Les États-Unis et les Saoudiens exercent des pressions sur la Jordanie, ce qui ouvre la voie à l'Iran
Article originel : U.S.-Saudi Pressure On Jordan Opens The Way For Iran
Moon of Alabama, 07.06.18
Le Royaume hachémite de Jordanie se trouve traditionnellement dans le camp "occidental". Il est politiquement attaché au Royaume-Uni et aux États-Unis, ainsi qu'à l'Arabie saoudite et à d'autres États du Golfe à majorité sunnite. Le roi jordanien Abdallah II a été dans le passé hostile à l'Iran. Il a été le premier à alimenter publiquement la peur d'un "croissant chiite". Mais les nouveaux plans saoudiens et étatsuniens pour la "paix" avec Israël constituent une menace pour la Jordanie et pour la légitimité personnelle du roi Abdallah. Il doit changer de position. Grâce à des mesures d'incitation appropriées, la Jordanie pourrait, à terme, rejoindre la "résistance" avec l'Iran, la Syrie et le Hezbollah.
Le pays gouverné par le roi Abdallah compte près de dix millions d'habitants mais est relativement pauvre. Il a peu de ressources naturelles. La population généralement bien instruite a attiré des investissements étrangers dans son industrie. De nombreux Jordaniens travaillent à l'étranger et envoient des fonds. Mais tout cela ne suffit pas. Le pays a besoin de subventions étrangères pour maintenir son niveau de vie.
Le roi d'Arabie saoudite tire sa légitimité de son titre de "gardien des deux saintes mosquées" à la Mecque et à Medina. Le roi de Jordanie est issu de la grande dynastie hachémite millénaire. Il dirige le Waqf (Fondation) islamique de Jérusalem et est le gardien des lieux saints islamiques de Jérusalem, de la mosquée Al-Aqsa et du Dôme du Rocher. Cette responsabilité est la seule fonction importante qui reste à la famille hachémite. C'est la source de la légitimité du roi Abdallah.
Les changements dans la politique de l'Arabie Saoudite envers Israël et le "plan de paix" sioniste que l'administration Trump développe créent une nouvelle situation pour la Jordanie. Ce pays est soumis à d'énormes pressions économiques pour accepter ces plans.
La Jordanie a participé à la guerre contre la Syrie. Tandis que la Turquie a apporté son soutien aux "rebelles" qui attaquaient la Syrie depuis le nord, la Jordanie a joué un rôle similaire dans le sud. Des armes et des munitions en provenance d'Arabie saoudite et du Qatar ont été expédiées par la Jordanie et introduites clandestinement en Syrie. Le pays a accueilli les familles des "rebelles" en tant que réfugiés et a fourni un soutien médical. La "salle d'opération sud" des "rebelles", dirigée par la CIA, était hébergée dans la capitale jordanienne, Amman.
La guerre a interrompu l'importante et lucrative ligne de transport de la Turquie vers les pays du Golfe en passant par la Syrie et la Jordanie. Les réfugiés étaient un fardeau. L'activité touristique autrefois florissante s'est effondrée. Comme la plupart des autres pays, la Jordanie s'attendait à une courte guerre menant à un "changement de régime" en Syrie en quelques mois. Mais aujourd'hui, sept ans plus tard, la guerre contre la Syrie est un problème majeur pour la Jordanie. Le million de réfugiés syriens a entraîné une augmentation des loyers et une baisse des salaires. Environ 20% de la population active est sans emploi. La guerre doit prendre fin.
La Jordanie reçoit quelque 1,2 milliard de dollars par an d'aide militaire et économique des États-Unis. Au cours des années précédentes, elle a en outre reçu 1 à 2 milliards de dollars de l'Arabie saoudite et d'autres États du Golfe. Cela n'était toujours pas suffisant pour compenser le fardeau de la guerre. Depuis 2011, la dette publique de la Jordanie est passée de 70% à 95% de son PIB. Son déficit budgétaire cette année dépassera probablement le milliard de dollars.
Cette année, l'Arabie saoudite s'est abstenue. Elle n'a pas donné d'argent à la Jordanie. Avec la décision Trump à Washington, les paiements étatsuniens sont en doute. La Jordanie a contracté un prêt de 723 millions de dollars du FMI, mais il était assorti de conditions. Le FMI exige l'austérité de l'État jordanien. Depuis le début de cette année, les taxes sur les denrées alimentaires de base ont augmenté de 50 à 100 pour cent. Il y a eu cinq augmentations du prix du carburant. Les prix de l'électricité et de l'eau ont également été augmentés. Tout cela n'était pas suffisant. Depuis l'année dernière, le Premier ministre jordanien a travaillé à l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'impôt sur le revenu qui doublerait le nombre de personnes qui doivent payer l'impôt sur le revenu. Il introduirait également des mesures sévères contre les fraudeurs fiscaux.
