Madagascar : Nouvelles razzias chinoises...
Par Richard Labévière
Proche et Moyen-Orient.ch
Lumière fracassante du petit matin. Mouettes et cormorans virevoltent dans le sillage d’écume annonçant la terre qui cambre sa croupe végétale à l’horizon. A bâbord, le bras de mer qui ouvre la passe d’accès au port de Diégo est flanqué d’une fortification arrondie en pierre de taille, d’où émergent cinq canons pétrifiés par le temps. Plus loin sur la première baie, toujours debout, la carcasse d’un imposant bâtiment, qui fut une caserne de la Légion, abrite désormais quelques lémuriens égarés. Ces vestiges d’une aventure coloniale, qui ne pouvait que mal se terminer1, annoncent l’unique quai du troisième port de la Grande île rouge. Diego-Suarez s’articule entre : l’ouest, le canal du Mozambique, et l’est, l’immensité de l’océan Indien.
Le port maritime fait corps avec la vieille ville2, assurant une grande partie du trafic des marchandises du pays : produits d’exportation comme le cacao, produits d’importation comme le sucre non raffiné du Brésil et le sel. A 400 kilomètres à l’est des côtes africaines au niveau du Mozambique, la Grande île est elle-même entourée par un chapelet d’archipels : au nord, celui des Comores dont l’île française de Mayotte ; plus au nord les Seychelles. A l’est, la Réunion et l’île Maurice. Madagascar s’étend sur une superficie de 587 000 km2, soit la France, la Belgique et le Luxembourg réunis. La langue malgache fait partie de la famille des langues malayo-polynésiennes comme l’Indonésien dont elle est issue. Elle a intégré de nombreuses influences bantoues, arabes et européennes. Deuxième langue officielle du pays, le Français est parlé partout.
En février dernier, le ministre des affaires étrangères Niana Andriantsitohaina a rencontré son homologue français à Paris. La visite retour a été fixée au 26 juin prochain. En mars dernier, lors de sa visite au Kenya, Emmanuel Macron s’est longuement entretenu avec le nouveau président malgache Andry Rajoelina, élu le 19 décembre 2018 avec 55,6% des voix contre l’ancien président Marc Ravalomanana. Le nouveau Président a sollicité l’aide de la France pour assurer la police des pêches et la lutte contre les différents trafics de drogue, de bois, de biodiversité et d’être humains qui minent l’économie malgache. Il a aussi été convenu que seront renforcées plusieurs coopérations bilatérales, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’agriculture, de la préservation de la forêt et de la biodiversité. Autre volet important : les enjeux de coopération régionale et les perspectives d’actions conjointes dans l’océan Indien.
LE TONNERRE SUR UNE TÂCHE MARRON
Du 4 au 21 mars dernier, le typhon Idaï a ravagé le Mozambique et une partie du Zimbabwe emportant routes, maisons, écoles et même barrages, « le bilan pouvant dépasser un millier de morts » a déclaré le président mozambicain Filipe Nuysi. La ville portuaire de Beira (530 000 habitants) fait partie des zones les plus touchées : près de 10 000 personnes sont sinistrées, 873 maisons ont été emportées, 24 hôpitaux détruits et 267 classes partiellement ou complètement englouties selon un bilan communiqué le 18 mars par l’Institut mozambicain de gestion des désastres.
Engagé dans la lutte contre la piraterie dans le cadre de l’opération européenne Atalante, le PHA (porte-hélicoptères amphibie) Tonnerre a été dérouté vers Mayotte3 afin d’y prendre en charge 25 tonnes d’aide humanitaire : lits de camps, kits de construction d’abri, de cuisine et d’assainissement d’eau, moustiquaires et bouteilles de gaz, la Marine nationale ayant mis à disposition ses stocks de médicaments. « Les moyens amphibies du tonnerre permettent d’acheminer l’aide au plus près des zones sinistrées en s’affranchissant au besoin des infrastructures portuaires », explique le commandant Ludovic Poitou, le pacha du porte-hélicoptères disposant à bord de 5 médecins, d’un hôpital de 69 lits, de deux blocs opératoires, d’un service de radiologie et de soins dentaires, etc.
