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Jupiter au chevet de l'Afrique (Proche et Moyen-Orient.ch)

par Guillaume Berlat 9 Juillet 2018, 19:23 Macron Afrique Françafrique Armée française G5 Sahel néocolonialisme

Jupiter au chevet de l'Afrique
Par Guillaume Berlat
Proche et Moyen-Orient.ch

Jupiter au chevet de l'Afrique (Proche et Moyen-Orient.ch)

Le moins que l’on puisse dire est qu’Emmanuel Macron ne ménage pas sa peine pour tenter de redonner à la France la place qui lui revient sur la scène internationale. Après l’Union européenne (conseil européen) et avant l’OTAN (sommet des chefs d’État et de gouvernement), le président de la République retrouve le continent africain. Continent pour lequel il avait livré son discours de la méthode à Ouagadougou en novembre 2017. Il s’agissait de le mettre en pratique. En ce début juillet 2018, il visite successivement la Mauritanie et le Nigéria, faisant la part égale à l’Afrique francophone, avec Nouakchott qui est l’hôte du 31e sommet de l’Union africaine et à l’Afrique anglophone et d’une rencontre du G5 Sahel consacrée aux questions de sécurité et avec Abuja et Lagos où il fut un brillant stagiaire de l’ENA pour y promouvoir la diplomatie économique. Ces deux déplacements s’effectuent du 2 au 4 juillet 2018 au moment où l’Afrique est confrontée à des problèmes de sécurité, de développement et de gouvernance.

 

MAURITANIE : DIPLOMATIE DE LA SÉCURITÉ

Union africaine : le passage de témoin du Rwanda à la Mauritanie

Emmanuel Macron rencontre de manière informelle les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine à l’occasion d’un dîner qui lui permet de prendre toute la mesure des défis que doit relever le continent sept décennies après la vague d’indépendance. L’Union africaine a succédé en 2002 à l’Organisation africaine dont le siège est à Addis-Abeba. Si cette dernière a pu prendre une décision forte entérinant les frontières coloniales et s’unir dans la lutte contre l’apartheid, l’OUA n’a pu dépasser les querelles entre ses États membres. Le retour du Maroc au sein de l’UA est un signe encourageant. Voulant prendre modèle sur l’Union européenne, l’Union africaine reste très bureaucratique et peu efficace. Elle tente de se réformer (propositions de Paul Kagamé) en créant un marché unique (CFTA) destiné à accélérer le développement économique et lui fournir des revenus Mais ces réformes suscitent des résistances des pays de l’Afrique australe et des cinq grandes puissances économiques allergiques à des taxes Sur le plan sécuritaire, le défi est aussi important. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS), pour important qu’il soit, en est au stade des réflexions. Peut-on envisager la mise sur pied d’une force de maintien de la paix africaine lui permettant de gérer ses crises avec des moyens propres soit à l’échelon du continent, soit à l’échelon régional avec le G5 Sahel ?1

 

G5 Sahel : les limites intrinsèques de l’exercice

Pour séduisante qu’elle soit l’idée consistant à aider les cinq États membres (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso, Mali) à prendre progressivement en charge leur sécurité grâce à une aide financière, en formation, en équipement, en renseignement prodiguée par des États tiers, cette approche trouve rapidement ses limites sur le terrain. Si Emmanuel Macron avait eu tendance à l’oublier, deux évènements récents sont venus le lui rappeler. L’attentat-suicide qui a visé le siège de la force conjointe du G5 Sahel avant-hier à Sévaré, dans le centre du Mali (trois morts chez les militaires et deux terroristes tués) et celui, quelques jours plus tard à Gao le 1er juillet qui occasionne quatre blessés parmi les militaires français de l’opération Barkhane, constituent des signaux de plus des difficultés que connaît le pays à ramener la paix2. La sécurité n’est qu’un des outils de la boîte destinée à régler un problème multidimensionnel. Cinq ans après Serval, pourquoi le Mali reste-t-il si fragile ?3 Cet attentat démontre qu’il « y a encore énormément de failles » dans la sécurité qui doivent être « corrigées », a déclaré le président mauritanien, cité par la chaîne France 24. « Nous soutenons les pays qui font face à des attaques terroristes. Nous condamnons ces attaques », a déclaré de son côté le président rwandais, Paul Kagame, encore président en exercice de l’UA à l’ouverture du sommet de Nouakchott. Même la Minusma, la force des Nations unies composée de 15.000 hommes et dont le mandat a été renouvelé jeudi pour un an par le Conseil de sécurité de l’ONU, doit se considérer comme en sursis. L’ambassadeur de France aux Nations unies, François Delattre, a insisté pour que les « efforts substantiels » constatés dans la mise en œuvre du processus de paix soient « impérativement amplifiés ».

