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(O)Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise... (Proche et Moyen-Orient.ch)

par Guillaume Berlat 3 Août 2018, 06:23 OTAN Impérialisme USA France Russophobie

(O)Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise...
Par Guillaume Berlat
Proche et Moyen-Orient.ch

(O)Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise... (Proche et Moyen-Orient.ch)
« Je ne veux pas d’une Europe qui soit juste une zone de libre-échange rattachée à l’OTAN ». Ségolène Royal ne pouvait résumer aussi en ces quelques mots choisi (prononcés il y a déjà quelques années) le dilemme des Européens face à la machine de guerre américaine qui a pour nom Alliance atlantique et qui a pour siège Bruxelles (plus précisément Evere, à proximité de l’aéroport de Zaventem). Présentée depuis sa création en 1949 comme un instrument de sécurité collective entre alliés (Cf. son article 5), l’Alliance atlantique l’est de moins en en moins. À la recherche permanente de nouveaux adversaires, d’ennemis (le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et de nouveau la Russie après l’URSS), elle peine à justifier sa raison d’être dans un monde déboussolé. Les critiques les plus virulentes, toutes choses égales par ailleurs (seul le général de Gaulle en avait tiré les conclusions en quittant la structure militaire intégrée) ne viennent pas ou plus du continent européen, mais d’Outre-Atlantique, le siège réel de l’église atlantiste.

Elle subit désormais les coups de boutoir du 45ème président des États-Unis, Donald Trump1. C’est pourquoi, le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN (Bruxelles, 11-12 juillet 2018) était aussi attendu que le précédent (25 mai 2017) qui voyait les premiers pas otaniens de Donald Trump, l’arrivée d’un nouvel élu (Monténégro) et l’inauguration d’un nouveau siège de ce machin.

Après avoir été une machine de guerre contre l’URSS, durant toute la durée de la guerre froide, l’OTAN est en permanence à la recherche d’un nouvel élan. Elle n’est en réalité qu’un vulgaire théâtre d’ombre, un théâtre de marionnettes, les ficelles étant tirées à Washington. Désormais, depuis l’arrivée de Donald Trump, la question de la survie de l’Alliance atlantique se pose en termes crus.

LA MACHINE DE GUERRE ANTI-SOVIÉTIQUE

Il est important de rappeler quels sont les objectifs et missions de l’OTAN à sa création en 1949, de s’interroger sur le calendrier de l’élargissement de l’Alliance atlantique avant de mesurer les évolutions enregistrées depuis la fin de la Guerre froide.

Objectifs et missions

L’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN), North Atlantic Treaty Organisation (NATO) en anglais ou Alliance Atlantique est une organisation politico-militaire de sécurité collective créée en 1949 à partir du Traité de l’Atlantique Nord signé à Washington le 4 avril 1949. L’Alliance avait pour vocation initiale d’assurer la sécurité de l’Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en prévenant d’éventuelles réminiscences allemandes et en luttant contre les ambitions de conquête de l’URSS. En 2017, elle regroupe 28 pays en Europe et Amérique du nord, et a signé de nombreux partenariats de défense militaire, notamment avec ses anciens ennemis du bloc soviétique. L’esprit et les buts du traité sont exposés dans le Préambule et dans les trois premiers articles. Le Pacte a pour objet d’assurer collectivement la sécurité des États signataires. La référence à la charte de l’Atlantique de 1941 et à la charte des Nations unies de 1944 est constante. Comme elles, le texte du traité mentionne les grands principes sur lesquels doit reposer l’ordre international : la liberté des peuples, le règne du droit, la justice, la coopération économique et le refus de l’emploi de la force pour résoudre les conflits, sauf en cas de légitime défense.

