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[Vidéo] Le prix Goncourt 2024 mis à mal par son héroïne, même (Agone)

par SLT 24 Novembre 2024, 08:53 Daoud Goncourt Extrême droite Algérie Allégations France Littérature Articles de Sam La Touch

Ce matin, le journaliste indépendant Faris Lounis, auteur par ailleurs d’un article sur l’écrivain algérien Kamel Daoud et l’extrême droite, donnait au Club de Mediapart un texte sur l’accusation portée contre le prix Goncourt par celle dont il a volé l’histoire pour écrire son roman. En quelques heures, l’affaire était reprise par les mêmes médias qui ont accompagné pendant des semaines la campagne de promotion du roman paru chez Gallimard. Mais déjà l’éditeur tente d’imposer son récit : le grand écrivain victime  de « violentes campagnes diffamatoires orchestrée » par des médias à la solde du régime algérien, déclare Antoine Gallimard, qui affirme : « Son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels. »

 

Dans un reportage diffusé le 15 novembre sur la télévision algérienne One TV , « Houris, la contre-enquête », Saâda Arbane, qui a survécu en 1999 à une attaque terroriste en Algérie, estime que l’auteur du Goncourt 2024 a « exploité son histoire personnelle sans son consentement », en utilisant abusivement des informations intimes livrées dans un cadre médical.

Saâda Arbane, qui avait alors six ans, est la seule survivante du massacre qui a emporté sa famille. L’histoire de cette sportive qui « ne parle pas » est connue d’un cercle restreint d’Oranais. Saâda Arbane a « mis plus de vingt-cinq ans pour oublier [son] traumatisme ». Et aujourd’hui, elle estime que Kamel Daoud a « remué les plaies » d’une «histoire » dont elle estime être « la seule à décider comment [elle doit] sortir ».

Si la presse mainstream en France, du Monde à Valeurs actuelles, en passant par Libération et Le Point, dénonce par avance tout questionnement des dits et des écrits de l’écrivain qui vient de recevoir le Goncourt, cette mise en cause venant d’Algérie, si elle est confirmée, est de nature à rompre l’unanimisme médiatique autour d’une œuvre que Frédéric Beigbeder a qualifié de « roman le plus féministe de la rentrée » et par lequel, selon le magazine Elle,« une jeune rescapée […] de la guerre civile algérienne [met] enfin des mots sur son histoire ».

 

Sur One TV, Saâda Arbane estime en effet que Kamel Daoud, qui prétend donner la parole aux femmes de son pays face aux islamistes, a en réalité « dépossédé une victime du terrorisme de son histoire, de sa vie, contre son gré », et cela malgré le « refus catégoriques de ses parents de leur vivant ».

« Ma famille et mon entourage, qui savaient que je ne voulais pas parler de cette histoire, étaient choqués », précise Saâda Arbane. Après la parution de Houris, « tout le monde m’a dit : ‘‘C’est bizarre ce que tu as fait’’. […] On m’a même appelé pour me demander combien j’ai été payée pour le livre ». Une « amie installée à Paris » avait du mal à croire que « j’ai laissé utiliser mon histoire de cette manière ». La jeune femme témoigne encore : « Quand j’ai commencé à lire Houris, je n’ai pas dormi pendant trois jours. […] Cela fait 25 ans que je cache mon histoire, que je cache mon visage, que je refuse qu’on me montre du doigt. C’est horrible… »

Saâda Arbane accuse également l’écrivain d’avoir dévoilé des « détails de sa vie personnelle » qu’elle n’a jamais confiés qu’en thérapie : « Il a tout pris de sa femme. […] On ne peut pas parler comme ça tant qu’on n’a pas vécu la chose. […] C’est ma vie, c’est mon passé. Il n’y a que moi qui peut juger comment ça doit sortir. Ce n’est pas à lui de faire ça. Ce n’était pas à lui de me jeter comme ça [en pâture]. En plus, il salit ma réputation. […] C’est une violation de mon intimité. »

Par-delà le droit de l’écrivain à la fiction et à la libre création, ces déclarations soulèvent de sérieuses questions d’éthique tant littéraire que médicale.

 

Face à Younès Sabeur Chérif, qui l’interroge pour One TV, Saâda Arbane donne les détails du personnage de Houris : « Ma cicatrice. Ma canule. Les conflits avec ma mère. L’opération que je devais subir en France, la pension que je reçois en tant que victime [du terrorisme islamiste]. L’avortement. Je voulais avorter. La signification de mes tatouages [au niveau de la nuque et du pied]. Le salon de coiffure. J’avais un salon de coiffure et d’esthétique – et c’est dans le livre. Le lycée Lotfi. L’allusion romancée à ma passion pour l’équitation », énumère-t-elle.

Comment des faits aussi précis auraient-ils pu arriver jusqu’au romancier ? Selon Saâda Arbane, il s’agit d’une « violation du secret médical » par son ancienne psychiatre, l’épouse de Kamel Daoud, qui l’a suivie de l’année 2015 au départ de la famille Daoud en France, dans plusieurs établissements médicaux oranais, d’abord pour une thérapie de groupe avec sa mère, et puis seule.

