Enfin, la Syrie autrement...
Par Richard Labévière
Proche et Moyen-Orient.ch
On commençait à désespérer d’une édition française, unanimement acquise aux prétendues « révolution arabes » et prompte à mettre le seul « boucher » Bachar al-Assad au pilori… sans ménager le moindre contre-champ incluant les autres acteurs de la tragédie syrienne. Les Jean-Pierre Filiu, Basma Kodmani, Ziad Majed et autres égéries de la « révolution syrienne » exerçaient, depuis mars 2011, une sorte de terrorisme intellectuel sur la « vérité » de la crise syrienne, au point qu’il était devenu difficile, sinon impossible d’émettre quelques avis contrastés et plus ou moins éloignés des certitudes de ces braves gens ou réputés tels...
Un jour – certainement – cette bande de crétins aura à répondre des gamins qu’ils ont contribué à envoyer à une mort certaine, les encourageant à rejoindre les rangs de la « rébellion syrienne » qu’ils osaient comparer aux… Brigades internationales de la Guerre d’Espagne. En matière de guerre civile, les comparaisons se révèlent souvent périlleuses et les anachronismes historiques plutôt meurtriers. Mal nommer les choses est certainement ajouter à la dureté du monde ! Mais cultiver à ce point la dualité bête et méchante du dictateur sanguinaire exclusivement occupé à exterminer consciencieusement son peuple face à des Casques blancs auréolés de l’esprit-saint humanitaire, tout à la sauvegarde de la veuve et de l’orphelin… devait atteindre – dans la presse et l’édition parisiennes – les sommets himalayens d’une bêtise face à laquelle celle de Bouvard et Pécuchet s’imposerait comme de la clairvoyance. Que n’a-t-on lu, vu et entendu pendant plus de sept ans dans les médias parisiens, fermés à toutes expressions et expertises contradictoires ! Après celles frappant le conflit israélo-palestinien et les génocides rwandais, la censure était de retour en France… La censure est de retour et continue de sévir !
Mais voilà qu’un éditeur courageux ose publier autre chose : Jours tranquilles à Damas, un livre événement signé François Janne d’Othée avec une préface de Myrna Nabhan1. La très belle et désormais classique collection Jours tranquilles à … n’en n’est pas à son coup d’essai après Jours tranquilles à Ramallah de Gilles Kraemer – qui a repris la barre des éditions Riveneuve -, Jours tranquilles à Beyrouth, à Gaza, à l’Est, à Kaboul, au Caire, à Alger, à Jérusalem et à Tripoli nous rapportent d’autres Proche et Moyen-Orient, d’autres perceptions et compréhensions d’autres latitudes. Quel bonheur !
Evidemment l’auteur n’est pas parisien, mais belge (ça explique tout ou presque), spécialisé dans les questions internationales et de proximité. Il collabore notamment au magazine Le Vif/L’Express, vieux routier des conflits du Rwanda, d’ex-Yougoslavie, de Somalie, du Congo et des Proche et Moyen-Orient, sans jamais oublier la Belgique jamais, un laboratoire politique, qui bien que sous notre nez, demeure largement inconnu du grand public français.
Fait de petits récits et reportages bien troussés comme autant de Haïku, ce livre est un véritable enchantement pour l’intelligence et le coeur. On y apprend moult choses remises en situation, dans l’espace, le temps et le commentaire de sources toujours différentes et contrastées. On comprend enfin les difficultés du processus de Genève, le rôle des plus ambigus de la Turquie et l’aveuglement des diplomatie occidentales, notamment celle de la France. Aveuglement ou cynisme ? Les droits de l’homme ont bon dos et l’on ferait bien de regarder de plus près l’évolution du montant des ventes d’armements français à l’Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, Koweït et autres grandes démocraties de la région ! Le cœur commercial a ses raisons que les raisons politique et diplomatique ne connaissent point !
François Janne d’Othée : « je continue d’être surpris par la façon dont les médias dominants se renforcent mutuellement pour dénoncer le « régime syrien ». Les photos de cadavres mutilés attribués au régime reviennent en boucle à chaque fois que Damas arrive en position de force à des négociations. Le manichéisme fonctionne à plein régime avec Bachar al-Assad en méchant, sans se demander si ceux qui sont en face sont plus recommandables. Les images de civils massacrés par les forces loyalistes à Alep-Est ont déferlé, tout comme les opérations de sauvetage menées par les controversés Casques blancs, mais on ne voit jamais les combattants rebelles ni leurs armements. Ils existent pourtant, tout comme leur artillerie qui doit être impressionnante pour pouvoir résister ainsi depuis 2012 ».
