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Patrick Lawrence : Au Venezuela les États-Unis semblent oublier à quel siècle nous vivons (Consortium News)

par Patrick Lawrence 3 Mai 2019, 10:52 Venezuela USA Impérialisme

Patrick Lawrence : Au Venezuela les États-Unis semblent oublier à quel siècle nous vivons (Consortium News)

La déstabilisation d’autres nations en violation flagrante avec les lois internationales ne se fera plus sans contestation, note Patrick Lawrence.

La crise vénézuélienne s’aggrave de jour en jour. En début de semaine dernière, les États-Unis ont sanctionné PdVSA, la compagnie nationale pétrolière, en bloquant sur un compte bancaire le revenu des ventes américaines. Dimanche, lors d’une interview télévisée, le président Donald Trump a confirmé que le déploiement de troupes américaines restait « une option ».

Depuis sa reconnaissance d’un député de l’opposition, Juan Guaido, en tant que « président par intérim », Washington s’est rarement fondé sur le droit international au cours des dernières semaines. Mais le pire reste à venir et est à craindre si les États-Unis poursuivent leur plan récemment divulgué de remodeler les politiques latino-américaines à leur convenance néolibérale.

Des fonctionnaires de l’administration avertissent désormais que les efforts pour destituer le gouvernement de Nicolas Maduro ne constituent que la première étape d’un plan qui veut réaffirmer l’influence américaine sur nos voisins du sud. Les deux prochaines cibles, Cuba et le Nicaragua, sont ce que John Bolton (Conseil à la sécurité nationale de Trump) appelle la « troïka de la tyrannie ».

Il avait affirmé à la fin de l’année dernière lors d’un discours à Miami, passé quasiment inaperçu : « Les États-Unis ont hâte de voir chaque coin du triangle tomber, à La Havane, à Caracas, à Managua. La troïka va s’effondrer ». C’est une piètre consolation de savoir que cette prévision ne reflète que la seule vision très dérangée du monde d’une personne qui travaille maintenant dans la Maison Blanche de Trump.

« La naissance de la Doctrine Monroe » par Clyde O. DeLand : Le président américain Monroe préside une réunion de cabinet en 1823, débattant de la Doctrine Monroe. (Wikimedia)

Mais là résident des dangers considérables. En effet, Trump et les gardiens de sa politique ont bien l’intention de relancer la Doctrine Monroe selon laquelle le cinquième président des États-Unis soutenait qu’il appartenait à l’Amérique d’administrer à sa guise l’hémisphère ouest. Mais nous sommes en 2019, pas en 1823, date à laquelle James Monroe avait présenté sa vision dans son discours sur l’état de l’Union. Il est souvent remarquable de constater l’aveuglement de Washington face aux limites que le 21ème siècle impose à son pouvoir, et nous sommes sur le point de le voir s’écraser sur deux d’entre elles.

L’époque des coups d’états est révolue

Tout d’abord la longue période de coups d’états fomentés aux États-Unis – « changements de régime » pour ceux qui ne parviennent pas à accepter cet aspect de la conduite américaine à l’étranger – est révolue. Moscou a averti Washington, premièrement en Ukraine puis, un an plus tard en Syrie : la déstabilisation d’autres nations en violation flagrante avec les lois internationales ne se fera plus sans contestation. D’une façon ou d’une autre cela va à nouveau se vérifier au Venezuela.

Le cas ukrainien fait partie des pires exemples de décisions en matière de politique étrangère de l’ancien président Obama au cours de ses huit années de mandat, et la liste est longue. Bien des années avant qu’Obama n’entre en fonction, des ONG parrainées par le département d’état et des groupes de la « société civile » tels que le National Endowment for Democracy [Fondation nationale pour la démocratie, NdT] ont été à la hauteur de leur fourberie habituelle. Mais c’est bien Obama qui a donné le feu vert à l’opération qui a entraîné, il y a cinq ans ce mois-ci, le départ du président ukrainien légitimement élu Viktor Yanoukovitch et la division du pays entre les pro-occidentaux et les pro-Russes actuellement toujours en guerre.

Il est maintenant de rigueur dans la presse occidentale de dater la crise ukrainienne, et le régime de sanctions toujours en place, à la ré-annexion de la Crimée suite à un référendum qui s’était tenu en mars 2014. C’est une aberration sans fondement historique. Il est de notoriété publique que Vladimir Poutine avait convoqué ses conseillers en sécurité nationale dans la nuit du 22 février, un jour après que Yanoukovitch ait dû fuir Kiev. A l’aube du 23, le président russe avait décidé que la seule alternative était de récupérer la Crimée si la Russie voulait empêcher l’OTAN de prendre le contrôle de son unique base navale en mer chaude.

