Il est récemment devenu évident qu’Israël est engagé dans une guerre secrète contre l’Iran en Syrie. La guerre se déroule principalement au moyen de la puissance aérienne, probablement associée au travail de renseignement nécessaire pour fournir aux forces de l’aviation du pays des cibles pertinentes. Il existe également des preuves que les assassinats ciblés font partie des tactiques d’Israël en Syrie. L’objectif de cette campagne, comme l’ont clairement indiqué de hauts responsables tels que le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Avigdor Lieberman, est le retrait complet des forces iraniennes et de leurs intermédiaires de la Syrie.
Compte tenu de la stratégie du gouvernement, cet objectif est peu susceptible d’être atteint. Mais son objectif moins ambitieux de perturber les efforts de Téhéran pour se consolider et s’implanter en Syrie est à portée de main.
Israël a mené des frappes périodiques contre le régime syrien et les cibles du Hezbollah pendant toute la guerre civile. À partir de cette année, toutefois, la fréquence de ces attaques a considérablement augmenté et et il acommencé à cibler directement des installations et du personnel iraniens. La disparition imminente de la rébellion syrienne a stimulé ce changement.
Tant que l’insurrection est restée viable, Israël s’est contenté d’observer dans les coulisses. Tout au plus, le gouvernement israélien a maintenu des relations limitées avec les rebelles dans la région de Quneitra pour s’assurer que la guerre n’atteigne pas la frontière avec les hauteurs du Golan tout en intervenant sporadiquement pour perturber l’approvisionnement en armes du Hezbollah au Liban. En outre, Israël se contentait de permettre au régime de Bachar al-Assad et à l’Iran, ainsi qu’aux rebelles islamistes majoritairement sunnites, de se soumettre mutuellement à un processus d’attrition mutuelle.
Cette année, cependant, il est devenu clair que la rébellion, grâce à l’intervention iranienne et russe, allait être vaincue. Israël ne pouvait plus se permettre le luxe d’une relative inaction s’il voulait empêcher la consolidation d’une infrastructure indépendante de pouvoir militaire et politique par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGR) sur le sol syrien, sur la base de ses bases existantes au Liban et en Irak. Le ciblage direct par Israël de cette infrastructure naissante a commencé peu après.
Il est difficile de retracer les contours précis de cette campagne, compte tenu de la réticence d’Israël à assumer la responsabilité des attaques. Il est également parfois dans l’intérêt tant de Téhéran que du régime d’Assad d’éviter de faire connaître les frappes israéliennes.
Mais il est clair que les affrontements les plus importants se sont déroulés le 10 mai, lorsqu’en réponse aux forces iraniennes qui avaient tiré des roquettes Grad et Fajr-5 sur des positions israéliennes sur les hauteurs du Golan, Israël a lancé une vaste opération aérienne contre les infrastructures iraniennes dans toute la Syrie.Selon les chiffres du ministère russe de la Défense, cette opération a impliqué 28 avions et 70 tirs de missiles. Les cibles incluaient diverses installations entretenues par le CGR en Syrie: un complexe militaire et un complexe logistique géré par la Force Qods, une unité paramilitaire d’élite du CGR, à Kiswah ; un camp militaire iranien au nord de Damas ; des sites de stockage d’armes appartenant à la force Qods à l’aéroport international de Damas, ainsi que des systèmes et des installations d’espionnage associés à la force Qods.
Mais Netanyahou a récemment indiqué que la campagne n’était pas terminée. « Les forces de défense israéliennes continueront d’agir avec toute leur détermination et toute leur force contre les tentatives de l’Iran de placer des forces armées et des systèmes d’armes avancés en Syrie », a déclaré Netanyahou en public le 29 août à Dimona.
Israël a semblé exprimer sa détermination à agir en prenant part à une série d’explosions le week-end dernier à l’aéroport militaire de Mezzeh, près de Damas. Le site Internet pro-régime Al Mayadeen et l’Observatoire syrien des droits de l’homme en faveur des rebelles ont attribué l’attaque à Israël, qui n’a rien dit à ce sujet. La télévision d’É tat syrienne et l’agence de presse officielle SANA ont par la suite nié qu’une attaque israélienne avait eu lieu.