Emmanuel Macron a évoqué un possible redéploiement des forces militaires dans le Sahel, trois jours après l’attentat suicide commis contre le QG de la force régionale du G5 Sahel et au lendemain d’une attaque contre une patrouille conjointe de soldats maliens et français au Mali. « Je veux évidemment avoir une pensée pour nos amis maliens suite aux attaques lâches, odieuses, des terroristes au PC de Sévaré, puis à Gao », a dit le chef de l’Etat français à la presse à son arrivée à Nouakchott (Mauritanie). « Plusieurs militaires français ont été blessés, ils sont en cours d’évacuation vers la France mais ce sont des civils maliens, des civils africains qui sont tués par les terroristes et qui sont les premières victimes de ces barbares que nous combattons ». L’attaque a été revendiquée lundi via SITE, un centre spécialisé dans la surveillance des groupes islamistes sur internet, par le groupe Nusrat al Islam wal Muslimin, filiale malienne d’Al Qaïda. « Nous allons cet après-midi prendre des décisions concrètes de redéploiement de nos forces et de positionnement pour les prochains mois », a poursuivi Emmanuel Macron. En attendant la force G5, la France s’ensable au Sahel. Le mini-sommet de Nouakchott ne suffira pas à sortir le contingent panafricain de l’ornière, ni la France du Sahel.

Avant l’ouverture du sommet, M. Kagame a fait savoir qu’il tenterait de s’assurer du soutien de ses pairs à la candidature de sa ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en octobre. Paris appuie cette démarche, qui permettrait de ramener la direction de l’OIF en Afrique, après quatre ans de mandat de la Canadienne Michaëlle Jean, candidate à sa propre succession.

 

NIGERIA : DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE ET CULTURELLE

Culture et économie sont inscrits au menu de la visite d’Emmanuel Macron au Nigeria.

France, mère des arts, des armes et des lois

Seize ans après avoir effectué un stage de six mois au Nigeria dans le cadre de ses études à l’ENA, le chef de l’Etat français est reçu à Abuja pour un tête-à-tête avec son homologue Muhammadu Buhari au cours duquel les questions régionales et politiques sont abordées. Emmanuel Macron rejoint ensuite Lagos, mégapole de plus de 20 millions d’habitants, pour lancer la saison 2020 des cultures africaines au Shrine, club fondé par le roi de l’afrobeat Fela Kuti, en présence notamment de la reine de l’afropop Angelique Kidjo et du chanteur Youssou N’dour. L’objectif est de « valoriser la création africaine dans le domaine de la musique, du cinéma et des arts visuels ou encore de la mode ». On précise que « c’était un engagement du président, dans son discours de Ouagadougou, de faire connaître une créativité culturelle africaine contemporaine et la faire mieux connaître en France ». Le lendemain, Emmanuel Macron inaugurera la nouvelle Alliance française de la ville appelée à devenir « un lieu de rayonnement culturel » et de la francophonie au Nigeria et s’entretiendra notamment avec le prix Nobel de littérature Wole Soyinka.

 

France, mère de la diplomatie économique

« Changer la perception » de la France en Afrique francophone, tel est l’objet affiché de ce déplacement au Nigeria. Autre grand volet de la visite dans ce pays, géant économique du continent avec l’Afrique du Sud, le renouvellement de l’approche économique et l’approfondissement d’une relation économique avec la rencontre avec des jeunes entrepreneurs nigérians et le lancement d’un club d’affaires franco-nigérian. « L’idée de ce club, c’est de contribuer à ce changement de perception, à casser les barrières psychologiques qu’il pouvait y avoir dans le monde économique français vis-à-vis du Nigeria », ajoute-t-on. Il faut « changer la perception sur le Nigeria et d’essayer de faire qu’en entendant Nigeria, on n’entende pas nécessairement en premier lieu Boko Haram insécurité ou piraterie mais également opportunités, première économie africaine et deuxième industrie du cinéma au monde ». Une rencontre entre Emmanuel Macron et de jeunes entrepreneurs nigérians est organisée4.

