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Le Niger et la lutte africaine contre le néo-colonialisme (Al Mayadeen)

par Sammy Ismail 17 Août 2023, 16:57 Niger Néocolonialisme Françafrique Colonialisme Coup d'Etat Bazzoum France USA Etatsunafrique Articles de Sam La Touch

Le Niger et la lutte africaine contre le néo-colonialisme
Article originel : Niger and the African struggle against neo-colonialism
Par Sammy Ismail
Al Mayadeen, 16.08.23


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Note de SLT : Article intéressant soulignant les effets dévastateurs du néo-colonialisme mais un peu angélique car ne tenant pas forcément compte de la complexité géopolitique et des luttes d'influence qui se jouent dans le Sahel entre Etats-Unis, France et Russe sans oublier la Chine. Il n'est pas sûr que la junte ait les coudées si franches puisqu'elle a été obligée de nommer à des postes clés dans chaque région des militaires formés aux USA, elle-même compte 5 de ses membres hauts placés (dont les généraux Tiani et Barmou) formés aux Etats-Unis. La question qui doit être posée est de savoir si nous avons affaire à une révolution orange menée par Washington comme en Ukraine ou bien à une volonté réelle du nouveau pouvoir de s'émanciper de sa tutelle néocoloniale occidentale. A suivre...
Lire aussi - Niger. Le trouble jeu des Etats-Unis. Etatsunafrique contre Françafrique ?
- Histoires françafricaines
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Le Niger a obtenu son indépendance du colonialisme français en 1960, mais il est resté pris au piège du joug du néo-colonialisme, comme en témoignent les pratiques coloniales persistantes d’exploitation des ressources, d’hégémonie financière et de présence militaire.

    Le colonialisme et l’impérialisme n’ont pas réglé leur dette envers nous une fois qu’ils ont retiré leur drapeau et leur force policière de nos territoires. - Frantz Fanon "Les damnés de la terre"

 

Les événements récents au Niger et les implications régionales qui en ont découlé en Afrique de l’Ouest ont ramené au premier plan du discours populaire les perspectives de décolonisation et de libération. Le coup d’État au Niger, et ceux au Mali et au Burkina Faso avant, a exposé les relations persistantes de la France d’exploitation de type colonial au public international. Les coups d’État militaires suivent tous le même schéma de rejet du néo-colonialisme français en faveur de la souveraineté nationale.

Le néocolonialisme fait référence à l’exploitation systématique qui a survécu au colonialisme. Elle remonte à la perspective de la Françafrique introduite par Charles De Gaule. Ce système légitimé sous couvert de "décolonisation" permet à la France d’exploiter ses anciennes colonies tout en leur accordant une souveraineté symbolique.

Le Niger a obtenu son indépendance du colonialisme français en 1960, mais il est resté pris au piège du joug du néo-colonialisme, ce qui est attesté par les pratiques persistantes de type colonial d’exploitation des ressources, d’hégémonie financière et de présence/intervention militaire.



Les avantages asymétriques de l’extraction de l’uranium

Bien qu’il se classe au huitième rang des pays les plus pauvres du monde, selon le PIB, le Niger est le septième producteur mondial d’uranium. Le Niger produit 5% de la production mondiale d’uranium, selon l’Association nucléaire mondiale. Orano, l’entreprise publique française d’énergie nucléaire anciennement connue sous le nom d’Areva, exploite les mines nucléaires au Niger depuis 50 ans : extraction d’uranium nigérien principalement pour l’industrie nucléaire française. En 2023, Politico a rapporté que le Niger produisait 15% des importations françaises d’uranium et 20% de celles de l’Europe. En 2013, il a été évalué qu’une ampoule sur trois en France est allumée par de l’uranium nigérien alors que 83% des Nigériens n’ont pas accès à l’électricité, selon le ROTAB (Transparency and Budgetary Analysis Organization).

Le système monétaire de l’expropriation de la richesse

Une autre caractéristique du néo-colonialisme au Niger est l’hégémonie financière que la France a maintenue en appliquant le franc CFA (Communauté financière africaine) comme monnaie formelle au Niger. Le franc CFA a été introduit par la France dans la plupart de ses anciennes colonies en Afrique occidentale et centrale. Selon le FMI, le franc CFA représente 14% de la population africaine et 12% de son PIB. Le franc CFA, qui est frappé par la Banque de France, était autrefois lié au franc français, et maintenant à l’euro. En échange de la garantie de leur monnaie en Euros (actuellement 656 francs CFA = 1 euro), 50% des avoirs en devises des pays CFA doivent être déposés à la Banque de France en plus de 20% supplémentaires pour les engagements financiers : laissant aux pays africains à peine les liquidités et la souveraineté monétaire/fiscale sur le peu de liquidités dont ils disposent alors que le gouvernement français prospère en capitalisant sur les dépôts excédentaires dans ses banques.

Par le biais de la zone franc CFA, la France conserve la capacité d’exercer son autorité sur la masse monétaire, les réglementations monétaires et financières, les opérations bancaires, la distribution du crédit et les stratégies fiscales et économiques des pays africains. Ceci est mieux résumé dans un célèbre discours de l’ancien président français Jacques Chirac dans lequel il dit "Nous oublions une chose : c’est-à-dire qu’une grande partie de l’argent qui se trouve dans notre portefeuille provient précisément de l’exploitation de l’Afrique".