Une attaque aérienne contre un convoi iranien près de Tanf, dans le sud de la Syrie, le 3 septembre, a également eu lieu sans aucune revendication officielle de responsabilité. Un citoyen iranien et sept Syriens ont été tués dans l’attaque, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. La coalition anti-islamique dirigée par les États-Unis maintient une base à Tanf, mais la coalition a nié toute implication dans l’incident. Tanf, bien sûr, est loin à l’est du passage de Quneitra et des hauteurs du Golan. Mais les préoccupations d’Israël ne sont pas uniquement ou principalement liées à la zone frontalière. Israël semble également préoccupé non seulement par l’infrastructure matérielle, mais aussi par le passage de miliciens associés à l’Iran à la frontière entre l’Irak et la Syrie
À la mi-juin, une attaque aérienne a eu lieu à Harra, au sud-est d’Albu Kamal, à la frontière syro-irakienne. La cible était une base de la milice du Kataeb Hezbollah, une force irrégulière soutenue par l’Iran. Vingt-deux membres de l’organisation ont été tués lors de cette frappe. Aucun pays n’a revendiqué l’attaque. Un commandant de milice iranien cité par Reuters a déclaré que les États-Unis en étaient probablement responsables. Une telle action serait toutefois directement contraire à l’approche généralement observée des États-Unis concernant les milices chiites irakiennes. Washington cherche la défaite politique des milices mais s’inquiète aussi d’éviter les affrontements militaires entre les éléments politiques en Irak. Enfin, les assassinats non attribués d’Aziz Asber, chef du Centre d’études et de recherches scientifiques syriennes à Masyaf, et d’Ahmad Issa Habib, commandant du département des renseignements militaires palestiniens du 5 août et du 18 août, ont conduit à certaines spéculations quant à une possible responsabilité israélienne.
Ce qui est donc en train de se passer, c’est une campagne destinée à perturber la tentative de l’Iran de consolider et d’approfondir son projet en Syrie. La campagne israélienne va-t-elle réussir ? Il est difficile de voir comment le pays peut atteindre son objectif optimal de retrait total de l’Iran de la Syrie. L’investissement iranien en Syrie est très important, officiel et de longue date. Téhéran a dépensé plus de 30 milliards de dollars dans le pays au cours des sept dernières années. Le projet iranien est également multiforme. Il comprend la création de structures au sein des forces de sécurité officielles de la Syrie, telles que les forces de défense nationales et les déploiements de milices. Les attaques aériennes et les assassinats ciblés sont peu susceptibles en soi d’aboutir à une décision stratégique de l’Iran de revenir en arrière et d’abandonner tous ces investissements.
Il est peut-être plus juste de considérer la campagne d’Israël comme l’un des éléments d’un effort plus large et plus multiple visant à contenir et à faire reculer les acquis de l’Iran de ces dernières années dans la région. Les nouvelles sanctions dirigées par les États-Unis et les efforts déployés par d’autres États régionaux ailleurs constituent des fronts supplémentaires dans cette campagne.
Au vu de l’ampleur et de la diversité de l’engagement iranien en Syrie et des actions israéliennes relativement sporadiques (même si elles sont énergiques), il est probable qu’un combat long et à l’issue incertaine est devant nous. La campagne israélienne ne ressemble en rien à l’approche du pays vis-à-vis d’autres zones agitées à ses frontières, comme le sud du Liban contrôlé par le Hezbollah et la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. C’est la méthode habituelle consistant à « couper l’herbe sous le pied » – bien qu’effectuée sur une pelouse beaucoup plus grande et en utilisant une gamme d’équipements plus large et plus complexe à cet effet.
Source : Foreign Policy, Jonathan Spyer, 07-09-2018
*Jonathan Spyer est un analyste, écrivain et journaliste britannique d’origine israélienne. Il est membre du Jerusalem Institute for Strategic Studies et du Middle East Forum, analyste indépendant de la sécurité et correspondant pour IHS Jane’s, et chroniqueur pour The Jerusalem Post.
Lu sur Les Crises
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