Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Comment fonctionne vraiment la propagande cinématographique de guerre ?

par Matthew Alford et Tom Secker 22 Janvier 2019, 11:27 Hollywood Propagande Armée US Film USA

Comment fonctionne vraiment la propagande cinématographique de guerre ?

Cela va bien au-delà des bureaux de liaison du gouvernement en matière de divertissement.

 

En tant que coauteurs de « National Security Cinema » [« Cinéma de sécurité nationale », NdT], nous sommes connus – à tort – pour encourager deux idées majeures :

1. Que le gouvernement est vraiment important pour rendre les films plus militaristes.

2. Que Hollywood ne produit pas de films dissidents.

Alors que la première est quelque peu vraie, il s’agit d’une simplification, la seconde est un mensonge.

Le gouvernement participe à un éventail de projets de divertissement aussi vaste que vous pouvez l’imaginer, allant des jeux vidéo aux émissions débat, aux blockbusters et aux docudrames. Bien que beaucoup d’entre eux aient été militaristes dès leur conception, avant que le gouvernement n’intervienne, il ne fait aucun doute que le ministère de la Défense (alias le Pentagone) a encouragé la militarisation de la culture populaire et cherche activement à accroître son influence à Hollywood.

Cependant, nous tenons à souligner que le soutien du gouvernement n’est en aucun cas une condition préalable à la réalisation de films militaristes par Hollywood. Le sous-genre que nous avons proposé – le « cinéma de sécurité nationale » – ne nécessite pas nécessairement l’implication de l’appareil de sécurité nationale dans le processus de production.

 

 

Cinéma de sécurité nationale – Au-delà du gouvernement

Certains de ces exemples sont vraiment frappants. Prenons l’exemple de Rambo III (1988), dont l’action se déroule pendant la guerre soviétique en Afghanistan. Le film diabolisait les Soviétiques et dépeignait nos alliés de l’époque, les moudjahidin islamiques, comme des héros – quoique sauvages et stupides (en accord avec les stéréotypes hollywoodiens de longue date sur les Arabes).

Ce portrait est cohérent avec d’autres films qui ont été tournés pendant cette guerre, avant et après, comme le film de James Bond The Living Daylights (1987) [Tuer n’est pas jouer, NdT] et Charlie Wilson’s War (2007) [La guerre selon Charlie Wilson, NdT]. Bien que Rambo III ait techniquement reçu un certain soutien du Département d’État, cela n’a pas affecté le scénario, et le film reflétait en grande partie la politique du gouvernement américain sur les stéroïdes.

De même, American Sniper (2014) a été produit sans soutien gouvernemental, bien qu’il soit basé sur l’autobiographie du sniper militaire très décoré Chris Kyle. La Marine a été approchée en 2013 lorsque Steven Spielberg a été rattaché à la réalisation, mais après que « M. Strub [chargé de la liaison avec Hollywood au ministère de la Défense] ait reçu et revu le scénario », il a « refusé [le] projet ». Il n’y a pas eu de négociations sur le scénario et aucune participation des bureaux de liaison des divertissements.

Extrait du rapport du bureau de liaison des divertissements de l’US Navy, juin 2013

 

De tous les films dont nous discutons dans les médias, American Sniper est probablement le plus détesté, car il « héroïse » étrangement un véritable psychopathe du monde réel – mais n’oubliez pas qu’il vient de Hollywood, et non du Pentagone. Bien qu’il ait été rejeté par le ministère de la Défense et fermement condamné par certains critiques et le public, American Sniper a été nominé pour six Oscars, dont celui du meilleur film.

Bradley Cooper dans le rôle de Chris Kyle dans American Sniper

 

A l’autre extrémité de l’échelle de qualité, dans From Paris with Love (2010), James Reese est un agent de second plan de la CIA qui n’a jamais tué personne. Il est associé à un agent spécial grizzli joué par John Travolta. La première tâche de Reese est d’aider Travolta à faire passer une arme à feu par les douanes françaises. Travolta tire sur plusieurs terroristes qui travaillent dans un restaurant indien apparemment banal, puis fait exploser le plafond pour révéler une cargaison de drogues.

Reese apprend que sa fiancée est un agent « dormant » chargé de vivre avec lui et, bien qu’il fasse tout son possible pour la calmer, elle ne peut finalement être arrêtée que quand Reese lui tire une balle dans la tête. Dans la scène finale, Reese montre sa nouvelle arme et Travolta acquiesce d’un signe de tête, comme si tout le film était en train de devenir une sorte de publicité bizarre pour les armes de poing, la brutalité policière, et le meurtre du conjoint – ce qui est essentiellement le cas.

