Helsinki : le cow boy et le tsar. A la recherche d'un nouveau Yalta...
Par Guillaume Berlat
Proche et Moyen-Orient.ch
À la suite d’un sommet européen de l’OTAN placé sous le signe du doute sur la pérennité de l’engagement américain1 et d’une visite d’État au Royaume-Uni placée sous le signe du doute sur l’avenir de relation spéciale américano-britannique2, Donald Trump rencontre le 16 juillet 2018 à Helsinki le président russe, Vladimir Poutine. Il a face à lui un homologue ravi de mesurer le relâchement du lien transatlantique, de constater la fracture béante de l’Union européenne, de se réjouir des hostilités lancées par Donald Trump contre ses propres alliés dans le domaine du commerce mondial, de voir les troupes de Bachar Al-assad reprendre Deraa, berceau du soulèvement de 2011, avec l’appui militaire et l’engagement diplomatique de Moscou dans le pays3.
Il a face à lui un homologue satisfait du parfait déroulement de la coupe du monde de football en Russie4 qui s’achève par une victoire des Bleus la veille et un satisfecit jupitérien sur la qualité de l’organisation du mondial.
Mais, il a surtout face à lui un homologue russe enchanté de se voir reconnaître le rôle d’interlocuteur privilégié de la plus grande puissance mondiale comme au temps héroïque de la guerre froide. « Russia is back ». En un mot, le pestiféré, le lépreux redevient, du moins l’espace d’une rencontre bilatérale, un dirigeant incontournable sur lequel il faut compter pour régler les grandes crises actuelles, pour traiter des affaires du monde, pour réinventer une nouvelle grammaire des relations internationales. Une incursion dans le passé est nécessaire pour être en mesure de mieux apprécier les contours du nouveau jeu bipolaire qui marginalise l’Union européenne et pourrait déboucher sur l’adoption de nouvelles règles internationales.
UNE INCURSION DANS LE PASSÉ : LE RETOUR DE L’HISTOIRE
Le retour du duopole américano-russe en ce début du XXIe siècle s’opère dans un environnement marqué au sceau d’un parfum de guerre froide que nous avons connu durant la seconde moitié du XXe siècle.
Le retour du duopole américano-russe au XXIe siècle
Longuement préparé par une visite à Moscou le 27 juin 2018 du conseiller américain à la sécurité nationale (l’homme à la moustache, « le faucon qui s’est fait pigeon » pour la circonstance), John Bolton, le sommet d’Helsinki est présenté comme le « sommet le plus important de cet été » par le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Outchakov5. Après le multilatéral tant honni par Donald Trump (Cf. les séquences ratées du G7 de Charlevoix et du sommet de l’OTAN à Bruxelles) et, sous une autre forme, par Vladimir Poutine (son attitude au Conseil de sécurité de l’ONU), Washington et Moscou privilégient désormais les bonnes vieilles rencontres bilatérales de la guerre froide en terrain neutre. Dès avant sa prise de fonctions à la Maison Blanche, le nouveau président américain n’a eu de cesse de proclamer sa volonté de « s’entendre avec la Russie »6. Ceci n’est pas étonnant si l’on garde à l’esprit que Donald Trump n’est pas un politicien mais un homme d’affaires qui croit aux bienfaits du « deal » entre hommes et non aux pertes de temps inutiles des palabres diplomatiques multilatérales à géométrie variable. Il souligne que « nos pires ennemis sont parfois nos soi-disant amis et alliés », ajoutant que « l’Union européenne a été créée pour profiter des États-Unis ».
Dans ces conditions, pourquoi ne pas essayer de s’entendre avec les soi-disant ennemis qui sont des amis de facto comme le président nord-coréen (au sommet de Singapour) et le président russe (au sommet d’Helsinki) ? « Les hommes fort ont la cote »7. L’avantage de ces rencontres bilatérales est que l’on peut se jauger, se parler, se confier, s’écouter, voire même parvenir à s’entendre au grand dam de ses alliées médusés par une telle « surprise stratégique ». L’imprévisibilité peut parfois être le meilleur allié du diplomate. Être où l’on ne l’attend pas pour surprendre et marquer le point décisif comme au tennis.
