Sergei Skripal aurait travaillé avec les services secrets espagnols
Par Michael Schwirtz & Jose Bautista
The New York Time
Il semble que Sergei V. Skripal, l’ancien espion russe empoisonné en Angleterre au moyen d’un puissant agent neurotoxique, ait travaillé au cours des dernières années avec des agents du renseignement en Espagne, un pays bloqué dans une bataille rangée avec les groupes membres du crime organisé russe, certains de ceux-ci étant en lien avec le gouvernement russe.
Le récit des activités de M. Skripal en Espagne, fourni par un haut fonctionnaire espagnol et un auteur qui suit les activités de l’appareil se sécurité espagnol, apporte de nouveaux détails à une enquête aui a enflammé les relations entre la Russie et l’Ouest.
Selon certains représentants européens, plutôt que de simplement vivre une vie tranquille de retraité, M. Skripal, ancien agent des services de renseignement militaire russe, a continué à fournir des informations à des espions situés en République Tchèque et en Estonie. A présent, il semble qu’il ait également été actif en Espagne.
Cette révélation ajoute encore une frappante similarité entre l’affaire concernant M. Skripal et celle qui concernait l’ancien agent opérationnel du renseignement russe Alexander Litvinenko, décédé à Londres en 2006 après avoir été empoisonné par un isotope radioactif, le polonium 210. Les autorités espagnoles ont reconnu avoir engagé M. Litvinenko dans une campagne de lutte contre les grandes figures du crime organisé russe en Espagne.
M. Skripal a une longue histoire avec l’Espagne. En tant que colonel dans une agence de renseignement militaire russe plus largement connue sous l’appellation GRU [direction générale du renseignement], il a été en poste à Madrid au milieu des années 1990 où il a travaillé sous couverture comme attaché militaire à l’ambassade russe.
D’après des notes des tribunaux russes, c’est là qu’il aurait été recruté comme agent double par les services de renseignement britanniques. Ceci aurait déclenché une large suite d’événements : son arrestation en 2004 en Russie, sa libération lors d’un échange d’espions avec les États-Unis en 2010 et sa réinstallation en Angleterre cette même année.
Mais au cours des dernières années, M. Skripal est retourné en Espagne pour assister à plusieurs réunions avec des agents de son service de renseignement, le CNI [Centro Nacional de Inteligencia], même si le contenu et le timing précis de ces réunions sont secrètes, selon le fonctionnaire et auteur espagnol Fernando Rueda.
« Il a continué à venir en Espagne », a indiqué M. Rueda, faisant référence à des conversations avec des agents du renseignement espagnol.
En mars dernier, M. Skripal et sa fille Yulia ont été empoisonnés dans leur maison en Angleterre par une souche rare et mortelle d’un agent neurotoxique sous le nom de Novichok. Ils en sont presque morts.
L’Angleterre a accusé la Russie d’avoir empoisonné M. Skripal et mercredi, elle a annoncé les premières mises en examen dans cette affaire en identifiant deux agents du renseignement rattachés au GRU. Au cours de leur enquête, les enquêteurs britanniques ont diffusé des images de caméra de surveillance montrant les 2 agents russes se rendant sur la scène de crime puis de retour à Moscou.
Jeudi, les dirigeants américains, français, allemands ainsi que ceux d’autres pays ont publié un communiqué dans lequel ils expriment leur « entière confiance » dans l’estimation britannique selon laquelle l’attaque dont a été victime M. Skripal a été perpétrée par les deux agents russes. S’adressant au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, l’ambassadrice britannique Karen Pierce a soulevé la possibilité de nouvelles sanctions contre la Russie qui a nié de façon virulente toute implication dans l’empoisonnement.
Les résultats de l’enquête britannique, particulièrement l’implication des deux agents du GRU, suggère que l’empoisonnement était un acte de représailles de la part des anciens collègues de M. Skripal.
Mais un acte de représailles pour quoi exactement ?