Un étudiant médiocre diplômé en relations internationales aurait pu dire à Victoria Nuland du département d’état et à Joe Biden le vice-président, qui géraient le cas de l’Ukraine au sein de l’administration, que déclencher un coup d’état à Kiev était une entreprise irresponsable teintée d’amateurisme. La suite le prouva.

Le président syrien Bachar al Assad effectuait une visite de travail à Moscou le 20 octobre 2015. (Le président russe)

Dans le cas de la Syrie, les États-Unis forment, arment et financent les djihadistes sunnites radicaux depuis 2012 au plus tard. Mais ce n’est qu’en septembre 2015, un an après la débâcle ukrainienne, que Moscou – à l’invitation du gouvernement Assad à Damas – est entré militairement dans le conflit. Le résultat parle de lui-même : l’armée arabe syrienne termine actuellement sa phase de nettoyage et les puissances européennes, ainsi que la Turquie et la Russie, négocient actuellement divers plans de reconstruction politique, sociale et économique.

C’est incroyable, dans le contexte de ces deux événements, que les États-Unis proposent désormais d’entreprendre une séries de trois opérations de « coups d’état », dont la première est en cours à l’heure où nous parlons. Mais apprendre de ses erreurs passées n’a jamais été le fort de Washington, c’est le moins que l’on puisse dire. Le gouvernement de Maduro met en garde les États-Unis contre un « autre Vietnam » s’ils interviennent militairement au Venezuela. Moscou met en garde contre des « conséquences catastrophiques ».

Ne nous trompons sur cette dernière observation. Il est fort peu probable, si ce n’est inimaginable, que la Russie s’oppose, par un soutien militaire, à une intervention directe des États-Unis. Moscou l’a pratiquement affirmé en fait.

 

 

Intérêts russes et chinois

Mais venons en maintenant à la seconde limite au pouvoir américain en ce 21ème siècle. A une époque d’interdépendance économique quasiment illimitée, la Russie et la Chine ont des intérêts considérables au Venezuela et vous pouvez parier votre dernier rouble ou yuan qu’ils s’efforceront de les protéger.

La Chine a mis en place une séries d’accords « prêts contre pétrole » avec le Venezuela au cours des douze dernières années, et ils s’élèvent à plus de 50 milliards de dollars. A ce stade, Caracas cumule un arriéré de 20 milliards de dollars sur ces accords, selon des sources officielles chinoises citées par le Wall Street Journal. La Russie a également investi des milliards depuis les années où Chavez était président. Il semble logique que Moscou et Pékin se demandent si un gouvernement post-Maduro honorerait ces obligations.

L’immeuble PDVSA en 2008. « La Patrie, le socialisme ou la mort ». (Nicolas Hall via Wikimedia)

La Chine et la Russie sont également les principaux fournisseurs d’armes du Venezuela et tous les deux possèdent des installations de collecte de renseignements sur le sol vénézuélien. Deux jours après la reconnaissance par Washington de Juan Guaido en tant que leader par intérim, des rapports ont révélé que Moscou avait dépêché une équipe d’entrepreneurs privés (traduire: des mercenaires) afin d’aider le gouvernement de Maduro.

Le conseil de l’Atlantique, un groupe de réflexion de Washington connu pour ses préjugés anti-Russes et ses liens étroits avec diverses agences de renseignements, a rédigé un document au cours de la fin de semaine suggérant que la crise vénézuélienne marquait le commencement de la « compétition entre grandes puissances » en Amérique latine. Pour une fois, le conseil semble avoir visé à peu près juste.

Non, il est peu probable que cela ressemble à la Guerre Froide dans ses aspects superficiels. Alors qu’il apparaît probable que Washington va combattre à l’aide de sanctions menant à la famine, de subterfuges quasi clandestins et de possibles interventions armées, la Russie et la Chine compteront sur l’aide économique, diplomatique et éventuellement militaire, ainsi que les investissements. Moscou et Pékin continuent de soutenir le gouvernement de Maduro et ont encouragé les négociations politiques entre le président vénézuélien et ses adversaires.

La meilleure façon d’interpréter cette compétition actuellement est de se souvenir des années précédant la reconnaissance diplomatique de Cuba par l’administration Obama (que l’administration Trump a presque officiellement démantelée). Obama fut plus ou moins forcé à l’action, car des décennies d’impitoyable embargo économique et de non-reconnaissance avait complètement éloigné le reste de l’Amérique latine. En fonction de la façon dont les événements tourneront au Venezuela, Trump et les gardiens de sa politique pourraient facilement remettre Washington dans la même situation peu enviable.

Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger depuis des années, principalement pour le International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son tout dernier ouvrage est « Time No Longer : America After the American Century », [« Il n’y a plus de temps à perdre : L’Amérique après le siècle américain », NdT]. Suivez-le sur @thefloutist. Son site Web est www.patricklawrence.us. Soutenez son travail via www.patreon.com/thefloutist.

Source : Consortium News, Patrick Lawrence, 05-02-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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