Un parfum de guerre froide du XXe siècle
Ce sommet d’Helsinki, s’il a été organisé pour satisfaire l’ego des deux présidents, répond à des considérations géopolitiques plus substantielles qu’il n’y paraît à prime abord. Ce sommet se situe dans une capitale proche de Moscou et qui fit autrefois partie de l’Empire russe. Ce sommet se situe dans la droite ligne de ceux de 1975 à Helsinki entre les présidents Ford et Brejnev, de novembre 1985 à Genève entre les présidents Reagan et Gorbatchev, entrevue sans contenu concret mais qui avait permis de créer une atmosphère constructive et ainsi débouché onze mois plus tard sur le sommet de Reykjavik8. Ce sommet se situe en un temps où une réalité émerge : la nécessité de reconfigurer un monde où le géant américain n’est plus l’ami de l’Europe9. Donald Trump twitte avant son arrivé en terre finlandaise, que les « relations bilatérales américano-russes n’ont jamais aussi mauvaises », mettant en cause « les stupidités de l’administration Obama ». Cela ressemble à la préparation médiatique du sommet de Singapour avec l’autocrate nord-coréen, Kim Jong-un. En moins d’un mois, le président américain entend, en dépit d’un climat qualifié par certains de guerre froide, mettre à son actif deux succès diplomatiques dans la perspective des élections de mi-mandat aux États-Unis.
Le sommet d’Helsinki marque le retour d’un jeu bipolaire après une période multipolaire, puis unipolaire et apolaire. Tout ceci donne le tournis à tous ceux qui s’en tiennent uniquement à l’écume des jours.
UN NOUVEAU JEU BIPOLAIRE
Après une longue absence sous les deux mandats de Barack Obama, nous assistons à des retrouvailles entre Moscou et Washington qui ne préjugent pas du champ des convergences et des divergences entre les deux grands.
Les retrouvailles entre Moscou et Washington
Vladimir Poutine, qui n’est pas un adepte de Twitter comme son homologue, a pour lui la pérennité dans ses fonctions. Il a survécu à quatre présidents américains. Ce qui constitue une avantage diplomatique et stratégique indéniable. Le Monde, qui ne comprend décidément rien au Monde d’aujourd’hui, souligne les ambiguïtés de Donald Trump face à son homologue russe10. Il oublie que la diplomatie baigne dans l’ambiguïté par essence. C’est même pour cette raison qu’elle a été inventée. Ne parle-t-on pas d’ambiguïté constructive chez les diplomates experts de la diplomatie multilatérale ? Le quotidien du soir ajoute que la tentation est grande chez les deux grands d’en revenir aux sphères d’influence11. Et d’ajouter, comme si ses deux brillants journalistes avaient réinventé la roue, que les coups de boutoir infligés à Donald Trump à ses alliés, à l’OTAN et à l’Union européenne, font le jeu de Vladimir Poutine. Le terme d’« allié » est-il toujours pertinent aux États-Unis lorsque l’on traite ses partenaires plus mal que des laquais ? Ne devrait-on pas y substituer celui d’idiot utile qui convient mieux à des États qui avalent, sans coup férir, quelques couleuvres, quelques boas et en redemandent même parfois ?
