stratégie répressive était formellement retenue – dont la marche du 1er mai à Alger offre une première illustration – qui devait viser à casser la montée en puissance du nationalisme algérien. Cette répression multiforme, inscrite dans la durée, sera rapportée et commentée par les journaux européens d’Algérie et plus particulièrement par ceux du département de Constantine.

La controverse sur le nombre des victimes algériennes a pu masquer l’importance des arrestations et des comparutions devant les tribunaux, au premier chef celui de Constantine, tout comme la récurrence des séances collectives d’humiliation et de demande de l’aman – le pardon – aux autorités françaises. Cette répression, les massacres qui en furent le principe premier, a forte charge symbolique de rappel de l’attitude criminelle des armées françaises lors de la conquête.

Mai 1945 allait rajouter, à l’inégalité des statuts et des droits qui fondent l’ordre colonial en Algérie, l’insoutenable inégalité devant la mort. Le 10 mai 1945, le gouverneur général d’Algérie Chataigneau et le préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel rendaient hommage aux victimes européennes qui avaient eu droit aux obsèques rituelles, aux notices nécrologiques des journaux, qui humanisaient leur disparition et appelaient la compassion.

On ne peut, aujourd’hui encore, qu’y opposer le sourd anonymat des morts algériennes. Sur les terres maréchalistes d’Algérie, c’est la CGT qui participe aux milices civiles de Guelma responsables des massacres sous la houlette du sous-préfet et résistant André Achiary alors qu’Alger républicain, relayant les positions du PCA, stigmatisait les «Hitléro-fascistes du PPA» en leur faisant endosser la responsabilité des événements.

La violence des massacres des journées de mai 1945 en Algérie ne s’épuise pas dans la seule charge des chiffres des victimes, elle rend compte des fondements racistes de l’ordre colonial et de la négation des droits à la dignité humaine des colonisés. En portant sur les fonts baptismaux l’organisation spéciale au congrès de Belcourt de février 1947, Hocine Asselah et Mohamed Belouizdad posent un jalon décisif dans le processus de la résistance algérienne au nom des générations militantes issues du choc de mai 1945.
 

Abdelmadjid Merdaci

Le 8 Mai 1945 raconté par Kateb Yacine

L’écrivain Kateb Yacine – né le 2 août 1929 à Constantine, en Algérie, et mort le 28 octobre 1989 – a vécu dans sa chair la terrible répression à Setif survenue au lendemain de la fin de la Seconde guerre mondiale. L’éternel perturbateur, l’immense poète, dramaturge Kateb Yacine était au coeur des manifestations de mai 1945. Il en est sorti marqué à jamais et nous a laissé un témoignage d’une grande force.

« Le vrai poète, même dans un courant progressiste, doit manifester ses désaccords. S’il ne s’exprime pas pleinement, il étouffe. Telle est sa fonction. Il fait sa révolution à l’intérieur de la révolution politique ; il est, au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur. Son drame, c’est d’être mis au service d’une lutte révolutionnaire, lui qui ne peut ni ne doit composer avec les apparences d’un jour. Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion« , avait-il affirmé.

Le document que nous proposons n’a rien d’inédit. Il est accessible sur le net. Sa publication s’explique par notre volonté de rappeler cet écrivain et à travers son témoignage les massacres dont sont responsables les soldats français appuyés par des milices coloniales dans l’est algérien en mai 1945. [Ahmed Houssem]

ARCHIVES BRITANNIQUES SUR LES MASSACRES DE MAI 1945
Par Abdelkrim Badjadja
Alterinfo


Pendant que Paris fêtait la libération, dans le Constantinois, l'armée française et les milices tuaient des algériens par milliers.
Lors de ma visite aux Archives nationales britanniques (2) à Kew Gardens-London en août 2003, j’avais repéré et demandé en consultation trois dossiers de l’année 1945 dans la série F.O. 371, volume 1 :
- Dossier 49275, Mouvement national arabe en Algérie, 1945.
- Dossier 49313, Opérations en Afrique du Nord, novembre 1942-mai 1943.
- Dossier 49328 datant du 9 novembre 1945 relatif au troisième anniversaire du débarquement des forces alliées en Afrique du Nord.