D’ores et déjà un peu plus de 120 entreprises françaises y sont installées : Total, Axa, Servier, Lafarge, Danone, Peugeot, Schneider Electric, Bouygues, CFAO mais aussi Orange, Eutelsat, Konbini, Essilor, Oberthur, JCDecaux, etc. Un rapprochement mis en œuvre par Business France, une agence chargée d’assister les entreprises françaises à l’étranger, qui a ouvert récemment un bureau à Lagos. « Le Nigeria est le premier partenaire commercial de la France en Afrique. Nous avons ouvert un bureau Business France à Lagos il y a deux ans, y voyant le fort potentiel de développement du pays », expliquait Christophe Lecourtier son directeur général. Delphine Geny-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministère de l’Économie et des Finances ne dit pas autre chose : « Notre but est d’intensifier les relations entre entreprises françaises et entreprises nigérianes. Le Nigeria représente l’avenir, avec le PIB de Lagos qui dépasse les 100 milliards de dollars et une jeunesse en pleine expansion. »

 

France, terre d’accueil

« Les leaders africains doivent prendre soin de leurs réfugiés » déclare Emmanuel en arrivant au Shrine. « Personne n’es là pour faire croire aux jeunes générations que leur avenir se situe en dehors de l’Afrique. Elles doivent le construire ici, sur ce continent, et nous devons les y aider ». Le message est clair. Il s’agit de tarir le flot des départs vers l’Europe. Il s’agit de convaincre que les candidats à l’exil ont plus à gagner en restant dans leur pays plutôt qu’en essayant de traverser le désert et la Méditerranée au péril de leur vie. C’est le message délivré par Emmanuel Macron même si le Nigeria n’est pas le premier pays concerné par les départs. Jupiter est passé de l’humanisme au réalisme. Il est vrai que les dissensions entre Européens lors du dernier conseil lui ont peut-être dessiller les yeux. Faute d’une politique migratoire claire et sérieuse, le risque est grand de faire le jeu des extrêmes à l’avenir.

Emmanuel Macron enregistre aujourd’hui une baisse notable de l’indice de satisfaction des Français (autour de 32 %). « Il ne marche plus sur l’eau et commence à se faire chatouiller les plantes de pied par les algues de l’impopularité »5. Ce qui vaut pour sa politique intérieure vaut également pour sa politique étrangère. Elle commence sérieusement à être mise en doute, pêchant au moins à deux titres : les limites du faire plutôt que dire et les contradictions du « en même temps »6. Par ailleurs, comme le souligne Dominique de Villepin : « Faire des réformes, dormir quatre heures par nuit, travailler avec une toute petite équipe c’est possible pendant quelques mois mais, à un moment ça devient plus difficile. Le risque est de devenir solitaire, arrogant et coupé d’un certain nombre de réalités ». De plus, compter sur la chance est peu conseillé dans la vie internationale. Pas plus que les coups marketing comme sa présence dans la mythique salle de concert de Lagos, New Africa Shine, pour y lancer la Saison africaine en France de 2020. Lorsque l’on se porte au chevet du patient Afrique, il importe de dresser le bon diagnostic pour être en mesure d’administrer le remède idoine. Nous n’en sommes pas encore là !



1 Tanguy Berthement, L’Union africaine peut-elle se réformer en profondeur ?, Le Figaro, 25 juin 2018, p. 19.
2 Christophe Châtelot/Nathalie Guibert, Les djihadistes s’invitent au sommet de l’UA, Le Monde, 3 juillet 2018, p. 3.
3 François Clémenceau, Cinq ans après, pourquoi le Mali reste-t-il si fragile ?, JDD, 1er juillet 2018, p. 13.
4 François-Xavier Bourmaud, À Lagos, Macron parle migration et fait un tour en boîte, Le Figaro, 5 juillet 2018, p. 8.
5 Erik Emptaz, Bulletin de fausses notes, Le Canard enchaîné, 4 juillet 2018, p. 1.
6 Vincent Trémolet de Villers, Faire plutôt que dire, Le Figaro, 4 juillet 2018, p. 1. 

 

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