Membres du club

Les membres fondateurs de l’OTAN sont la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. S’y sont ajouté en 1952 la Grèce et la Turquie, en 1955 l’Allemagne de l’Ouest (RFA), en 1982 l’Espagne, en 1999 la République tchèque, la Pologne et la Hongrie, en 2004, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, en 2009, l’Albanie et la Croatie et en 2017, le Monténégro. On voit bien que le club s’est élargi aux anciens adversaires de la Guerre froide pour conduire ces derniers sur la voie de la démocratie et de l’état de droit mais surtout pour les faire passer de l’état de satellite de l’Union soviétique à celui plus envieux et plus enviée de vassal des États-Unis.

La servitude volontaire n’a pas pris la moindre ride en ce début du XXIe siècle. Jamais n’est posée la question iconoclaste de l’éventuelle adhésion de Moscou à l’OTAN. Les idiots utiles chers à Staline sont légions pour baiser la babouche du grand frère américain. Par ailleurs, le conseil OTAN-Russie (COR) mis en place après l’effondrement de l’URSS n’a pas joué son rôle de liant dans la relation entre les alliés et Moscou. Il est vrai qu’à Evere on préfère la guerre à la paix. Rares sont ceux qui osent s’opposer frontalement aux Américains. Le dogme américain est intangible par nature. Il ne souffre donc pas la moindre discussion.

Le tournant de la fin de la Guerre froide

Avec la chute du mur de Berlin, l’éclatement de l’URSS et la disparition du Pacte de Varsovie, certains esprits rêveurs s’étaient plus à imaginer la disparition de l’OTAN par disparition de l’adversaire, une sorte de « dividende de la paix ». Or, il n’en a rien été. Après quelques semaines de flottement, Washington comprend fort bien le levier d’influence qu’il perdrait en cas da sabordage de l’Alliance atlantique. Et, le NATO et son bras armé, le SACEUR de s’empresser de s’élargir aux anciens ennemis ; d’inventer des missions les plus baroques n’ayant rien à voir avec sa sécurité et celle de ses alliés, de guerroyer en ex-Yougoslavie avant d’aller porter le fer dans le hors-zone, en Afghanistan (2001) et, plus récemment en Libye (2011), en Irak sous couvert de formation (2003). Pourquoi ne pas utiliser à tort et à travers ce machin pour renforcer le fameux lien transatlantique mais aussi, et surtout, pour maintenir ses alliés européens dans un état de servitude ?

Au diable, la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) inscrite en lettres d’or dans les traités européens !2 Elle attendra des jours meilleurs en raison de la règle d’airain qui prévaut aux quatre coins de la planète, à savoir : « Nato First ». Tout juste, tolère-t-on au Pentagone que les courageux Européens jouent les idiots utiles en se chargeant de la dimension civile des opérations civilo-militaires. Cela ne mange pas de pain et ne porte pas atteinte à la prééminence de l’industrie d’armement américaine. Le lobby militaro-industriel des États-Unis peut dormir sur ses deux oreilles tant la vente de matériel américain ne s’est jamais si bien portée.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette survivance anachronique d’un héritier de la guerre froide et qui plus est depuis l’arrivée à la Maison Blanche d’un président ne portant pas dans son cœur le NATO. Peu après sa prise de fonctions, il le jugé « obsolète ». Comme quoi Donald Trump tient parfois des propos censés en disant tout haut ce que d’autres pensent tout bas.

 

LA RECHERCHE D’UN HYPOTHÉTIQUE NOUVEL ÉLAN

Manifestement, Donald Trump, le magnat de l’immobilier ne privilégie pas une approche multilatérale des relations internationales. Sa participation au sommet de 2017 à Bruxelles ne débouche que sur des paroles creuses, sur un sommet pour rien et l’intersommet avec celui de juillet 2018 est médiatiquement marqué par la question du partage du fardeau financier.