Renforcés dans cette mission d’assistance humanitaire par la frégate de surveillance Nivôse venant de La Réunion, les deux navires ont ainsi déchargé le matériel à proximité des populations sinistrées avec une mission précise : « sur place, l’objectif est de contribuer aux opérations de soutien aux populations démunies, renforcer les structures de soutien déjà existantes et apporter un renfort médical. Le PHA Tonnerre a notamment fait remonter le fleuve à ses barges de débarquement chargées de matériels, atteignant ainsi des zones autrement inaccessibles. Près de 700 marins, soldats et aviateurs ont été mobilisés dans cette opération, baptisée Caouanne », précise un communiqué de la Marine nationale.
« Initialement le typhon Idaï n’aurait pas dû faire autant de victimes », précise un représentant local de la Croix rouge ; « il y a quelques années encore le Mozambique était repérable par une grande tâche verte parfaitement visible sur les images satellitaires. Aujourd’hui, la même tâche est de couleur marron. Pourquoi ? Parce que depuis une dizaine d’années, les forêts qui comportaient nombre d’essences rares ont été systématiquement coupées pour être exportées vers la Chine… A terme et avec la poursuite de ce désastre végétal, les populations devront partir en aggravant les flux migratoires régionaux et clandestins qui transitent par Madagascar, vers les Comores et Mayotte… »
L’expansion de la tâche marron a aussi d’autres explications. Initialement le Mozambique et Madagascar ne s’inscrivaient ni sur le tracé des Routes de la soie, ni sur celui du Collier de perles chinois, jusqu’au jour où d’importantes nappes off-shore de gaz et de pétrole ont été découvertes dans le canal du Mozambique. Pékin a aussitôt revu sa copie en consolidant sa présence au Mozambique, en favorisant l’implantation de sociétés chinoises et en lançant un programme d’infrastructures à Madagascar dont une autoroute reliant le port de Tamatave à la capitale. Simultanément, Pékin adopte aussi en Afrique du Sud la même stratégie d’endettement systémique qu’elle applique à Djibouti4 comme avec tous les pays de la zone, tout en jouant la carte de la proximité politique avec l’ANC5 et le refrain de la résistance aux anciennes puissances coloniales (Grande Bretagne et France).
Mais c’est aussi sur le plan stratégique que Pékin justifie ses nouvelles emprises africaines. En cas de crise majeure sur le canal de Suez et plus largement en mer rouge et à Djibouti, où Pékin dispose de sa première base militaire à l’étranger, les autorités chinoises expliquent que le contournement du grand continent par le Cap de Bonne Espérance constituerait la meilleure des routes maritimes alternatives. Toujours est-il que malgré ce discours sécuritaire de façade, un net ressentiment antichinois est de plus en plus perceptible dans la population malgache.
OPACITE ET CORRUPTION
Depuis une dizaine d’années, les sociétés chinoises de pêche sont accusées, entre autres, d’avoir littéralement râclé et détruit les fonds marins du sud de la Grande île. La présence chinoise à Madagascar se décompose en différents groupes qui ne sont pas motivés par les mêmes intérêts : les « anciens Chinois » se sont intégrés et conçoivent leur avenir sur place, tandis que les « nouveaux » se contentent de mener leurs affaires sans chercher à connaître ni ménager la culture locale. Madagascar comporte l’une des plus importantes communautés chinoises d’Afrique: la Grande île abriterait 100 000 Chinois (alors que l’ambassade chinoise n’en recense que 65 000), ce qui représente environ 10% de la diaspora implantée en Afrique et ce qui en fait la première communauté étrangère du pays devant les Français et les Indo-pakistanais.
La présidence de Marc Ravalomanana (2002 – 2009) fut marquée par une volonté de s’affranchir de la relation privilégiée avec la France pour se tourner vers d’autres acteurs comme les Etats-Unis et la Chine. D’importantes sociétés chinoises du secteur extractif (Sunpec, Mainland, Wisco) purent déployer leurs activités à Madagascar dans des conditions les plus opaques entachées de corruptions notoires. Comme d’autres chefs d’Etat africains, Ravalomanana se servit de la volonté chinoise de conquête pour contraindre les bailleurs de fonds traditionnels à accroître leurs financements pour Madagascar.