Et oui, il aura fallu plus deux ans à tous ces bons apôtres pour découvrir que l’Amérique ne veut plus du système multilatéral qu’elle a contribué à porter sur les fonts baptismaux en 1945, qu’elle privilégie la diplomatie bilatérale, les rapports de force, y compris dans le domaine commercial. Il faudra s’y habituer. Un monde disparaît sous nos pas. Il est en voie d’être remplacé par un autre que Donald Trump et Vladimir Poutine veulent façonner à leur image et non à celle des Européens que leur candeur rafraîchissante honore. Ils semblent toujours ne pas avoir compris que nous avions définitivement changé de siècle et que nous entrons dans un monde nouveau qui n’aura plus rien à voir avec le monde d’hier et ses paradigmes (multilatéralisme, mondialisation, omnipotence américaine, faiblesse russe).
Les sujets de divergence et de convergence
Dans un monde marqué au sceau d’une apparente transparence, nous ne savons pas grand-chose de ce qui s’est passé lors du déjeuner en tête à tête et des entretiens élargis si ce n’est ce que les deux présidents ont bien voulu dire lors de leur conférence de presse conjointe. Faut-il le confesser humblement ! Assaut d’aimabilités des deux côtés, volonté de travailler en commun, accent mis sur les points de convergence au détriment des points de divergence… mais peu de communication sur la substance. Donald Trump énumère un inventaire à la Prévert de sujets : Syrie, Iran, Ukraine, commerce international, terrorisme, contrôle des armements, prétendue ingérence russe dans les élections américaines de 2016 mais sans fournir pour autant quelques pistes de réflexion sérieuses permettant d’éclairer notre lanterne. Y compris nos perroquets à carte de presse experts en tout et en rien en sont réduits à échafauder des hypothèses, des trocs entre Syrie et Crimée, entre Iran et Israël, des scénarios aussi improbables les uns que les autres.
Donald Trump évoque une discussion productive. Que dit-il de plus ? « Si on veut résoudre un grand nombre des problèmes dans le monde, on doit trouver des moyens de coopérer … Nous avons fait les premiers pas vers un futur radieux, fondé sur la coopération et la paix … Le refus de s’impliquer ne mènera à rien ». Interrogé sur cette question d’une ingérence russe dans la présidentielle américaine, le président américain a affirmé que cette information lui avait été fournie par le chef de la CIA mais qu’il n’avait aucune raison de la croire. « Le président Poutine a été extrêmement ferme et affirmatif dans son démenti aujourd’hui », a-t-il poursuivi12. Devant le tollé suscité par ses déclarations13, y compris jusque dans le camp républicain14, il effectue le 17 juillet 2018 un rétropédalage hasardeux, accordant désormais toute crédibilité aux informations fournies par ses services de renseignement15.
Les relations internationales ressemblent, par certains côtés, à la loi des vases communicants. Lorsque le dialogue des grands prospère, celui des acteurs secondaires périclite, dépérit. Tel est le cas de l’Union européenne qui en est réduite à jouer les utilités.
UNE MARGINALISATION DE L’UNION EUROPÉENNE
Pendant ce temps, l’Union européenne, dont ses plus zélés thuriféraires nous vantent à longueur d’année les mérites incommensurables, excelle dans deux de ses disciplines favorites : la diplomatie du vide et la diplomatie de l’incantation avec une foi et une constance qui mérite louange.
La diplomatie du vide
Et l’Europe, dans tout ça ? 16 Le moins que l’on puisse dire est que la très prétentieuse Union européenne (dans les paroles) est aux abonnées absents (dans les actes). Quel numéro de téléphone pour reprendre la célèbre formule d’Henry Kissinger ? Elle n’a rien vu venir, une fois de plus, empêtrée dans ses divisions internes et dans son rôle d’organisation normative (une machine à pondre du règlement et de la directive) et coercitive (imposer des sanctions à la Russie après l’annexion de la Crimée, des amendes à Google17). La prévision et la stratégie n’ont jamais été ses vertus cardinales. Elle privilégie la procédure et le cabotage, les communiqués insipides et les photos de famille sur papier glacé. La (dés)union européenne fait de plus en plus penser à la Société des nations (SDN) à la veille de la Seconde Guerre mondiale si bien croquée par Albert Cohen dans Belle du Seigneur. Elle ne comprend rien au monde d’aujourd’hui et encore moins au monde de demain. Elle s’agite beaucoup sans être capable de définir un modèle réaliste de gouvernance des relations internationales pour le XXIe siècle, s’accrochant comme une bernique à son rocher aux schémas dépassés du XXe siècle. Au moment du sommet d’Helsinki, les deux duettistes que sont les présidents du Conseil européen (le polonais insipide Donald Tusk) et le président de la commission européenne (le luxembourgeois imbibé Jean-Claude Juncker) pérorent à Pékin à l’occasion du XXe sommet entre l’Union européenne et la Chine sur le commerce, envoient une insipide carte postale à destination des deux grands.