Donald Trump, le magnat de l’immobilier

L’homme n’a aucune patience stratégique, dit-on, et déteste les voyages. Sa capacité d’écoute est variable. Ses collaborateurs ne parviennent pas à capter son attention plus de quelques minutes d’affilée et sont donc contraints de lui préparer des fiches particulièrement brèves et extrêmement simples, voire simplistes pour traiter de sujets complexes. À la ruse, il préfère la force3. Aux lenteurs du multilatéralisme, il préfère la rapidité du bilatéralisme. Aux nuances de la diplomatie classique, il préfère le simplisme de la diplomatie numérique (Cf. ses tweets envoyés après s’être drogué aux informations de Fox News). Parfois, il ne cherche ni à faire plaisir, ni à choquer pour gagner la bataille de l’économie et de l’emploi. Le quotidien Le Monde va jusqu’à le qualifier de « brutal et maladroit »4 (brutal certainement, maladroit pas autant qu’on veut bien le dire). C’est bien un pragmatique auquel nous avons à faire, homme d’affaires qui ne s’embarrasse pas de considérations sur l’Histoire. Il sait vendre ses succès pour faire oublier ses échecs. Si Donald Trump apparait comme le grand perturbateur du système international, il est en aussi le révélateur des incohérences avec son parler « cash ».

Un sommet pour rien en mai 2017

A Evere où les 28 inaugurent le nouveau siège de l’OTAN et admettent un 29ème État membre (le Monténégro dont il bouscule ostensiblement le premier ministre), il obtient une implication plus importante de l’Alliance dans la lutte contre le terrorisme5 tout en fustigeant sans ménagement les 23 pays qui doivent des sommes colossales aux États-Unis au titre de leur défense et en refusant l’automaticité de l’application de l’article 5 du traité (engagement de sécurité collective). Il est vrai qu’il n’est pas un adepte des formules diplomatiques controuvées, n’hésitant pas à appeler un chat un chat. Le sujet de la contribution financière des alliées au financement de l’Alliance atlantique est l’un des ses chevaux de bataille préférés sur lesquels il n’hésite pas à bousculer ses alliés, Allemagne en tête. Il estime que nombreux sont ceux qui consacrent moins de 2% de leur PIB à leurs budgets de défense. Il estime que le contribuable américain paie déjà trop pour la sécurité du continent européen et que cela doit impérativement changer. À l’instar de Margaret Thatcher vis-à-vis de l’Union européenne, sa doctrine s’énonce clairement ainsi : « I want ma money back ». À ses yeux, la sécurité a un prix qu’il veut faire payer au prix fort à ses alliés européens. Rien n’est gratuit dans le monde enchanté de l’homme à la mèche blonde qui twitte aussi vite que son ombre ! Il n’appartient pas, selon lui, de faire payer par le contribuable américain ce qui revient au contribuable européen.

Un inter-sommet marqué par la question du financement

Avant le sommet de l’Alliance atlantique, qui débute le 11 juillet 2018 à Bruxelles, le président américain fulmine contre les Européens6. En 2017 déjà, pour son premier sommet de l’OTAN, Donald Trump avait interpellé ses partenaires sur leur participation financière. Le 9 mai 2018, à la veille de son départ pour Bruxelles où les membres de l’Alliance atlantique se retrouvent les 11 et 12 juillet 2018, le président américain martèle de nouveau sa demande pressante. Cette fois, les Européens craignent de surcroît qu’il ne cherche à les diviser, par de possibles concessions à la Russie juste avant sa première grande rencontre bilatérale avec son homologue russe Vladimir Poutine le 16 juillet à Helsinki (Finlande). « Les États-Unis dépensent bien plus pour l’OTAN que n’importe quel autre pays. Ce n’est pas juste, ni acceptable », twitte Donald Trump. « Bien que ces pays aient augmenté leurs contributions depuis que je suis devenu président, ils doivent faire davantage », poursuit-il. Le président américain confirme par ailleurs sa visite au Royaume-Uni en pleine crise sur le « Brexit » le 13 juillet 2018 (il y dénonce le « Brexit mou » de Theresa May, célèbre les louanges du baroque ex-ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson).