Depuis le 30 mai, la Jordanie a été le théâtre de manifestations quotidiennes, apparemment à cause de l'augmentation du coût de la vie et de la nouvelle loi sur l'impôt sur le revenu. Les protestations ont été menées par 33 syndicats qui ont appelé à une grève générale. La grève a été suivie et les manifestations ont attiré des foules assez importantes. Ils ont exigé la démission du premier ministre et la fin des plans d'impôt sur le revenu. De telles protestations ne sont pas particulièrement extraordinaires. La solution habituelle pour une telle situation est connue.
Après quelques jours de protestations, le roi Abdallah a congédié le premier ministre Hani Mulki qui avait insisté sur la loi fiscale. D'habitude, ça aurait suffi. Les gens rentreraient chez eux, la loi en question serait modifiée ou abolie et le gouvernement se débrouillerait.
Mais pas cette fois. Les manifestations se poursuivent. Elles incluent maintenant des chants dirigés contre la monarchie. C'est inhabituel. Très inhabituel.
La situation économique et le droit fiscal ne sont peut-être pas la seule explication de ce conflit civil. Il y a des rumeurs selon lesquelles les Saoudiens, ou la CIA, sont derrière eux.
Le 18 mai, l'Organisation de la coopération islamique (OCI) a tenu un sommet extraordinaire en Turquie pour protester contre les atrocités commises par Israël en Palestine et les plans de Trump pour Jérusalem. De nombreux chefs d'Etat y ont participé, dont le Président de l'Iran et l'Emir du Qatar. L'Arabie saoudite et son allié des Emirats n'ont envoyé que des délégations de rang inférieur. On avait demandé au roi de Jordanie de ne pas assister au sommet. Il y est allé quand même :
Le roi Abdallah de Jordanie a déclaré au sommet d'Istanbul qu'il rejetait toute tentative de changer le statu quo de Jérusalem et de ses lieux saints.
Ce commentaire allait à l'encontre de la décision des États-Unis de déplacer son ambassade à Jérusalem. Il est allé à l'encontre du "plan de paix" saoudo-étatsunien qui remettra Jérusalem aux sionistes. Mais ce qui est encore plus important du point de vue saoudien, c'est cette photo.
Le roi Abdallah a non seulement serré la main du président iranien Rohani, mais les deux hommes ont également tenu les premiers pourparlers de haut niveau entre la Jordanie et l'Iran en 15 ans :
Les chefs d'État iranien et jordanien auraient tenu une brève réunion en marge d'un sommet spécial de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) en Turquie.
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Le roi Abdallah II est un monarque pro-occidental, mais les liens d'Amman avec les États-Unis et l'Arabie saoudite ont récemment été ébranlés sur la question de la Palestine.
Le confort rapporté par Riyad à Israël a inquiété la Jordanie qui est en charge du principal sanctuaire musulman sur le Mont du Temple, la Mosquée al-Aqsa.
L'administration Trump et le Prince saoudien Mohamed bin Salman veulent que la Jordanie accepte leur "plan de paix" avec Israël. Les lieux saints islamiques de Jérusalem passeraient sous contrôle israélien et seraient en danger. Les fanatiques juifs envisagent de construire un "troisième temple juif" au-dessus de la mosquée Al-Aqsa. Un tel accord menace donc la légitimité du roi hachémite.
Le manque de soutien financier émanant de l'Arabie saoudite et les manifestations inhabituelles en Jordanie sont censés faire pression sur le roi Abdallah. Les Saoudiens et les Etatsuniens veulent qu'il se soumette à l'accord sale qu'ils ont conclu avec les sionistes. Si Abdullah ne suit pas les plans saoudiens/étatsuniens, il devra partir. S'il va de l'avant, il perdra sa légitimité.
Il y a une alternative. Le roi Abdallah pourrait changer de camp. Il peut demander un soutien financier à l'Iran (ou au Qatar ? ou peut-être même à la Russie ?). Quelques milliards suffiront. Ils pourraient prendre la forme d'investissements industriels. En échange d'un tel soutien économique, il devrait s'engager du côté de la "résistance". Il devrait cesser de soutenir la guerre contre la Syrie. Il devrait diminuer ses relations avec l'Arabie saoudite et prendre une position plus forte contre Israël.
Mais l'Arabie Saoudite est toujours un voisin de la Jordanie et riche. Beaucoup de Jordaniens y travaillent. Les États-Unis protègent la Jordanie d'Israël. Il est donc peu probable qu'Abdullah fasse ouvertement un tel pas vers l'Iran. Mais il existe probablement des moyens de passer lentement à une position plus neutre.
Partout où les États-Unis et l'Arabie saoudite ont déclenché des conflits et des guerres - en Irak, au Liban, au Qatar, au Yémen et en Syrie - l'Iran a gagné. La pression saoudienne sur la Jordanie pourrait avoir un effet similaire.
Traduction SLT