Mine de rien, les mythologies les plus fantasmagoriques de l’Armée syrienne libre (ASL) – prétendument « modérée, laïque, sinon démocratique » -, celles des Casques blancs – « humanitaires » au secours des égorgeurs d’Al-Qaïda – des opposants de Damas-sur-Seine et de l’Observatoire-syrien-des-droits-de l’homme, sont impitoyablement déconstruites, de même que le « savoir absolu » des anciens otages, genre Nicolas Hénin qui déclare à un grand quotidien : « Que faire ? Certainement pas renouer avec Bachar al-Assad, certainement pas… » Ainsi soit-il, mais qu’en sait-il ? En effet, ce n’est pas parce qu’on a été pris en otage que la plus grande des lucidités fonderait sur vous comme la vérité révélée. Fabrice del Dongo était bien à Waterloo, mais pourtant il n’a vu que de la fumée et des chevaux…
Attention, attention, les « Grands reporters » français (qualification et dénomination qui n’existent dans aucun autre pays) font exception parce qu’ils sont toujours d’un genre très particulier : omniscients, doués d’une arrogance proportionnelle à l’ignorance qu’ils ont souvent très grande, et en communication permanente avec le bien de l’au-delà le plus kantien : « le ciel étoilé au-dessus de moi, mais la loi morale en moi ! » Oui – en définitive -, le métier de ces nouveaux curés de l’idéologie du moment est de nous faire la morale, alors qu’ils devraient plus simplement et modestement nous informer… Bref, on l’aura compris, Jours tranquilles à Damas rompt, à chaque page, avec cette mélasse parisiano-salonarde qui n’apprend rien et vide les cerveaux.
Deux bémols : la photo de couverture, tirée du blog « Un œil sur la Syrie », une autre officine de propagande lourde qu’il faudrait mieux abandonner à la critique rongeuse des souris et un hommage apologétique de Haytham Manna, un opposant prétendument de « troisième voie », qui ne rêve que d’une chose : être ministre dans un prochain gouvernement syrien de transition. L’auteur de ce beau Jours tranquilles à Damas, devrait – nous semble-t-il – davantage s’interroger sur les financements de cet étrange personnage.
Au moment de refermer Jours tranquilles à Damas avec un sentiment mêlé de grande satisfaction – une part de vérité finit toujours par émerger – et d’ insatisfaction moindre – parce que sur beaucoup d’aspects, il aurait fallu être encore plus sévère (mais le livre reste indispensable à qui veut comprendre quelque chose au conflit syrien), deux nouvelles tombent et font grand sens : la chasse saoudienne vient de commettre une incroyable bavure en détruisant un car d’écoliers au Yémen, plus de cinquante gamins et gamines au ciel ! Dans le même temps, Riyad – qui croit toujours qu’on peut tout acheter – promet 100 millions de dollars « pour aider à stabiliser les zones de Syrie qui ne sont plus contrôlées par l’organisation « Etat islamique ». Evidemment, les princes de la dictaure pétrolière les connaissent bien puisque ce sont eux qui ont inventé Dae’ch et la Qaïda ! Ce sont les mêmes fêlés wahhabites qui financent l’expansion de l’Islam radical dans le monde entier depuis des décennies.
Ce n’est certainement pas demain la veille que Gilles Kraemer – l’heureux créateur de la collection Jours tranquilles à … de Riveneuve-éditions – sera en mesure de nous proposer quelques jours paisibles à Riyad, Djeddah ou Sanaa… Toujours est-il que Jours tranquilles à Damas, c’est du courage et des informations transmises par une belle écriture alerte, sensible et réfléchie, une bonne façon d’affronter la rentrée avec des provisions joyeuses… Bonne lecture et à la semaine prochaine.
Richard Labévière
20 août 2018
1 François Janne d’Othée : Jours tranquilles à Damas – Préface de Myrna Nabhan. Riveneuve-éditions, mai 2018.
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