Au moment où le libre échange est menacé, ces deux joyeux lurons ne trouvent pas mieux à faire qu’à signer un « accord de partenariat économique » avec le Japon18. Il est complété par un accord inédit sur la protection des données personnelles19. Telle était leur priorité alors que le monde est en voie de reconstruction sur des bases nouvelles et que l’Europe brûle !20 On s’amuse, tels des enfants turbulents, avec ce que l’on peut, de préférence en privilégiant l’accessoire par rapport au principal.
La diplomatie de l’incantation
Au lieu de jeter les bases d’un nouvel ordre mondial et de le présenter aux principaux acteurs du monde de XXIe siècle, nos deux duettistes précités excellent dans un exercice digne du bon docteur Coué. Une sorte de bonne vieille diplomatie du chien crevé au fil de l’eau. Reprenons les propos qui resteront dans l’Histoire de la pensée internationales comme des monuments d’inanité ! Cela vaut son pesant de cacahuètes. « Il est encore temps d’éviter le conflit et le chaos » déclare le comique Donald Tusk lors de sa rencontre avec le Premier ministre chinois Li Keqiang tout en proposant d’engager une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Nous sommes tous conscients que l’architecture mondiale est en train de changer sous nos yeux » déclare-t-il en rappelant que « le monde que nous avons construit pendant des décennies (…) a apporté une Europe en paix, le développement à la Chine et la fin de la guerre froide ». Et de préciser sur un ton martial « Il est du devoir commun de l’Europe et de la Chine, mais aussi de l’Amérique et de la Russie, de ne pas détruire cet ordre mondial mais plutôt de l’améliorer, et de ne pas engager des guerres commerciales qui ont débouché sur des conflits ouverts si souvent dans notre histoire ». Il répondait aux critiques formulées par Donald Trump qui avait déclaré que la Russie, l’UE et la Chine étaient, pour différentes raisons, des « ennemis » des Etats-Unis, dans une interview diffusée le 16 juillet 2018.
Pour sa part, Jean-Claude Juncker (qui ira baiser la babouche de Donald Trump le 25 juillet 2018 à la Maison Blanche) encourage « ses hôtes chinois, mais aussi les présidents Trump et Poutine, à engager conjointement un processus de réforme complet de l’OMC » afin de « renforcer l’OMC en tant qu’institution » et de « garantir des conditions de concurrence équitables », a précisé Donald Tusk. Et de conclure son madrigal ainsi : « Nous avons besoin de nouvelles règles en matière de subventions au secteur industriel, de propriété intellectuelle et de transferts forcés de technologie, de réduction des coûts des échanges commerciaux, ainsi que d’une nouvelle approche du développement et d’un règlement des différends plus efficace ». Que tout ceci est bien dit ! Mais ceci a-t-il fait l’objet d’un accord à 27/28 ou bien est-ce seulement un exercice de pur jus de crâne qui n’engage que nos deux duettistes et n’a donc pas la moindre valeur politique et juridique ?
Pendant que nos deux Dupont chers à Hergé écument la planète avec leurs prières qui ne trouvent plus grâce, y compris auprès des croyants les plus fervents, Américains et Russes traitent de sujets autrement plus sérieux engageant l’avenir des relations internationales entre quatre yeux.