Il y a deux semaines, le président américain avait adressé un courrier peu diplomatique à neuf membres de l’OTAN, dont l’Allemagne, le Canada et la Norvège pour les sommer de respecter leur engagement de porter leurs dépenses militaires à 2 % de leur PIB en 20247. Le partage des dépenses est un des principaux thèmes du sommet, confirme le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, lui-même norvégien. L’Allemagne est à 1 % (de son PIB), les Etats-Unis sont à 4 %, et l’OTAN bénéficie bien davantage à l’Europe qu’aux Etats-Unis. Selon certains, les Etats-Unis payent 90 % des frais de fonctionnement de l’OTAN, alors que de nombreux pays sont loin des 2 % (de leur PIB) qu’ils se sont engagés à payer, a encore dénoncé le président américain. Jens Stoltenberg a déclaré dimanche dans l’édition dominicale du Bild que l’Allemagne devait « en faire davantage ».

Dans le même tweet du 9 juillet, Donald Trump évoque également les différends commerciaux qui l’opposent aux Européens. « En plus de cela, l’Union européenne a un excédent commercial de 151 millions de dollars avec les Etats-Unis, avec d’importantes barrières commerciales sur les produits américains. NON ! », a-t-il écrit, confondant les millions avec les milliards. Les Etats-Unis ont en effet accusé en 2017 un déficit commercial d’un peu plus de 151 milliards de dollars vis-à-vis de l’Union européenne. Déçue de l’échec du G7, la France espère que le sommet de l’OTAN « montrera l’unité des alliés et que tous les partenaires fassent les efforts auxquels ils se sont engagés », souligne l’entourage du président français. « Notre crainte, c’est que cela ne soit pas atteint ». « Personne ne sait ce que va dire Trump. Même ses équipes ne le savent pas », s’inquiète une source diplomatique.

Mais par ailleurs, la crainte d’une défaillance américaine en cas d’attaque contre un de leurs alliés, comme le stipule l’article 5 du traité de l’Otan, pousse des Européens à accélérer la cadence pour se rendre autonomes. La France a enrôlé huit autres membres de l’UE, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni, dans un Groupe européen d’intervention capable de mener rapidement une opération militaire, une évacuation dans un pays en guerre ou d’apporter une assistance en cas de catastrophe. « Ces efforts sont complémentaires à ceux menés au sein de l’OTAN », assure Florence Parly, la ministre française des Armées. L’UE et l’OTAN signent le 10 juillet 2018 à Bruxelles une nouvelle déclaration commune sur leur coopération. Encore un inutile chiffon de papier qui gonflera les poubelles de l’Histoire de la relation transatlantique !

C’est qu’au-delà des apparences trompeuses, la réalité est moins séduisante que ne pourraient le faire croire les photos de famille doucereuses et les communiqués à l’eau de rose.

 

THÉATRE D’OMBRES OTANIEN

Il importe de se rendre à l’évidence, l’OTAN est une machine grippée structurellement qui fonctionne sur les apparences, sur un consensus de façade. Elle constitue le triste révélateur d’une diplomatie française d’une France atlantiste, plus que jamais, d’un véritable naufrage de cette diplomatie.

Une machine grippée structurellement

Avec une liturgie désuète (la prétendue vigueur du lien transatlantiques, les officiants du dogme otanien ne cessent de louer le caractère irremplaçable de l’Alliance atlantique, l’existence d’une solidarité juridique forte avec son nec plus ultra, à savoir la clause de solidarité (article 5 du traité de …). Ils passent leur temps à célébrer la munificence du grand frère américain sous le parapluie duquel ils s’abritent pour faire face aux « vents mauvais » qui troublent la quiétude européenne. Chaque jour que Dieu fait, Frère Pentagone récite un nouveau verset de la sainte Bible américano-atlantiste pour piquer au vif le naïfs européen, « serein, contemplatif, ténébreux, bucolique… sur son brin de laurier, dormant comme un loir »8. Le moins que l’on puisse dire est que les grands stratèges de l’OTAN ne sont pas avares de créativité pour inventer la guerre au lieu de préparer la paix et de travailler à l’unité de l’Alliance. On travaille d’arrache-pied sur le char d’assaut de demain, sur la numérisation du champ de bataille, sur la « bataille multidomaine », sur la guerre dans « le haut du spectre »…9. On imagine tous les « war games » avec le méchant ours russe : Crimée, Syrie, mer Baltique…10

À y regarder de plus près, tout ceci n’est qu’un vulgaire écran de fumée, les ficelles se tirant à Washington et non à Evere. Ce 26ème sommet de l’OTAN n’a pas échappé à la règle établie par le président américain pour toutes les grandes réunions internationales. Au nom des intérêts américains, Donald Trump a poursuivi son attaque contre « l’ordre ancien », en semant la discorde au sein des alliés européens, en ciblant de préférence l’Allemagne. Le doute sur la réalité de l’engagement américain en Europe est installé11.

