Armement. Guerre au Yémen « made in France ».
Afrique XXI, 30.09.22
La France est, après les États-Unis, le principal pays fournisseur d’armes à la coalition saoudo-émiratie engagée dans la guerre civile au Yémen depuis 2015. Qui équipe et répare les avions de combat de la Coalition ? Où sont formés les militaires ? Où sont produites les bombes qui frappent les marchés et les habitations yéménites ? Enquête sur les gra
Le conflit au Yémen a tué en sept ans 110 000 personnes, dont près de 13 000 civils selon les données d’Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled). Depuis le déclenchement, en mars 2015, de l’intervention de la coalition arabe emmenée par l’Arabie saoudite contre les rebelles houthistes, Paris n’a cessé de nier l’implication de la France. « Nous n’avons récemment vendu aucune arme qui puisse être utilisée dans le cadre du conflit yéménite », assurait, en janvier 2019, Florence Parly, la ministre des armées, au micro de France Inter. Les matériels livrés ne serviraient qu’à « assurer la protection du territoire saoudien contre des attaques balistiques venant du Yémen » précisait-elle. Quelques mois plus tard, le 15 avril 2019, l’enquête Made in France de Disclose prouvait le contraire, rapport de la Direction du renseignement militaire (DRM) à l’appui. Non seulement des avions, des hélicoptères, des chars et canons français ont participé à des offensives de la Coalition, mais ces armes ont pu servir à viser des zones civiles.
L’ex-ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est aussi échiné à maintenir la version officielle. Le 13 février 2019, devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale –- peu réactive —, il martèle que la France [« ne [fournit] rien à l’armée de l’air saoudienne ». Un mensonge qui passe sous silence les livraisons d’outils de désignation laser du groupe Thales, expédiés à l’Arabie saoudite au moins jusqu’en 20171, ainsi que les milliers de missiles « made in France » fournis à sa coalition militaire.
Au cours de la seule année 2019, l’État français a donné son feu vert à 47 contrats d’exportation de munitions, torpilles, roquettes, missiles et autres matériels explosifs, pour un total d’un milliard d’euros vers l’Arabie saoudite et de 3,5 milliards d’euros vers les Émirats arabes unis. L’année suivante, en 2020, ces autorisations ont bondi de 40 % pour l’Arabie saoudite et de 25 % pour les Émirats. Ces chiffres correspondent aux licences d’exportation accordées par la très opaque Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Ils permettent d’évaluer l’appétit des industriels français et de leurs clients en guerre, même si in fine les contrats signés — et secrets — peuvent souvent être inférieurs.
Jusqu’à présent, le gouvernement français refuse de dévoiler le détail des armes réellement livrées dans chaque pays étranger. Ses rapports publics, présentés chaque année au Parlement, indiquent tout de même l’ampleur du commerce avec deux des pays les plus interventionnistes du Proche-Orient, l’Arabie saoudite et les Émirats, respectivement troisième et cinquième meilleur client de l’armement français. On sait donc qu’entre 2015 et 2021, la France a livré des équipements militaires, des munitions et des services de maintenance pour près de 9 milliards d’euros à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les deux leaders de la coalition arabe formée pour soutenir le gouvernement yéménite contre les rebelles houthistes...