VERS DE NOUVELLES RÈGLES DES RELATIONS INTERNATIONALES
Le sommet d’Helsinki constitue à l’évidence un galop d’essai (comme on nommait les épreuves écrites à Sciences Po, rue Saint-Guillaume) pour un nouveau duopole américano-russe. Seul l’avenir nous dira si l’essai sera transformé (comme au rugby) dans les prochains mois, les prochaines années.
Un galop d’essai
Si étrange que cela puisse paraître, ce sommet pourrait être le prélude de l’édification d’une vision commune du monde, d’une nouvelle grammaire des relations internationales (expression chère à Emmanuel Macron) au moment où l’ordre ancien se dérobe sous nos pieds, où existe une absence de « leadership international ». Il pourrait également constituer le point de départ de la mise au point d’un nouvel agenda de la « révolution de la realpolitik » du duo Trump-Poutine. Les dirigeants américain et russe ont au moins en commun d’être friands des actions souveraines, la méfiance de la mondialisation et des institutions multilatérales mises en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils pourraient se retrouver pour mettre sur la touche l’OTAN et l’Union européenne, voire le G7, pour déplacer l’axe de leur coopération de l’Europe vers le Pacifique, pour s’entendre sur la question ukrainienne au mépris des accords de Minsk, pour contribuer à « une dangereuse recomposition des alliances »21. Mais, de là à prétendre, comme le fait un folliculaire du Figaro que Donald Trump serait un « faible » ou un « traître », il y a un pas que nous ne franchirons pas en l’absence d’informations documentées sur les concessions qu’il aurait pu faire à son homologue russe. Ce quotidien en rajoute une couche en parlant de « carnage », s’agissant de la tournée européenne de Donald Trump22. C’est tout et n’importe quoi. Le privilège des imbéciles. Pour sa part, Le Monde, qui rêve éveillé, instruit immédiatement le procès en sorcellerie contre Donald Trump23 dont il n’a jamais accepté l’élection. Il stigmatise « les liaisons dangereuses de Donald Trump »24.
Ses brillants experts des questions internationales ignorent, une fois de plus, ce qu’est l’essence de la diplomatie : parler à tous qui ne signifie pas concéder mais essayer d’élargir le champ du consensus. La devise du diplomate pourrait être : soyez réaliste, demandez l’impossible. Que dire de Jupiter lorsqu’il fait ami-ami avec le prince saoudien MBS qui fait un carnage au Yémen, théâtre d’un conflit meurtrier qui s’enlise ?25 Mediapart, site de délation en ligne26 persévère sur sa critique constante du président des États-Unis, sans le moindre regard sur la réalité de sa diplomatie (« la farce diplomatique » ?)27. Sa correspondante sait-elle ce que signifie le mot diplomatie et ses méthodes d’action ? La réponse est dans la question. Quant aux mensonges de Donald Trump – sur lesquels il n’y a aucun doute -, il convient de les mettre en relation avec tous les bobards de nos hommes politiques qui n’ont rien à lui envier. Cessons de donner des leçons de morale à la terre entière !
Un essai à transformer
Ce sommet intervient au moment où le procureur spécial, Robert Mueller vient d’inculper quatorze membres des services de renseignement russe pour leur rôle présumé dans le piratage et la diffusion de données du parti démocrate avant le scrutin. Il intervient quelques mois après la publication de la « vision stratégique » préparée par son ancien conseiller à la sécurité nationale, le général Mc Master qui soulignait une volonté russe de « couper les Américains de leurs alliés et de leurs partenaires et d’affaiblir l’unité transatlantique ». Et, pourtant, ce sommet a eu lieu alors que personne ne l’aurait imaginé au début de l’année 2018. Comme quoi tout peut arriver dans les relations internationales comme ce fut le cas récemment à Singapour avec la Corée du nord.