Un exemple emblématique du caractère illusoire de cette relation « gagnant-gagnant » vantée par Yang Xiaorong, ambassadeur de Chine à Madagascar, concerne le contrat conclu fin 2009 entre la société Wisco (important producteur d’acier) et l’Etat malgache, à propos de l’exploitation des gisements de fer de Soalala (côte occidentale de l’île). Le permis accordé à l’entreprise s’étale sur trente ans, les populations locales accusant le gouvernement de « brader » les ressources naturelles de l’île au profit d’une puissance étrangère.
En termes de volume des échanges économiques, la Chine constitue désormais le premier partenaire commercial de Madagascar depuis 2015. Mais ces « accords » reposent le plus souvent sur un endettement, principalement financé par l’Exim Bank ou la China Development Bank. Comme à Djibouti, ce mode opératoire n’est pas sans conséquence sur les finances fragiles des pays en voie de développement comme Madagascar, entrant souvent même en conflit avec les règles d’ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale.
Les secteurs économiques ciblés par Pékin sont très diversifiés : la filière agricole, l’exploitation minière, les infrastructures de transport, le textile, les télécommunications et les produits de rente. Plusieurs opérateurs chinois sont devenus les principaux acheteurs de raphia, de poivre, de girofle et de cannelle et s’intéressent de plus en plus à la vanille malgache, l’une des spécialités nationales.
UN ACCORD DE PÊCHE DANS LES FILETS
Dans le secteur des pêches, la China National Fisheries Corp possède une licence exclusive sur les crevettes, l’« or rose » dont les Malgaches ne voient pas la couleur. Cet « or rose » est aussi dévastateur pour l’environnement, comme l’ont fait remarquer des scientifiques et des pêcheurs traditionnels. Certes, l’élevage de crevettes est loué pour son côté écologique, mais sa capture de crevettes sauvages le long des côtes de la Grande île est controversée. Le chalutage chinois est en concurrence directe avec les pêcheurs locaux, qui dépendent de la mer pour leur subsistance. Et les flottilles industrielles traînent leurs filets le long des fonds marins, une pratique si néfaste que les scientifiques l’ont comparée à la coupe à blanc d’une forêt.
Le scandale le plus retentissant concerne un accord de pêche signé avec un consortium chinois en septembre 2018 par un conseiller du chef d’Etat sortant pour un montant de 2,4 milliards d’euros.
En marge de l’Etat malgache, une petite association de droit privé a signé un contrat mirifique pour dix ans avec une société chinoise de pêcheries. Ce contrat, avec un budget de 700 millions de dollars sur trois ans, prévoit de déployer 330 bateaux fournis par le consortium chinois tout autour de l’île : à raison de 240 jours de mer par an et de 600 kg de prise journalière, 43 200 tonnes de poissons sont exportées en presque totalité vers la Chine. Seule 15 % de la pêche serait conservée pour le marché local. A titre de comparaison, le volume de pêche inscrit dans l’accord avec l’Union européenne, en cours de renégociation, est trois fois moins important. Le prix de vente devrait s’établir à un niveau qualifié de « raisonnable », selon les termes de l’accord.
Rendu public avant les dernières élections présidentielles, cet « accord » a déclenché un tollé dans la Grande île. « Comment peut-on imaginer faire venir 300 chalutiers alors que la surpêche est déjà une réalité ? Le nombre de pêcheurs ne cesse d’augmenter, avec l’arrivée sur les côtes de ruraux qui ne peuvent plus vivre de leur terre. Les pirogues rentrent avec de moins en moins de poissons », avertit Paubert Mahatante, maître de conférences à l’université de Tuléar6 et secrétaire général de la plateforme Sansafa, qui regroupe les acteurs non étatiques de la pêche et de l’aquaculture des seize pays de la Communauté de développement d’Afrique australe. Quelque 500 000 emplois directs et indirects dépendent de ce secteur.