Six mois après l’empoisonnement, les raisons de cet acte restent floues. Était-ce une attaque purement symbolique, un avertissement lancé aux autres agents opérationnels russes pour leur rappeler de rester loyaux ? Ou M. Skripal a-t-il fait quelque chose pour mettre ses anciens camarades en colère ?
Dans les années qui ont suivi son installation en Angleterre, M. Skripal ne s’est pas caché dans sa cité d’adoption de Salisbury, allant boire un verre dans les pubs locaux et faisant cuire des saucisses dans son jardin.
Mais il s’est rendu à Prague en 2012 où il a eu un déjeuner arrosé avec des agents des services de renseignement tchèques. Il est aussi allé dans la capitale estonienne de Tallin en 2016 où il a rencontré des espions locaux. A chacun de ses voyages, qui étaient approuvés et organisés par le service du renseignement extérieur britannique, le MI6, il a partagé ses connaissances des méthodes russes d’espionnage et il a possiblement fourni des informations qui ont conduit à l’expulsion d’agents sou couverture.
« Cela a permis d’améliorer notre travail », a indiqué un fonctionnaire européen qui était au courant de la tenue de ces réunions.
Malgré tout, l’Espagne est un cas à part.
Depuis la chute de l’empire soviétique, l’Espagne est le refuge des patrons russes du crime et des fonctionnaires corrompus amateurs de Lamborghinis et de superbes villas sur la Costa del Sol. Certains sont soupçonnés d’entretenir des relations avec le Kremlin.
Les visites continuelles de M. Skripal en Espagne ont été confirmées par un haut fonctionnaire toujours en poste qui n’a pas souhaité fournir plus de détails. Mais d’anciens fonctionnaires ont indiqué que M. Skripal aurait été particulièrement utile à la répression opérée contre le crime organisé russe.
« Depuis le début, nous avions un gros problème », a indiqué un chef de la police espagnole à présent à la retraite qui a accepté de parler de certaines enquêtes confidentielles à condition de rester anonyme. « Nous ignorions le phénomène russe et son crime organisé. Nous ne savions pas comment ils opéraient. »
« Skripal, Litvinenko », a-t-il dit, « ils ont donné une image plus précise de la réalité. »
Le procureur espagnol et les enquêteurs ont reconnu avoir travaillé avec Litvinenko, un expert du crime organisé russe qui s’est enfui d’Angleterre après une dispute en public avec Vladimir V. Poutine alors qu’il était directeur du Service Fédéral de Sécurité.
Au cours de l’enquête britannique sur la mort de Litvinenko, l’avocat de sa famille a affirmé qu’il était lui aussi un agent rémunéré de l’agence de renseignement espagnole et qu’il avait planifié de se rendre en Espagne pour remettre des preuves de possibles liens entre le Kremlin et des grandes figures de crime organisé russe. Il a été tué avant d’avoir pu faire ce voyage.
Les fonctionnaires ne veulent pas dire si M. Skripal état impliqué dans ce même type d’activités ou si, comme en Estonie ou en République Tchèque, il ne donnait que des conférences à des espions espagnols. De tels déplacements n’auraient pas été illégaux et ne sont pas rares de la part d’anciens espions essayant de rester utiles.
Cependant, les collègues russes de M. Skripal auraient pu avoir un point de vue différent sur la chose.
Aleksandr Gusak, un colonel du Service Fédéral de Sécurité à présent à la retraite, a passé beaucoup de temps à réfléchir au cas des traîtres. Il était l’officier supérieur de M. Litvinenko au moment où il a fui en Angleterre. Selon lui, les russes avaient une sorte d’antipathie génétique à l’égard des traîtres, même s’il a ajouté que s’il avait mené l’attaque contre M. Skripal, il aurait utilisé « un sabre plutôt qu’un spray ».
« J’ai été élevé avec des idées soviétiques », a indiqué M. Gusak. « Pour moi, les traîtres, vous leur crachez dessus, vous les attrapez et vous leur tirez une balle. Ou vous les pendez et pissez sur leur tombe. »
Source : The New York Times, Michael Schwirtz & Jose Bautista, 06-09-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
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