Le pire comme le meilleur. S’agit-il d’un nouveau « reset » (redémarrage) ou d’un coup d’épée dans l’eau, il est encore trop tôt pour l’affirmer ? Démonstration de force à l’appui, le Kremlin s’est s’imposé en interlocuteur incontournable dans le concert des nations avec son retour en force sur le dossier syrien. Comme Donald Trump, dont il partage le goût prononcé pour les rencontres bilatérales, Vladimir Poutine a un objectif : affaiblir l’Union européenne, perçue comme un obstacle à ses visées géopolitiques. Pour sa part, le président américain veut que les États-Unis soient de moins en moins les gendarmes du monde. Son lâchage des rebelles de Deraa en Syrie signifie-t-il une concession faite à Moscou dans un marchandage plus global ?
Force est de constater que nous ne savons rien du contenu précis des discussions et nous ne pouvons pas nous permettre de jeter l’anathème sur le président des États-Unis comme le font nos folliculaires ignares. Contrairement à ce qu’ils pensent, le résultat d’un tel sommet ne peut se juger sur le temps court médiatique. Il se jugera uniquement sur le temps long historique. Et, seulement à ce moment, nous disposerons d’une idée assez précise de ce qui s’est réellement passé ou pas passé à Helsinki. Ceux qui parlent ne savent pas et ceux qui savent ne parlent pas ! Un vieux classique du monde de l’information. D’autant que nous apprenons que Donald Trump vient d’inviter Vladimir Poutine à se rendre en visite à Washington à l’automne prochain. Cette visite sera longuement précédée par des visites de ses conseillers à Moscou pour préparer l’ordre du jour des discussions, voire des projets d’accords dans différents domaines. Ce qui n’est pas exclu.
Les évidences sont devenues énormes. Aujourd’hui, les questions ne manquent pas. La prévision ne passe-t-elle pas par le questionnement ? L’Amérique de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine peuvent-elles devenir des partenaires conduits à dessiner les contours de l’ordre international de demain ? Lune de miel ou coup de com’ ? Il est encore trop tôt pour se prononcer valablement sur le contenu de cette rencontre et sur ses développements à venir. Il convient de garder à l’esprit, à contre-courant de la pensée unique et du politiquement correct, que Donald Trump utilise parfois une mauvaise méthode pour porter une juste cause28. Dans le cas d’espèce, celle de la refondation d’un monde à bout de souffle que certains s’évertuent à maintenir en vie artificiellement. Méfions-nous des pseudo-experts et autres « toutologues » (Régis Debray) qui racontent presque toujours n’importe quoi !
Le président américain est aussi intuitif voire fantasque que son homologue russe est rationnel et prévisible. Une sorte de révélation des contraires. Au moment où tout semble embrumé dans une langue de bois épaisse, une langue d’acajou, n’est-il pas urgent de revoir nos modes d’appréhension et de compréhension de la réalité internationale ? Oserons-nous opposer l’information au savoir ? Saurons-nous dépasser l’image qui absorbe le regard, surtout, neutralise la réflexion sans laquelle aucun aggiornamento n’est possible ? Nul ne sait à ce jour si cette rencontre d’Helsinki entre le cow-boy et le tsar s’apparente à un Congrès de Vienne ou à un nouveau Yalta (faiblesse de l’américain Roosevelt et partage du monde en zones d’influence) ?
Guillaume Berlat
23 juillet 2018
1 Éditorial, L’OTAN en proie au doute, Le Monde, 14-15-16 juillet 2018.
2 Claude Angeli, La virée impériale très réussie de Donald Trump, Le Canard enchaîné, 18 juillet 2018, p. 3.
3 Benjamin Barthe, À Deraa, l’étincelle de la révolution syrienne s’est éteinte, Le Monde, 14-15-16 juillet 2018, pp. 12-13.