Enfin, examinons The Peacemaker (1997) [Le pacificateur, NdT], qui est également remarquable, mais pour différentes raisons. Le film mettait en vedette un notable activiste anti-guerre (George Clooney), était le premier film du studio libéral DreamWorks SKG, et était inspiré du livre One Point Safe [ce titre désigne un système de protection contre le déclenchement accidentel d’une arme nucléaire, NdT], des journalistes Andrew et Leslie Cockburn. À eux deux, les Cockburn avaient écrit des livres qui critiquaient les relations israélo-américaines, la guerre secrète américaine au Nicaragua et le secrétaire à la Défense de l’époque Bush, Donald Rumsfeld.

Néanmoins, The Peacemaker a fait tout son possible pour souligner à quel point les États-Unis attachent de l’importance au caractère sacré de la vie des civils – même quand le personnage de George Clooney insiste pour qu’un tireur d’élite tue un terroriste pour empêcher une explosion nucléaire à New York, ce dernier ne le fait tout de même pas parce qu’un enfant est à proximité.

George Clooney et Nicole Kidman dans The Peacemaker

La directrice Mimi Leder a déclaré : « Nous sommes un monde vulnérable et nous devons nous protéger. C’est un message que j’espère faire passer avec le film ». Dans ces conditions, The Peacemaker y parvient – il suggère en effet que nous devons nous « protéger » de tout le Moyen-Orient, en particulier de l’Irak (que Clooney empêche d’acquérir des armes chimiques) et de l’Iran.

La solution implicitement préconisée est la violence ciblée exercée avec l’assentiment de l’État, incluant la violation de l’espace aérien russe. Il devient clair que Leder veut vraiment dire que les États-Unis soient le pacificateur dans son titre et il y a bien peu de signes d’ironie de sa part. Encore une fois, ni le Pentagone ni la CIA n’étaient impliqués.

 

 

Qu’en est-il des passages dissidents de ces films ?

En ce qui concerne les films dissidents ou radicaux, là encore, le tableau est plus complexe que ne le permettent les affirmations générales. Même les produits parrainés par l’État contiennent souvent du matériel qui ridiculise ou critique le pouvoir en place. Iron Man contient une scène où le protagoniste, Tony Stark, met en scène le complexe militaro-industriel et la corruption de l’industrie de l’armement.

Transformers II met en scène un personnage adepte des théories conspirationnistes qui insiste (à juste titre – dans le film) sur le fait que le gouvernement couvre l’existence de robots géants extraterrestres.

Goldeneye comprend une blague sardonique où M dit : « Contrairement au gouvernement américain, nous préférons ne pas recevoir nos mauvaises nouvelles de CNN ». Ces trois productions ont été soutenues par le Pentagone, qui avait un droit de veto ligne par ligne sur les scripts.

Dans le même ordre d’idées, Shooter (2007) et le remake télévisé (2016) présentent tous deux un complot visant à piéger un ancien tireur d’élite militaire pour tentative d’assassinat contre le président américain. Le film et la télévision comportent tous deux un dispositif qui peut être utilisé pour simuler un suicide par arme à feu.

Dans le film, il est utilisé par les conspirateurs pour tenter de tuer un agent du FBI et faire croire qu’il s’est tiré dessus. Malgré cela, le FBI a soutenu la production, et s’est même vanté de l’avoir fait sur son site Web. Le remake télévisé de Shooter, qui comporte également un dispositif pour mimer un suicide dans un épisode, semble avoir été soutenu par la CIA.

Dispositif visant à mimer un suicide dans Shooter

Cependant, ce sont des films dont l’impact est limité plutôt que des critiques sérieuses et durables de l’État qui interpellent le public une fois le film terminé. Le contenu global de ces films est infailliblement pro-gouvernemental et pro-guerre, même s’ils contiennent des arguments sur la meilleure façon de mener ces guerres.

Cette stratégie de propagande est plus subtile que les efforts criards et superficiels de pays plus ouvertement oligarchiques, et se résume par une participation du ministère de la Défense à la matrice hollywoodienne. Le film Dive Bomber de 1941 a été soutenu par la Marine en tant que « film de préparation » pour la Seconde Guerre mondiale. Même si « certaines personnes s’opposaient à la mort de certains pilotes qui pourrait nuire à leur image », la Marine a fait valoir que « si le film montrait seulement un côté positif, il serait qualifié de propagande ».

Afin de déguiser efficacement la propagande d’État en divertissement impartial ou apolitique, les critiques limitées et/ou les représentations négatives sont autorisées.

