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Les puissances occidentales menacent la Géorgie suite à l’adoption d’une loi sur les agents étrangers (WSWS)

par Andrea Peters 3 Juin 2024, 20:57 Georgie Loi USA Déstabilisation OTAN UE Articles de Sam La Touch

La crise politique qui secoue la Géorgie continue de s’aggraver. Les États-Unis et leurs alliés européens dénoncent et menacent le parti au pouvoir dans ce petit pays pour avoir récemment ignoré un veto présidentiel afin d'adopter une «loi sur les agents étrangers».

Cette mesure, qui oblige les organisations recevant 20 pour cent ou plus de leurs ressources de l'étranger à déclarer leurs bailleurs de fonds, provoque l’opposition à Washington et Bruxelles. Elle a déclenché des semaines de manifestations soutenues par l’Occident à Tbilissi, au cours desquelles les manifestants ont dénoncé le gouvernement le qualifiant d’«esclaves russes» et ont célébré l’Union européenne (UE), l’Ukraine et les États-Unis comme l’incarnation de la démocratie et de la libération.

 

Les puissances occidentales menacent la Géorgie suite à l’adoption d’une loi sur les agents étrangers (WSWS)

Ce pays du Caucase méridional (3,7 millions d’habitants), situé au carrefour de la mer Noire et de la mer Caspienne, est entraîné dans le tourbillon des premières étapes de la Troisième Guerre mondiale. Les Occidentaux considèrent le parti au pouvoir, le Rêve géorgien (RG), au pouvoir depuis 2012, comme excessivement proche de Moscou. Malgré le fait que Tbilissi entretient des liens étroits avec l’OTAN depuis des années, RG a cherché à empêcher le pays de se laisser entièrement emporter par la campagne de guerre anti-russe et se maintenir en équilibre entre Washington et Moscou.

Les inquiétudes de l'élite géorgienne sur ce que les grandes puissances lui réservent, les craintes populaires, les conséquences de la guerre, les sympathies de larges couches pour le peuple russe et leur histoire commune, trouvent leur expression dans l’affirmation du parti au pouvoir que la souveraineté de sa nation est menacée par un «parti mondial de la guerre ».

Tout cela est inacceptable pour les puissances américaines et européennes. Alors que la guerre en Ukraine tourne mal et que l’OTAN s’oriente vers un conflit militaire ouvert avec la Russie, l’adoption du projet de loi controversé a créé l’opportunité pour Washington de mettre la Géorgie au pas.

Le Congrès américain prépare des sanctions contre la Géorgie, et le Département d’État, avec une hypocrisie extraordinaire, vient d’annoncer des interdictions de visa pour «les individus responsables ou complices de l’atteinte à la démocratie en Géorgie, ainsi que pour les membres de leurs familles». Faisant clairement savoir que l'administration Biden est prête à placer la Géorgie sur sa liste d'ennemis, le secrétaire d'État Antony Blinken a ordonné une «revue complète de la coopération bilatérale entre les États-Unis et la Géorgie» et a averti que Washington «tiendrait compte des actions de la Géorgie pour déterminer ses propres actions».

L'UE, à laquelle la Géorgie cherche à adhérer, a annoncé le 28 mai que l'adoption de la loi sur les agents étrangers «aurait un impact négatif sur la voie de la Géorgie vers l'UE». Bruxelles est allé plus loin. «L’UE et ses États membres envisagent toutes les options pour réagir à ces évolutions», a-t-on menacé.

Cinq jours plus tôt, le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidze a rapporté que le commissaire européen à l'élargissement, Olivér Várhelyi, lui avait dit: «Regardez ce qui est arrivé à Fico, vous devriez être très prudent.» Il faisait référence au Premier ministre slovaque Robert Fico, qui avait failli être assassiné récemment par un homme de droite armé, peut-être aidé par des agences de renseignement étrangères.

Várhelyi a ensuite affirmé que le dirigeant géorgien avait sorti ses remarques «de leur contexte». Mais ses «regrets sincères» concernant tout malentendu n’étaient guère réconfortants. Le responsable européen a reconnu avoir évoqué «le dernier événement tragique survenu en Slovaquie [la tentative d'assassinat de Fico]», mais qu'il avait simplement tenté d'avertir Kobakhidze « de ne pas envenimer davantage une situation déjà fragile en adoptant cette loi qui pourrait conduire à une polarisation accrue et à d’éventuelles situations incontrôlées dans les rues de Tbilissi ». Autrement dit, faites ce qu’on veut ou attendez-vous, sur fond de troubles civils, à vous faire tuer!