4 Isabelle Mandraud, La Russie tire profit de « sa » Coupe du monde, Le Monde, 17 juillet 2018, p. 13.
5 Isabelle Mandraud/Gilles Paris, Trump devrait rencontrer Poutine en juillet, Le Monde, 29 juin 2018, p. 5.
6 Gilles Paris, Trump veut s’entendre avec la Russie, Le Monde, 30 juin 2018, p. 8.
7 Discours de Barack Obama à l’occasion du centenaire de la naissance de Nelson Mandela (Johannesburg, 17 juillet 2018), Le Monde, 19 juillet 2018, p. 13.
8 Vladislav Inozemtsev, Trump-Poutine, ou la révolution de la realpolitik, Le Monde, 13 juillet 2018, p. 21.
9 Sylvie Kauffmann, Faire sans les États-Unis, Le Monde, 12 juillet 2018, p. 24.
10 Gilles Paris, Les ambiguïtés de Trump face à Poutine, Le Monde, 17 juillet 2018, p. 17.
11 Isabelle Mandraud/Gilles Paris, Entre les États-Unis et la Russie, la tentation des sphères d’influence, Le Monde, 17 juillet 2018, p. 17.
12 Virginia Robert, Devant Poutine, Trump ne croit pas à l’interférence de la Russie, Les Échos, 17 juillet 2018, p. 8.
13 Elsa Conesa, Trump affronte la colère des élus après le sommet avec Poutine, Les Échos, 18 juillet 2018, p. 18 juillet 2018, p.
14 Gilles Paris, Consternation chez les Républicains aux États-Unis, Le Monde, 18 juillet 2018, p. 2.
15 Arnaud Leparmentier, Face au tollé, Trump rectifie ses propos sur l’ingérence russe, Le Monde, 19 juillet 2018, p. 3.
16 Maya Kandel, Des motifs d’inquiétude bien réels pour les Européens, Le Monde, 13 juillet 2018, p. 21.
17 Cécile Ducourtieux, Bruxelles inflige une amende record à Google, Le Monde, Économie & Entreprise, 20 juillet 2018, p. 11.
18 Richard Hiaut, Europe et Japon scellent leur accord de libre-échange, Les Echos, 18 juillet 2018, p. 6.
19 Cécile Ducourtieux, L’Union européenne et le Japon scelle un accord sur les données personnelles, Le Monde, 19 janvier 2018, p. 11
20 Gérard Errera, En Europe, la maison brûle, Les Échos, 18 juillet 2018, p. 8.
21 Frédéric Charillon, Trump et Poutine, des alliés objectifs mais pas égaux, Le Monde, 19 juillet 2018, p. 25.
22 Laure Mandeville, Le voyage européen de Trump, un « carnage » et une énigme, Le Figaro, 18 juillet 2018, p. 7.
23 Gilles Paris, À Helsinki, Trump prend la défense de Poutine, Le Monde, 18 juillet 2018, p. 2.
24 Éditorial, Les liaisons dangereuses de Donald Trump, Le Monde, 18 juillet 2018, pp. 1 et 29.
25 Georges Malbrunot, Yémen : un conflit meurtrier qui s’enlise, Le Figaro, 18 juillet 2018, p. 8.
26 Voici ce que l’on trouve en fin de certains articles de ce site (Cf. à titre d’exemple : « Un contrat naval est au cœur d’un scandale financier », Hélène Constanty, 16 juillet 2018) : Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site frenchleaks.fr. Ce qui ressemble à s’y méprendre aux lettres de cachet de l’Ancien Régime et aux lettres de délation adressées par les bons patriotes français à la Milice ou à la Gestapo sous le régime de Vichy !
27 Justine Brabant, Derrière la farce diplomatique, Donald Trump joue l’opinion, www.mediapart.fr , 18 juillet 2018.
28 Yannick Mireur, Donald Trump utilise une mauvaise méthode pour une juste cause, Le Monde, Idées, 11 juillet 2017, p. 7.
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