 

 

Les films anti-guerre et le cinéma de la dissidence

En dehors du domaine subventionné par le gouvernement, Hollywood produit un nombre raisonnable de films dont le contenu global est critique à l’égard de l’État, et pas seulement ponctuellement au milieu d’un récit pro-État. The East (2013) a été produit par Fox Searchlight mais était basé sur les expériences réelles du réalisateur Zal Batmanglij et de la star Brit Marling qui ont pratiqué le freeganisme [mode de vie alternatif consistant à consommer des produits gratuits et vegans, NdT] pendant l’été 2009. Marling a commenté :

Nous avons appris à sauter dans les trains, nous avons appris à dormir sur les toits, nous avons appris à réclamer l’espace qui procure un sentiment d’intimité. Nous avons rejoint ce collectif anarchiste.

 

Le film s’articule autour d’un groupe éco-anarchiste appelé The East, qui fait des « crasses » très sophistiquées contre les chefs d’entreprise, allant du remplissage de la maison d’un dirigeant avec du pétrole brut à l’empoisonnement du conseil d’administration d’une société pharmaceutique militaire avec leur propre médicament.

Alors que la moralité des actions du groupe The East est remise en question, en particulier lorsqu’un des membres est abattu par des gardes armés, l’immoralité de leurs cibles n’est pas contestée. Marling y joue en tant qu’agent infiltré travaillant pour une société de renseignement privée, qui infiltre The East mais qui est attiré par leur idéologie radicale et la bravoure de leurs opérations.

Britt Marling et Alexander Skarsgård dans The East

 

The East a reçu des critiques très positives, mais n’a été diffusé que dans quatre cinémas. Bien qu’il ait rapidement pris de l’ampleur une fois que le film s’est avéré populaire auprès du public, il a atteint un sommet de 195 salles au cours de sa quatrième semaine avant que l’intérêt pour le film s’estompe. Cette distribution limitée n’a nécessité que 2,4 millions de dollars à l’échelle mondiale, pour un budget de 6,5 millions de dollars.

À titre de comparaison, la superproduction After Earth de Will Smith a été présentée la même fin de semaine dans plus de 3 400 cinémas, ce qui a permis à ce film d’action aux mauvaises critiques et peu original de rapporter près de 250 millions de dollars dans le monde. Malgré un revenu moyen par salle environ deux fois supérieur à celui d’After Earth, The East a été diffusé moins longtemps, dans beaucoup moins de cinémas, ce qui a entraîné une perte pour ce film qui a été beaucoup mieux accueilli par le public et la critique.

Jeremy Renner dans le rôle de Gary Webb dans Kill the Messenger

 

Kill the Messenger [Secret d’État, NdT] (2014) a subi un sort similaire. Le producteur et vedette Jeremy Renner était si enthousiaste à l’idée de faire un film sur la vie du journaliste Gary Webb et de révéler l’implication de la CIA dans le trafic de drogue, qu’il a fondé sa propre société de production et investi son propre argent. Renner a expliqué que les grands studios « ne balançaient pas d’argent » sur des films comme Kill the Messenger, et donc :

Afin de protéger ma carrière et d’avoir un contrôle de la qualité du contenu que je voulais créer, j’ai fondé une entreprise qui développerait le matériau ou serait à la recherche de ce matériau qui me donnerait envie d’aller travailler, d’être défié.

 

Comme The East, Kill the Messenger est en partie un hommage aux grands thrillers conspirationnistes des années 1970, retraçant la recherche par Webb de l’identité de la personne derrière le commerce illégal de la drogue de Los Angeles, l’assassinat qui en a résulté inspiré par la CIA, et son suicide éventuel des années plus tard. Il a été bien accueilli par la critique et le public, mais la société de distribution et de marketing Focus Features a raté sa distribution. Alors que le film a été présenté dans 374 salles de cinéma respectables, ce nombre est tombé à 211 la troisième semaine et à seulement 75 la quatrième semaine.

Une pétition en ligne a attiré l’attention sur le fait que le film a reçu plus de promotions six semaines après sa sortie, alors qu’il n’était déjà plus que dans 18 cinémas, qu’avant sa sortie. Des comparaisons ont été faites avec un autre film distribué par Focus Features, The Theory of Everything [Une merveilleuse histoire du temps, NdT], qui est sorti au même moment. Focus a accordé à ce biopic apolitique de Stephen Hawking plus de six fois le nombre de publicités télévisées qu’à Kill the Messenger.

Alors que The Theory of Everything a culminé à plus de 1200 cinémas et a été présenté pendant 23 semaines, Kill the Messenger a culminé à seulement 427 et a été présenté pendant 9 semaines. En conséquence, The Theory of Everything a rapporté plus de 35 millions de dollars au pays (et 87 millions de dollars de plus à l’échelle mondiale) pour un budget de 15 millions de dollars, ce qui s’est traduit par un profit considérable. Pendant ce temps, Kill the Messenger a pris moins de 2,5 millions de dollars sur un budget de 5 millions de dollars, et n’a été distribué qu’aux États-Unis, ce qui a entraîné des pertes de profits.