Un manifestant revêtu d'un drapeau américain se tient devant la police lors d'une manifestation de l'opposition contre le projet de loi sur l'influence étrangère devant le bâtiment parlementaire de Tbilissi, en Géorgie, le mardi 28 mai 2024. [AP Photo/Shakh Aivazov]

Un manifestant revêtu d'un drapeau américain se tient devant la police lors d'une manifestation de l'opposition contre le projet de loi sur l'influence étrangère devant le bâtiment parlementaire de Tbilissi, en Géorgie, le mardi 28 mai 2024. [AP Photo/Shakh Aivazov]

Dans le même esprit généralement menaçant, l'Assemblée parlementaire (AP) de l'OTAN a affirmé le 26 mai qu'elle restait «fermement attachée à la souveraineté, à l'intégrité territoriale, à la démocratie et à l'aspiration de la Géorgie à rejoindre l'OTAN». L’implication étant que la «souveraineté» et l’«intégrité territoriale» de la Géorgie ne pouvaient être assurées que dans la mesure où elle rejoignait l’OTAN.

«La Géorgie se trouve à la croisée des chemins», a poursuivi avec arrogance l’alliance militaire. La loi sur les agents étrangers «doit maintenant être retirée», et si elle ne l’était pas, l’UE et l’OTAN «continueraient à soutenir [les manifestants]».

Si Washington et Bruxelles condamnent la loi sur les agents étrangers comme étant antidémocratique et l'œuvre du Kremlin, leur principale préoccupation est qu'elle démasquerait et saperait le vaste réseau d'organisations de la «société civile» financées par l'Occident en Géorgie à travers lesquelles l'impérialisme exerce son influence dans le pays et la région.

En 2019, 26 000 ONG étaient enregistrées en Géorgie, selon un rapport du Service de recherche du Parlement européen. Cela témoignait, selon ce document, d’une société civile «dynamique et active». On y soulignait que l'UE, travaillant sur sa «Feuille de route 2018-2020 pour l'engagement avec la société civile» en Géorgie, «entretient des relations régulières avec la société géorgienne» et a «organisé des consultations approfondies». Les auteurs déplorent le fait que seulement 23 pour cent des Géorgiens «font entièrement ou plutôt confiance» à ces organisations.

Ces groupes de «soft power», opérant dans les domaines de l’éducation, des médias, des relations professionnelles, de la défense des droits de l’homme, etc., promeuvent l’agenda politique et l’idéologie des États-Unis et de l’Europe. Grâce à des programmes d’échange, des subventions, des bourses et autres «partenariats conjoints» financés par des institutions comme l’USAID, la Banque mondiale et la Commission européenne, ils distribuent de l’argent et des opportunités de carrière, cultivant une base sociale pro-occidentale.

Dans un commentaire inattendu, involontairement franc peut-être, du 5 mai dans le Moscow Times, deux militants de la société civile du Caucase méridional notent: «Les agences d'aide étrangère et leurs ONG locales ont depuis longtemps colonisé la plupart des domaines de la politique et des services publics» en Géorgie. «Pour donner l’apparence d’une participation communautaire, l’agence humanitaire engage des ONG géorgiennes pour effectuer le travail quotidien.» «Les ONG géorgiennes qui reçoivent des subventions pour mettre en œuvre ce travail sont peut-être locales, mais elles détiennent un pouvoir considérable sur la population géorgienne. Ce pouvoir vient de leur accès aux ambassades et aux ressources occidentales», expliquent-ils.

Lorsque cela est nécessaire, ces forces peuvent être sollicitées pour devenir la «puissance dure» de l’intervention impérialiste.

Un article du New York Times du 29 mai, destiné à glorifier le mouvement de protestation «démocratique» géorgien, décrit les mois de manifestations à Tbilissi comme ayant «été principalement organisés par des groupes de la société civile, dont beaucoup reçoivent des financements de groupes étrangers promouvant des choses comme la démocratie et des médias libres, qui craignent que le pays ne sombre dans l’autoritarisme». «Beaucoup ont coordonné leurs activités à travers les applications de messagerie avec les législateurs de l’opposition», ajoute-t-il. L'auteur de l'article n'a évidemment pas vu l'ironie de manifestations contre la loi géorgienne sur les agents étrangers organisées par ces mêmes agents étrangers.

Parmi les membres de la génération Z et les citadins privilégiés qui se drapent actuellement de drapeaux européens, géorgiens et ukrainiens dans les rues de Tbilissi on ne trouvera pas les symboles de la résistance palestinienne. Les objections de ces couches à l'égard de «l'oppression» ne s'étendent pas au premier génocide du 21e siècle. Dans la mesure où ils savent que leur opposition au massacre de masse perpétré par Israël à Gaza les mettra en conflit avec leurs partisans étrangers, ils gardent le silence. De plus, le capitalisme n’est pas un gros mot pour ces gens, mais un système qui évoque le sentiment de vives attentes.

Dans un article du 16 mai rendant compte de la situation, le Guardian décrit certaines des organisations jouant un rôle central dans les manifestations géorgiennes. Les Étudiants géorgiens pour un avenir européen, explique-t-il, sont un groupe «centriste». Un autre, Students for Liberty, avait « des tendances libertariennes». «Un groupe appelé Wave, comprenait « des écologistes mais se décrit avec véhémence comme «non de gauche». Le groupe Franklin, nommé d'après Benjamin Franklin, note-t-il, «promeut le libre marché, la propriété privée et les libertés individuelles». Le groupe Shame lui, «se concentre simplement sur des élections libres et équitables». Un autre groupe, Sunset, «se décrit comme nationaliste libéral» et fait prêter serment d’allégeance à ses «membres».