Un consensus de façade

C’est qu’au-delà des sourires obligés, la situation est grave. Face à un président américain qui sait ce qu’il veut à savoir établir un lien entre sécurité et commerce, les Européens sont dans le brouillard le plus total, incapables de définir la moindre stratégie cohérente à la veille de ce 26ème sommet de l’Alliance atlantique. On apprend qu’ils seraient inquiets12. Mais, nous sommes pleinement rassurés en découvrant que « le processus bureaucratique de réforme de l’OTAN se déroule normalement » selon une source gouvernementale française. On met en place une nouvelle structure de commandement (pour quoi faire ?), un noyau d’état-major consacré à la guerre hybride (c’est quoi ce machin ?).

On s’accorde sur les déploiements militaires de la « présence avancée renforcée ». C’est nouveau, ça vient de sortir ! Mais, plus important que le reste, l’OTAN dispose d’un nouveau slogan – comme celui d’un marchand d’illusions, d’un bonimenteur de foires – : « 4 x 30 » pour signifier que l’Alliance sera capable, en 2020, de déployer en moins de 30 jours, 30 bataillons mécanisés, 30 escadrons aériens, 30 navires de combat. Faute d’accord sur la substance, on est au moins d’accord sur la communication. C’est important. Mais, cinq déclarations inoubliables sont adoptées. Elles louent l’unité, la confirmation du lien transatlantique, de la garantie de défense collective des membres. Elles passent sous silence des questions comme le soutien européen aux Kurdes en Syrie, le différend entre la Hongrie et l’Ukraine, l’Afghanistan, l’Irak, la question migratoire soulevé par Giuseppe Conté, les questions d’achat de matériels russes par la Turquie. Que ne ferait-on pas pour préserver un consensus de façade ? On en revient à l’habituelle rigidité langagière otanienne : « Le fond a été abordé, dans une ambiance constructive de travail ». Quel galimatias pour cacher une réalité moins séduisante !

Au terme de ce sommet marqué par des frictions entre Donald Trump et ses alliés, les dirigeants ont tenu à souligner les « avancées » qui en résultent. Mais, quelles sont ces avancées ? « Je crois en l’OTAN », a dit le président américain lors d’une conférence de presse, saluant les « immenses progrès » obtenus, selon lui, en matière d’engagements financiers. « Hier, je leur ai fait savoir que j’étais extrêmement insatisfait de ce qui se passait, et ils ont considérablement renforcé leurs engagements, a-t-il déclaré. Je leur ai dit que je serais très malheureux s’ils n’augmentaient pas leurs engagements de façon substantielle, parce que les Etats-Unis payent un montant énorme. » Et d’ajouter : « Maintenant, nous sommes très heureux d’avoir une OTAN très puissante, très forte, beaucoup plus forte qu’il y a deux jours »13. Amen , le sauveur est arrivé et il a réussi sa mission impossible : tancer les Européens pour leur défaut de paiement tout en recevant leurs louanges appuyées.

Qu’y croire dans ce poker menteur ? Attendons encore quelques jours, quelques semaines pour mesurer l’effectivité du consensus dont on nous rebat les oreilles.