Eddie Redmayne dans le rôle de Stephen Hawking dans The Theory of Everything

Parmi les autres films récents qui s’articulent autour d’histoires qui critiquent le pouvoir en place figurent Lord of War (2005), The Hurt Locker [Démineurs, NdT] (2008), Che (2008), Green Zone (2010) et Good Kill (2014). Certains de ces films plus radicaux ont été produits par de grands studios, mais comme l’a dit Renner :

Warner Bros. fera peut-être un de ces films dans un an, puis ils continueront et feront des Batman et ainsi de suite. Il en va de même pour tous les autres studios.

La majorité des films dissidents sont des productions à petit budget et à sortie limitée dont la plupart des gens n’entendent même jamais parler. Faute de bénéficier de la distribution et de la commercialisation de films de plus grande envergure, leurs perspectives sont largement marginalisées par les mécanismes industriels, pour des raisons industrielles.

 

 

Hollywood est une grande Église

Dans l’ensemble, Hollywood est donc une grande église quand il s’agit de politique. Mais ça reste une église. Son architecture est ancienne et repose sur des fondations solides. La dissidence existe, mais elle est généralement tiède, presque invariablement ignorée et peut être punie. Les évêques sont les dirigeants des conglomérats de presse, flanqués de leurs membres du clergé de la sécurité nationale.

Il est approprié que le mot « propagande » provienne du catholicisme du XVIIIe siècle durant lequel les cardinaux « propagèrent la foi ». Le public moderne est la nouvelle congrégation, alimentée par un flux constant de miracles et d’alcool de contrebande.

Mais notre recommandation n’est pas que Hollywood fasse plus de films critiques. Certains de nos films préférés sont aussi éloignés de la politique qu’on peut l’imaginer. Non – notre préoccupation est simplement qu’il devrait y avoir beaucoup moins de cinéma de sécurité nationale.

Comment y parvenir au mieux ? Le grand public a beaucoup de pouvoir pour « voter avec son argent » et soutenir davantage les films marginaux et radicaux et moins le cinéma de sécurité nationale. Cela obligerait l’industrie à répondre à la demande du marché et à distribuer plus largement les films les plus radicaux.

 

En ce qui concerne les films parrainés par le gouvernement, deux réformes simples pourraient être adoptées :

(1) Le gouvernement devrait être tenu par la loi de rendre ses dossiers sur la coopération hollywoodienne accessibles au public.

(2) Les studios devraient déclarer explicitement toute coopération dans le générique d’ouverture de leurs films, émissions de télévision et jeux vidéo.

Nous pressentons que cela signifierait la fin des divertissements liés à la sécurité nationale, car les téléspectateurs abandonnent du contenu qu’ils reconnaîtront beaucoup plus facilement comme de la propagande.

Jusqu’à ce jour, avec Hollywood comme usine du rêve américain, nous continuerons à vivre et à mourir dans un cauchemar militaire et industriel.

 

 

Cet article est adapté du dernier chapitre de National Security Cinema : The Shocking New Evidence of Government Control in Hollywood [Cinéma de sécurité nationale : la nouvelle preuve choquante du contrôle du gouvernement à Hollywood, NdT]

* Dr Alford est chargé de cours au Département de politique, de langues et d’études internationales de l’Université de Bath. Son film documentaire basé sur ses recherches, The Writer with No Hands, a été présenté en avant-première en 2014 à Hot Docs, à Toronto. Il est le coauteur du nouveau livre Union Jackboot : What Your Media and Professors Don’t Tell You About British Foreign Policy [Union Jackboot : ce que vos médias et vos professeurs ne vous disent pas sur la politique étrangère britannique, NdT].

 

 

* Secker est un écrivain britannique qui traite des services de sécurité, d’Hollywood et de l’histoire du terrorisme. Il dirige le blog SpyCulture qui peut être soutenu via Patreon.com. Son travail a été relayé par The Mirror, The Express, Salon, TechDirt et ailleurs.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr

Les articles du blog subissent encore les fourches caudines de la censure cachée via leur déréférencement par des moteurs de recherche tels que Yahoo, Qwant, Bing, Duckduckgo. Si vous appréciez notre blog, soutenez-le, faites le connaître ! Merci.
- Les articles de SLT toujours déréférencés sur Yahoo, Bing, Duckdukgo, Qwant.
- Contrairement à Google, Yahoo & Co boycottent et censurent les articles de SLT en les déréférençant complètement !
- Censure sur SLT : Les moteurs de recherche Yahoo, Bing et Duckduckgo déréférencent la quasi-totalité des articles du blog SLT !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page