La survivante du massacre de Djelfa insiste sur le fait que, durant ses consultations chez Mme Daoud, sa parole était totalement libre : « Je n’avais pas de filtre, [je parlais] sans tabous, je disais tout. Pour moi, c’était ma psychiatre. Il y avait le secret médical, je disais tout. » Saâda Arbane précise encore : « Il y a trois ans et demi, l’écrivain m’a demandé l’autorisation de raconter mon histoire dans un livre. Mon refus était catégorique. J’étais chez lui, cité Hesnaoui. Sa femme m’avait invité pour boire un café et discuter de ma thérapie ».

Plus tard, continue-t-elle, quand « sa femme m’a dit qu’il est en train d’écrire un livre, je lui ai dit : ‘‘Attention, je ne veux pas que ça soit sur moi.’’ Elle m’a dit : “Non, ça ne parle pas de toi du tout.” Plusieurs fois durant mes consultations, j’ai redit à sa femme : ‘‘Attention, je refuse qu’il fasse ça.” » Mme Daoud l’aurait rassurée : « “Pas du tout… Je suis là pour te protéger.” »

 

Après la lecture de Houris, Saâda Arbane juge qu’elle n’aurait en rien été protégée par son médecin. « J’ai donné tous ces détails à sa femme en tant que psychiatre. […] Je ne l’ai jamais dit à personne [d’autre] », affirme-t-elle. Son intime conviction est que Kamel Daoud a eu accès « à [s]on histoire » par le biais de sa femme. Selon elle, Houris est le fruit d’une « divulgation du secret médical. […] Je n’ai jamais communiqué mon dossier médical à Kamel Daoud. […] Je n’ai jamais autorisé Kamel Daoud ou sa femme, ma psychiatre, à raconter mon histoire ». La jeune femme estime en outre que l’écrivain aurait « attendu la mort de [s]es deux parents pour faire ça ».

L’intérêt des médias et des écrivains pour l’histoire de Saâda Arbane n’est pas nouveau : en 2009, raconte-t-elle, « quand j’ai gagné la médaille d’or du Championnat maghrébin d’équitation, […] j’ai commencé à recevoir les premières demandes pour raconter mon histoire ». Depuis lors, pour elle comme pour ses parents par kafala (forme musulmane de l’adoption), le refus de raconter son histoire était catégorique : « Depuis 25 ans, je refuse qu’on raconte mon histoire à ma place. C’est mon intimité, c’est mon histoire. […] J’avais refusé que mon histoire soit divulguée. […] Lui, il l’a divulguée. […] Mon intimité a été dévoilée. »

Si Saâda Arbane a décidé de prendre la parole aujourd’hui, c’est « pour dénoncer l’abus que Kamel Daoud a fait dans son livre de [s]on histoire ».

D’après elle, Mme Daoud se serait rendue en octobre dernier à son domicile pour lui remettre un exemplaire de Houris portant une dédicace signée de l’écrivain : « Notre pays a souvent été sauvé par des femmes courageuses, et tu es l’une d’entre elles, avec mon admiration. » Mme Daoud aurait en outre « parlé d’un projet du film et de son éventuelle implication dans le scénario ». Ce qui pourrait lui faire « gagner énormément d’argent », avec lequel elle aurait les moyens de s’« acheter un appartement en Espagne­». Pour Saâda Arbane, cette proposition est « une tentative de l’acheter et de l’amener à se taire ».

 

Dans le même reportage de One TV, le mari de Saâda Arbane considère que la publication de Houris et son hypermédiatisation ont « remué le couteau dans la plaie » de l’histoire familiale de sa femme. Depuis, précise-t-il, « elle a énormément de mal à se nourrir, à dormir [… et] elle souffre de sévères maux de tête ». Selon lui, le roman « a fait resurgir de mauvais souvenirs », qui pourrait se répercuter négativement sur leur fils de huit ans.

En attendant que les faits allégués soient vérifiés et d’éventuelles explications de Kamel Daoud lui-même, une question mérite au moins d’être posée : un romancier qui se présente en défenseur des femmes de son pays, en rempart contre la violence qu’elle y subissent ; comme celui qui leur restitue une voix qui leur est refusée. Ce romancier aurait-il dépossédé une survivante du terrorisme islamiste de son histoire, de sa vie, de sa parole ? Une parole confiée sous le sceau du secret et dont elle a explicitement refusé la divulgation.

 

Faris Lounis
Du même auteur, sur le même sujet, lire « La fascination de Kamel Daoud pour l’extrême droite », Orient XXI, 4 septembre 2024 ; également en anglais.

Dans ce numéro extraordinaire, nous vous plongeons au cœur d’un véritable conte passionnant, raconté par une femme algérienne du nom de Saad Arban qui a choisi de rompre le silence plus de 25 ans après la tragédie de sa famille. De l’État d’Oran, l’enquête révèle des détails choquants sur une histoire qui a inspiré le roman de Kamal Daoud "Houris" selon Saadeh.

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