Le fossé entre ces conceptions et les préoccupations de la grande majorité des Géorgiens est indéniable. En octobre 2023, la Fondation Eurasia, le National Democratic Institute et l'UKAID – des agences alliées aux gouvernements américain et britannique – ont publié les résultats d'une enquête nationale intitulée «Prendre le pouls de la Géorgie».

Les auteurs écrivent :

«L’enquête montre que la pauvreté et les problèmes économiques sont identifiés comme les principaux contributeurs au sentiment d’insécurité – une constatation qui transcende les lignes de parti.» «Un Géorgien sur deux affirme que la situation en matière de pauvreté et de criminalité s'est aggravée.» «Un Géorgien sur dix n'a pas les moyens de se nourrir, tandis qu'un sur quatre ne peut se permettre que de la nourriture, mais rien d'autre.» «La majorité considère la mauvaise qualité de l’éducation comme le principal problème auquel est confronté le système éducatif, tandis que le coût élevé des médicaments et des services médicaux est considéré comme le principal problème du système de santé.» «La majorité», 83 pour cent, «déclare que la dépression et l'anxiété sont problématiques pour la société géorgienne, presque un Géorgien sur deux (41 pour cent) déclarant ne pas savoir à qui s'adresser pour obtenir de l'aide».

En réponse à une question sur les problèmes nationaux les plus importants auxquels sont confrontés la personne interrogée et sa famille, les sujets absents des banderoles des manifestations de Tbilissi arrivent en premier. La hausse des prix et de l’inflation, l’emploi, la pauvreté, les retraites, les salaires, l’éducation et les soins de santé figurent parmi les huit premiers. Les «droits de l’homme», l’adhésion à l’OTAN et à l’UE, les relations avec la Russie et la liberté d’expression – autant de mots d’ordre des manifestations antigouvernementales – arrivent à la neuvième place ou en dessous. Seulement 10 pour cent des Géorgiens ont indiqué que «les actions de la Russie à l’égard de la Géorgie» étaient l’une des raisons les plus importantes pour lesquelles ils ne se sentaient pas en sécurité dans le pays.

Contrairement aux affirmations occidentales, une majorité soutient le parti au pouvoir actuel. Cependant, «62 % des Géorgiens affirment qu’aucun des partis ne représente leurs intérêts». Une ventilation des résultats par parti «montre qu’un partisan du RG sur cinq, presque un partisan de l’opposition sur deux et la majorité des indécis déclarent qu’aucun des partis ne représente leurs intérêts».

La situation politique en Géorgie est explosive, fortement exacerbée par les provocations et menaces incessantes des États-Unis et de l’OTAN à l’encontre de la Russie. Des sections de l’élite, alliées à Washington et à Bruxelles, s’efforcent de saper l’emprise du gouvernement sur le pouvoir.

Deux cents ONG ont publié une déclaration commune le 29 mai, insistant pour dire qu'elles défieraient la loi sur les agents étrangers. «La loi russe ne fonctionnera pas dans notre pays! Cela restera un morceau de papier auquel personne n’obéira», déclarent-elles. Ces organisations ont promis de payer les amendes, pouvant atteindre des dizaines de milliers de dollars, à tous ceux reconnus coupables d'avoir enfreint la loi. De toute évidence, elles disposent de beaucoup d’argent.

La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, qui est principalement une figure représentative mais également commandant-en-chef des forces armées, a averti lors d'un rassemblement pour l'Indépendance le 26 mai que «le spectre de la Russie plane sur nous».

Lors de l'événement, elle a annoncé la publication de la «Charte géorgienne», une déclaration destinée à unifier l'opposition du pays à l'approche des élections d'octobre. Ce plan appelle à l'abrogation de la loi sur les agents étrangers, au retrait de toutes les mesures anti-européennes, à une réforme structurelle et purge politique de toutes les principales agences d'État, à l'annulation des décisions compromettant la capacité de la Géorgie à rembourser ses créanciers étrangers; et à la refonte du système électoral. En d’autres termes, il s’agit d’un appel à faire un ménage pro-impérialiste, avec la perspective de nombreux nouveaux postes et opportunités pour ceux qui y souscrivent.

Reste à savoir si l’opposition, composée de dizaines de groupes de droite concurrents, pourra ou voudra se regrouper autour de ce programme. Exprimant les inquiétudes occidentales quant au fait que les groupes anti-gouvernementaux géorgiens ne sont pas à la hauteur de la tâche et admettant tacitement que leur base de soutien est étroite, un commentaire du 28 mai sur le site web Eurasianet notait: «Le plus grand risque pour [l'opposition] est de perdre son élan et de connaître un faible taux de participation le jour du scrutin ».

(Article paru en anglais le 1er juin 2024)

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