 

La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie14

Depuis que Nicolas Sarkozy lui a fait réintégrer la structure militaire intégrée de l’OTAN, la France est rentrée dans le rang, dans la servitude volontaire en perdant par là-même la marge d’indépendance qu’elle disposait depuis le général de Gaulle et ses successeurs. Désormais, les instructions sont rédigées à Washington. Paris tente de jouer le rôle du brillant second jusqu’ici dévolu à la Perfide Albion (Cf. la déplorable visite d’Emmanuel Macron à Washington). Pourquoi Jupiter ne prendrait-il pas l’initiative de proposer le lancement d’une conférence sur la sécurité en Europe ?15 Tâche ô combien exaltante que de rebâtir la confiance avec Moscou par le lancement de diverses négociation destinées à remplacer la panoplie des traités conclus pendant la guerre froide : forces conventionnelles en Europe, forces nucléaires aujourd’hui caducs, cybersécurité… Que font nos brillants penseurs de la cellule diplomatique jupitérienne ?

Ils préfèrent jouer à la guéguerre dans le PC Jupiter sous l’Élysée alors que leur rôle essentiel est de travailler à la paix et à la sécurité internationales par une approche coopérative et non coercitive (celle des militaires). Involontairement peut-être, ne travaillent-ils pas au retour de la guerre froide avec la Russie au lieu de resserrer le dialogue avec Moscou ? C’est vraisemblablement ce qu’envisage de faire Donald Trump à Helsinki le 16 juillet 2018 lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine. Ira-t-il à Moscou muni d’instructions de ses alliés ? Certainement pas.

À Paris, on confesse être dans le brouillard avant Helsinki. Donald Trump fait ce que bon lui semble et quand cela bon lui semble16 comme le démontre sa volte-face sur la Corée du nord. Le terme « allié » a perdu toute signification précise, toute consistance réelle. À quoi ont servi les galipettes de Jupiter devant Donald tant lors du 14 juillet 2017, lors de sa visite à Washington (il a avalé son chapeau sur le nucléaire iranien), lors du G7 (une fois dans l’avion, le président américain a jeté aux orties le communiqué laborieusement mis au point), en marge de ce sommet de l’OTAN (il paraissait piteux et déboussolé). Il n’est même pas venu au secours de son amie Angela soumise à un tir de barrage du président américain.

Il manque d’une qualité essentielle pour un diplomate de haut vol : n’avoir aucun tabou, avoir un langage de vérité, et c’est cela qui en ferait un chef d’État de la trempe du général de Gaulle. Il n’est pas visionnaire car il noie les vrais débats sous de faux enjeux. C’est véritablement un aveuglement international qui nous coûte très cher aujourd’hui, et encore plus demain (en Syrie en particulier avec la reprise de Deraa par le régime syrien qui ne nous conduit pas à changer notre fusil d’épaule17) puisque nous sommes face à des maux de notre diplomatie que nous n’arrivons pas à nommer pour ne pas nous renier.

Quant à notre compatriote en poste au secrétariat de l’Alliance, Camille Grand, ancien de la FRS, de la Défense et du Quai d’Orsay (qu’il n’a pu intégrer), il passe le mur du ç… : « se veut rassurant sur les relations entre les États-Unis et l’Europe sur les questions de Défense », affirmant dans les colonnes des Échos que, « malgré les critiques adressées aux Alliés par le président Trump, il y a aux États-Unis un consensus assez large sur le soutien à l’OTAN et à la relation transatlantique ». Fallait oser le faire ! Ce monsieur tient à son traitement de nabab que lui sert le NATO pour servilité affirmée.

SOMMET DE LA CONCORDE OU SOMMET DE LA DISCORDE ?

Le plus grand risque que court aujourd’hui l’Alliance atlantique ne vient pas de l’Est de l’Europe (le méchant ours russe) mais surtout de l’Ouest, plus spécifiquement d’Outre-Atlantique et de l’actuel occupant de la Maison Blanche. Donald Trump ne déclare-t-il pas qu’il a trois adversaires : l’OMC, l’Union européenne et l’OTAN ? Il juge cette dernière aussi mauvaise que l’ALENA. À Bruxelles, il ne retient pas ses coups contre les alliés et envoie un direct du droit à la très faible Angela Merkel (il l’accuse d’être sous le contrôle de la Russie dont elle dépend pour ses approvisionnements en gaz). KO, cette dernière répond sur un mode « soft »18.