L’octroi de licences à six gros chalutiers chinois depuis fin 2017 a d’ores et déjà aggravé le problème, selon M. Mahatante. « Ils n’ont pas de base à terre et pêchent partout et de tout de Morombe jusqu’à la pointe sud de Fort Dauphin [soit environ 800 km de côtes]. Quelle quantité prennent-ils ? Nous n’en savons rien ». Tuléar est la plus importante zone de pêche traditionnelle de l’île. Ce n’est donc pas un hasard si la ville abrite l’Institut halieutique et des sciences marines (IHSM), le seul du pays et de tout l’océan Indien.
Toujours est-il que le scandale est désormais public. Remis en cause depuis la dernière élection présidentielle, « ce projet, s’il était remis en selle sonnerait la mort des petits pêcheurs côtiers et la ruine de ce qui reste des réserves halieutiques malgaches. En outre , plus de deux milliards de dollars ont disparu et les bailleurs de fonds chinois crient vengeance… »
TRAFICS DE DROGUES ET D’ÊTRES HUMAINS
Nombre d’opérateurs chinois sont également impliqués dans le trafic de bois de rose, exporté frauduleusement par voie maritime vers les principaux ports d’Asie du Sud-Est, dont Singapour, servant à la confection de meubles de luxe. L’intensification de ces trafics, particulièrement exacerbée depuis la transition politique (2009 – 2013), s’explique par la corruption généralisée au sein des appareils d’Etat, qui pousse nombre de fonctionnaires, conseillers ou ministres à prendre part à ces opérations mafieuses. Il est de notoriété publique que mamy Ravatomanga, opérateur économique à la réputation sulfureuse et proche d’Andry Rajoelina, s’avère impliqué dans ce trafic illégal de bois de rose depuis le port de Tamatave. Pour la seule année 2009, près de 100 000 arbres auraient été coupés (environ 52 000 tonnes), dont une part importante dans des parcs protégés. Cette économie souterraine et mafieuse implique tout aussi notoirement de grands opérateurs chinois qui jouent un rôle de premier plan dans le pillage de Madagascar.
Ces différentes OPA menées sur les ressources malgaches sont particulièrement suivies par le CRFIM (Centre régional de fusion de l’information maritime)7. La structure intergouvernementale s’intéresse aussi à d’autres formes de criminalités, qui se traduisent par l’extension de la violence en mer, dont différents trafics d’armes entre la Somalie, l’Ethiopie et le Yémen , des trafics d’êtres humains (plus de 160 000 personnes entre le Yémen et la Somalie l’année dernière) et de drogue dans l’ensemble de cette zone de l’océan Indien.
En ces matières de menaces polymorphes, la circulation des boutres locaux constitue, le plus souvent, l’arbre qui cache la forêt, à savoir des flux criminels qui empruntent d’autres vecteurs : les pavillons de commerce traditionnels et les Go-fast, des hors-bords ultra-rapides assurant des liaisons entre transporteurs principaux/secondaires et différentes têtes de ponts terrestres.
Pour les transferts d’héroïne en provenance de Birmanie et d’Afghanistan, plusieurs axes sont particulièrement observés, notamment les liaisons entre les ports pakistanais, Dubaï, Mukallah (Yémen), Kismaayo (sud-est de la Somalie), Pemba et Zanzibar. Certains de ces flux empruntent le canal du Mozambique, transitant par les côtes malgaches à destination du nord, vers Mayotte, Maurice et la Réunion, ainsi qu’en direction des ports sud-africains. Dernièrement, un trafic d’héroïne a été démantelé entre Maurice et Madagascar8.
Mais ce sont surtout les trafics d’êtres humains qui préoccupent les autorités. Là encore, plusieurs opérateurs chinois sont en cause assurant des transports clandestins de femmes malgaches exploitées comme bonnes ou esclaves sexuels en Arabie Saoudite, au Koweït, aux Emirats arabes unis et Oman. Le commissaire divisionnaire de police, Yves Rémi Andrianirinarivelo (directeur des renseignements et du contrôle de l’immigration et de l’émigration/DRCIE) auprès du ministère de la Sécurité publique multiplie en ce moment les déclarations publiques concernant le démantèlement de plusieurs filières.