Avant-poste militaire occidental en Afrique de l’Ouest

Le régime déchu de Bazoum était depuis longtemps un partenaire loyal de la France (et de l’Occident en général) dans la prétendue guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel. Le Niger accueille 15000 soldats français et 1100 soldats étatsuniens en plus de la base aérienne étatsunienne 201 qui a servi d’avant-poste aux interventions militaires étatsunienne dans la région. Tout en faisant du Niger un refuge pour les forces occidentales en Afrique de l’Ouest sous prétexte de lutter contre les groupes terroristes, Bazzoum a longtemps critiqué le Mali et le Burkina Faso pour leur coordination avec la Russie et le PMC Wagner dans leur lutte contre le terrorisme, bien qu’elle réussisse mieux que la première. Dans un article écrit pour The Washinton Post peu après son éviction, Bazzoum a averti ses partenaires occidentaux, dans une tentative d’évoquer une intervention pour restaurer son régime évincé, que "toute la région du Sahel central pourrait tomber sous l’influence russe" si son régime n’est pas rétabli : soulignant le changement géopolitique que le pays a subi par le coup d’État.

Échéancier

Le 26 juillet, Abdourahamane Tchiani a renversé le président pro-occidental sortant Mohamed Bazzoum dans un coup d’État militaire mené par la garde présidentielle. Le coup d’État est venu comme une sorte de justice poétique contre l’impérialisme, non seulement en neutralisant un gouvernement comprador occidental, mais aussi en le remplaçant par un gouvernement résolument anti-impérialiste.

La France a rapidement condamné le coup d’État. Le président Macron a averti la junte militaire d’une riposte rapide et ferme si leurs intérêts étaient menacés dans le pays. Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a également affirmé son soutien au président déchu et s’est engagé à rétablir son gouvernement. L’Occident collectif (UE, États-Unis et Canada) a par la suite suspendu toute aide au pays dans le but de faire pression sur la junte militaire pour qu’elle cède.

Le 30 juillet, la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a gelé les avoirs du Niger, imposé des sanctions aux responsables de la junte et donné un avertissement sévère d’une intervention militaire si l’ancien gouvernement n’est pas rétabli dans le délai d’une semaine.

En conséquence, la junte a pris un ensemble de mesures pour consolider son autorité et renforcer sa position anti-impérialiste : arrêter les exportations d’uranium et d’or vers l’Europe, révoquer tous les accords militaires avec la France et bloquer les plateformes de médias françaises France24 et RFI. En outre, les dirigeants militaires ont mis en garde la France et la CEDEAO contre toute intervention militaire : soulignant qu’ils "défendront résolument leur patrie."

Les pays de la région ont également adopté des positions opposées sur le Niger. Les premiers membres du bloc de la CEDEAO soutenu par l’Occident, comme le Sénégal, ont affirmé leur engagement à participer à l’intervention militaire.

Le Mali et le Burkina Faso qui avaient également fait défection du bloc occidental se sont opposés avec véhémence à la menace d’une intervention militaire contre le Niger en disant qu’ils la considéreraient comme une déclaration de guerre contre leurs nations respectives si le bloc de la CEDEAO allait de l’avant avec l’armée menacée intervention.

Dimanche, le délai accordé par la CEDEAO a été épuisé et les dirigeants militaires du Niger sont restés fermes.

Le ministère français des Affaires étrangères et le Département d’État U.S ont exprimé leur soutien à la CEDEAO pour la restauration du gouvernement déchu au Niger.

Décolonisation : liberté et autonomie négatives

Dans le contexte de la libération de l’hégémonie de type colonial, une nuance notable à enregistrer dans la lutte pour l’autodétermination est celle entre la liberté négative et l’autonomie. La liberté négative se définit par l’absence de structures oppressives imposées de l’extérieur. Pendant ce temps, l’autonomie se réalise en développant la capacité de réaliser les intérêts recherchés.

Au Niger, la liberté négative a triomphé par le coup d’État : en éradiquant les structures oppressives imposées par la France comme le gouvernement comprador imposé et l’exploitation systématique des ressources. Il vise à démanteler les obstacles qui empêchent une nation de faire des choix en fonction de ses propres valeurs et intérêts. Cependant, la liberté négative comme l’absence de contraintes extérieures ne garantit pas la libération holistique.

Les dirigeants militaires au Niger ont résolument cherché à neutraliser les structures oppressives imposées par la France : de l’organisation du renversement du gouvernement comprador à l’arrêt des exportations d’uranium et d’or. Cependant, leurs délibérations, aussi révolutionnaires soient-elles, sont loin d’être libératrices. Ils ont créé des conditions favorables pour parvenir à l’autodétermination par l’autonomie, mais il reste nécessaire d’acquérir la capacité de réaliser leurs intérêts nationaux. L’autonomie se réalise par l’accumulation de capital et la consolidation des infrastructures.

Traduction SLT

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