C’est qu’à travers elle, le président américain entend affaiblir l’Union européenne en même temps que l’OTAN. D’une pierre, il fait en fait deux coups. Bravo l’artiste ! Il est un peu plus stratège que l’on veut bien le dire dans les médias de la bienpensance parisienne. Lorsqu’une action répétée comporte un danger, celui-ci finit toujours par se concrétiser. Le proverbe est parfois employé lorsque c’est l’usure d’un objet qui cause le dégât final. Pourtant, son sens évoque plutôt un accident dû à la répétition d’un même risque, et finalement à une maladresse inévitable en termes statistiques. La cruche, objet basique et sympathique, est en effet inusable, mais fragile…19

Il semble en aller de même avec l’OTAN qui met à jour la faille transatlantique20 depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Si bien qu’après ce sommet de Bruxelles de juillet 2018, on pourrait dire et redire à qui veut l’entendre : (O)TANT va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise.

Guillaume Berlat
16 juillet 2018

1 Guillaume Berlat, Le monde selon Donald Trump…, www.prochetmoyen-orient.ch , 29 mai 2017.
2 Alexandra de Hoop Scheffer/Martin Quencez, L’Europe de la défense sert l’intérêt des États-Unis, Le Monde, 11 juillet 2018, p. 23.
3 Jean-Vincent Holeindre, La ruse et la force. Une autre histoire de la stratégie, Perrin, mai 2017.
4 Éditorial, Donald Trump, brutal et maladroit, Le Ponde, 27 mai 2017, p. 22.
5 Nathalie Guibert/Jean-Pierre Stroobants/Gilles Paris, La visite de Trump à l’OTAN dominée par le terrorisme, Le Monde, 25-26 mai 2017, p. 4.
6 Nathalie Guibert/Jean-Pierre Stroobants, À l’OTAN, Trump étrille ses alliés européens, Le Monde, 13 juillet 2018, p. 2.
7 Gilles Paris, Trump toujours plus virulent contre l’Europe, Le Monde, 10 juillet 2018, p 4.
8 Georges Brassens, Trompettes de la renommée, chanson de 1962.
9 Nathalie Guibert, Guerres. Le char d’assaut contre-attaque, Le Monde, 8-9 juillet 2018, pp. 16-17.
10 OTAN versus Russie, Géopolitique, Le Monde, 8-9 juillet 2018, p. 18.
11 Martine Orange, Au sommet de l’OTAN, Trump poursuit son travail de sape contre l’Europe, www.mediapart.fr , 12 juillet 2018.
12 Nathalie Guibert/Jean-Pierre Stroobants, Un sommet dans l’inquiétude pour les membres de l’OTAN, Le Monde, 11 juillet 2018, p. 5.
13 À l’issue de la réunion de l’OTAN, les dirigeants saluent des « avancées », www.lemonde.fr , 12 juillet 2018.
14 Jean Daspry, La France atlantiste, www.prochetmoyen-orient.ch , 10 juillet 2017.
15 Renaud Girard, OTAN : vers un nouveau pacte de sécurité ?, Le Figaro, 10 juillet 2018, p. 17.
16 Jean-Jacques Mével, OTAN : le président américain revendique sa victoire face aux alliés européens, Le Figaro, 13 juillet 2018, p. 6.
17 Jean-Pierre Perrin, La rébellion syrienne perd Deraa, le « berceau » de la révolution, www.mediapart.fr , 12 juillet 2018.
18 Thomas Wieder, Angela Merkel résiste aux foucades du président américain, Le Monde, 13 juillet 2018, p. 2.
19 http://les-proverbes.fr/site/proverbes/tant-va-la-cruche-a-l%E2%80%99eau-qu-a-la-fin-elle-se-casse/
20 Jacques-Hubert Rodier, L’OTAN à l’heure de la faille transatlantique, Les Échos, 10 juillet 2018, p. 9.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat 16-07-2018

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