A partir des régions côtières autour de l’île de Nosy Bey9 se sont développés des flux nocturnes d’immigration clandestine à destination de Mayotte ; une problématique qui requiert toute l’attention des bâtiments de la Marine nationale qui opèrent régulièrement dans la zone. Afin de lutter contre ces différentes formes de criminalité, les nouvelles autorités malgaches s’adressent de nouveau au partenaire français dans un contexte politique lié à l’avenir des îles Eparses.
DE TROMELIN AUX ÎLES EPARSES
Un traité de gestion conjointe de l’île française de Tromelin avec l’Île Maurice (signé de façon très discrète le 1er juin 2010) devait être ratifié par l’Assemblée nationale le 18 janvier 2017. Mais une campagne, dont une pétition lancée par le député du Tarn Philippe Folliot, a fait obstacle à cette ratification. Le destin de cette île française, qui mesure 1,5 km de longueur sur 0,7 km de largeur, et accueille des missions scientifiques et météorologiques, est « en effet décisif pour la sauvegarde de notre souveraineté », souligne le texte de la pétition.
Cet appel à la défense de l’espace maritime français en danger précisait en conclusion : « son amputation correspondrait à 280.000 km² de domaine maritime en moins, soit 2,8% du total de la Zone économique exclusive (ZEE) française, et presque autant que les 345.000 km² de la France hexagonale, Corse comprise (…) Ratifier cet accord reviendrait à ouvrir la porte aux revendications d’autres pays sur d’autres îles françaises dont les territoires des Terres australes ».
Dans Le Figaro du 9 janvier 2017, Philippe Folliot et la romancière Irène Frain ajoutent : « pour tout Français sensible aux intérêts de son pays, il tombe sous le sens que ce traité est inacceptable. Il est scandaleux car il cède une partie de notre territoire sans aucune contrepartie – où est notre conception de la République « Une et indivisible » ? ; dangereux car il ne mettrait pas fin aux revendications de l’île Maurice et créerait un précédent redoutable ; unilatéral et déséquilibré, le traité ne prévoyant aucune forme de réciprocité ou contrepartie pour la France, notre pays serait perdant sur tous les plans. Il saute aux yeux que la ratification de ce traité ne peut que justifier, légitimer et accroître les revendications, plus ou moins ouvertes, d’autres pays sur les autres îles françaises du secteur, dites « îles Eparses ».
Le danger d’un tel précédent est en effet palpable non seulement dans la totalité du secteur des îles Eparses et du canal de Mozambique, mais aussi ailleurs, notamment à Mayotte où la présence française est contestée chaque année à l’ONU (Comores), mais aussi à Clipperton, aux îles Matthew et Hunter au large du Vanuatu, ainsi que dans les dépendances de la Réunion et pourquoi pas demain aux Antilles et en Guyane ! « peut-on imaginer que cet exemple puisse être suivi ailleurs » soulignent encore plusieurs députés « aux Malouines, à Diego Garcia (Chagos), dans l’Antarctique, ou par n’importe quelle autre puissance maritime? En mer de Chine, peut-être ? Cette affaire met en cause gravement les intérêts futurs de notre pays, dont le statut, le développement et la richesse dépendront bientôt davantage des océans, au moment où chacun s’efforce de faire reconnaitre par la communauté internationale à l’ONU des droits maritimes enfin codifiés ».