C’est le premier dossier (FO 371/49275) qui fut pour moi le plus intéressant, parce que contenant quelques tracts nationalistes, et donnant un éclairage nouveau du côté britannique sur les événements de mai 1945 :
- Sous-dossier numéro Z 5064, tract PPA du 11 mars 1945, dactylographié en trois pages, diffusé à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de la création du parti le 11 mars 1937 ; quelques termes utilisés : "… le peuple musulman algérien", "… la Révolution algérienne", "l’impérialisme".


- Sous-dossier numéro 21, rapport du consulat britannique à Alger au sujet des manifestations du 1er mai 1945 et de la répression qui s’est ensuivie : 10 Arabs killed, 25 wounded, 50 injured…Demonstrators 500 to 1000 (PPA)… Official communique admits 3 deaths...


- Sous-dossier numéro 23, premier télégramme britannique, daté du 10 mai 1945 au sujet des troubles qui avaient éclaté à Sétif, Constantine, Bône, Blida, et au sujet de l’arrestation de Ferhat Abbas.
- Sous-dossier numéro 24 du 11 mai 1945, transport par la RAF de soixante-quinze soldats français vers les zones sensibles, mais rejet britannique d’une demande relative aux bombes antipersonnel.


- Sous-dossier numéro 40, suite aux manifestations du 1er mai 1945, tract du Parti communiste algérien (PCA), à contre-courant de l’histoire (comme d’habitude, jusqu’à ce jour avec simplement des appellations différentes), attaquant violemment le Parti du peuple algérien (le PPA, principal parti nationaliste à l’époque où avaient été formés les révolutionnaires qui avaient déclenché l’insurrection du 1er novembre 1954), en des termes virulents : "… À bas les provocateurs hitlériens (c.a.d le PPA)" ; réponse du PPA par un autre tract : "Votre parti a jeté le masque".


- Sous-dossier numéro 45, document 1, une page, lettre (originale) dactylographiée en langue française, datée "Sétif, le 8 mai 1945", et adressée « Aux autorités britanniques et alliées » par « les représentants de la population musulmane de Sétif », faisant le compte rendu de la journée, le défilé pacifique, les slogans affichés, l’intervention musclée de la police coloniale pour tenter d’arracher aux manifestants les banderoles, puis les coups de feu tirés par la police aussi bien sur le défilé que sur les spectateurs. La lettre se termine par un hommage "au peuple britannique, à son armée et à toutes les Nations unies […] pour les combats menés pour le triomphe de la démocratie et de la liberté des peuples asservis", puis en conclusion avant la signature : "Vive les Nations unies !", "Vive l’Algérie libre et indépendante !"


- Sous-dossier numéro 45, document 2, trois pages, rapport en anglais daté du 23 mai 1945, adressé par le consulat britannique à Alger au Foreign Office, à Londres. Se référant à un premier télégramme (numéro 165) envoyé le 17 mai 1945, le consul relate dans le détail les "serious disturbances which took place in the department of Constantine on May 8th and the following six days" ; dans ce rapport très objectif le consul indique que ces informations avaient été puisées de deux sources : les autorités militaires britanniques, et des sources gouvernementales françaises non officielles. L’accent y est mis sur les provocations de la police coloniale, les coups de feu tirés par la police et par des civils français à partir des balcons, et les tentatives de riposte des natives (musulmans) avec des chairs and anything… their hands.


Des chiffres relatifs à la répression (du 8 au 17 mai 1945) sont avancés de manière contradictoire : neuf cents à mille musulmans tués selon le gouverneur général, six mille musulmans tués et quatorze mille blessés selon des sources médicales françaises ; de plus, le consul souligne que l’aviation française avait effectué trois cents sorties en six jours !
- Sous-dossier numéro 45, document 3, courte note de deux paragraphes datée du 23 juin 1945, adressée par A.J. Kellar (parlementaire britannique?) au Foreign Office about the disturbances in Algeria, et de leur effet d’entraînement en Gambie (?) auprès de la fraction arabe de la population.


Abdelkrim Badjadja
(1) "Panorama des archives de l'Algérie moderne et contemporaine", article publié dans un ouvrage collectif sous la direction de Mohamed Harbi et Benjamin Stora, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la Révolution algérienne: "La Guerre d'Algérie 1954-2004", de la page 631 à la page 682, Paris, Editions Robert Laffont, mars 2004.
(2) http://www.nationalarchives.gov.uk/

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