Dans cette affaire – pour l’instant -, les députés ont eu gain de cause. Le traité franco-mauricien n’a pas été ratifié. Mais le dossier est révélateur d’une géopolitique régionale particulièrement sensible dans cette partie de l’océan Indien où les ressources en hydrocarbures du canal du Mozambique en général, et surtout dans le secteur de l’île française de Juan de Nova sont vraisemblablement aussi importantes que celles de la mer du Nord. Trois pays restent particulièrement attentifs à l’évolution du dossier de l’île de Tromelin : l’Afrique du Sud toujours prompte à dénoncer la présence « néocoloniale » de notre pays dans cette partie du monde, la Chine qui appuie en sous-main la revendication de Maurice avec l’aide de Prétoria pour consolider sa position dans cette zone riche en pétrole et gaz et Madagascar qui n’abandonne pas ses revendications sur la souveraineté des îles Eparses.
A l’appui de cette complexité régionale, plusieurs juristes du Conseil d’Etat considèrent certes l’indignation des députés comme légitime tout en estimant qu’il y aurait avantage à affiner des procédures de négociation afin d’éviter les confrontations immanquablement à venir avec l’Afrique du Sud et la Chine… La coopération relancée en matière de sauvegarde maritime avec Madagascar pourrait plaider pour une nouvelle approche d’un dossier qui n’a pas encore dit toutes ses ruses. Celui-ci est absolument vital pour l’avenir de l’espace maritime français, désormais le premier du monde…
Richard Labévière
8 avril 2019
1 Raharimanana : Revenir. Editions Payot & Rivages, mars 2018.
2 Voir aussi le beau récit de Nicolas Fargues : Rade Terminus. Editions P.O.L, janvier 2004.
3 Le PHA Tonnerre, accompagné de la FLF (Frégate légère furtive) La Fayette, ont appareillé le 24 février dernier de Toulon pour assurer la 10ème Mission Jeanne d’Arc : un déploiement opérationnel interarmées et interalliés dédié à la formation des jeunes officiers et à la coopération internationale. A bord, en plus des équipages : 130 officiers-élèves en fin de formation (79 enseignes de vaisseau dont 8 étrangers, 36 officiers sous contrat long, 8 commissaires des armées d’ancrage marine, 7 officiers étrangers invités en cursus extérieur), s’y ajoutant une cinquantaine de stagiaires présents sur de courtes périodes. Leur présence dans le canal du Mozambique permet, au passage, de réaffirmer la souveraineté française sur les îles Eparses.
4 Voir « Djibouti dans la nasse chinoise » – prochetmoyen-orient.ch numéro 224, 1er avril 2019.
5 L’ANC, le Congrès national africain a été fondé en 1912 pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche. Déclaré hors-la-loi en 1960, il est légalisé le 2 février 1990 alors que l’apartheid est aboli en juin 1991. En 1994, les premières élections législatives multiraciales au suffrage universel permettent à l’ANC de conquérir le pouvoir et à Nelson Mandela son chef d’être ensuite élu président de la République sud-africaine. Depuis, L’ANC domine la vie politique sud-africaine (60-70 % des voix aux différentes élections générales de 1994, 1999, 2004, 2009 et 2014).
6 Étendue au bord du canal de Mozambique, immédiatement au nord du tropique du Capricorne, Toliara, appelée Tuléar en français, est la plus grande ville du Sud de Madagascar derrière Fianarantsoa située sur les Hautes-Terres.
7 Le 29 avril 2018, lors de la Conférence Ministérielle sur la Sécurité et Sûreté Maritime organisée à Maurice, cinq Etats de la région des Etats de l’Afrique orientale et australe et de l’océan Indien ont signé l’Accord régional de mise en place d’un mécanisme régional d’échange et de partage de l’information maritime dans l’Océan Indien Occidental dont Djibouti, Madagascar, Maurice, l’Union des Comores et les Seychelles. D’autres Etats de la région prévoient d’adhérer à l’accord régional dans un futur proche.
8 L’Express de Madagascar, 4 avril 2019.
9 Nosy Be est une île côtière de Madagascar située dans le canal du Mozambique, près des côtes nord-ouest de Madagascar. Il s’agit, avec Diego Suarez et l’Île Sainte-Marie, d’un des trois anciens établissements français qui furent associés à l’ancien territoire du royaume mérina pour former l’ancien protectorat français de Madagascar dont l’actuelle république de Madagascar reprend les frontières.
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Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 08-04-2019