Le Parlement algérien s'empare de la question des essais nucléaires français des années 1960
RFI, 14.02.25
Le 13 février 1960 a explosé, à Reggane dans la région d'Adrar, dans le sud-ouest algérien, la première bombe atomique française, Gerboise bleue, d'une puissance de 70 kilotonnes. Le Parlement algérien a organisé un colloque sur le thème : « Explosions nucléaires en Algérie : un crime contre l'humanité et l'environnement », 65 ans après les essais atomiques français dans le sud algérien. Les intervenants ont appelé la France à assumer ses responsabilités... Lire la suite
En Algérie, des élus redemandent des comptes à la France pour les essais nucléaires des années 1960
Le Monde, 14.02.25
Reggane : les irradiés du Sahara En février 1960, la France réalisait son premier essai atomique sous le nom de code "Gerboise bleue". Suivirent, jusqu'en 1966, trois autres essais atmosphériques et 13 essais souterrains dans le Hoggar, avec des conséquences sur l'homme et l'environnement désastreuses. Plus de 60 ans après, les séquelles sont toujours visibles et les victimes ont du mal à se faire entendre.
13 février 1960 : Les oubliés de Reggane
IDN, 24.02.2020
Voilà 60 ans, la France effectuait sa première explosion nucléaire dans le désert algérien. Avec “Gerboise bleue”, la France devenait la quatrième puissance nucléaire, derrière les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne. “Gerboise bleue” et les essais qui suivront auront de graves conséquences sur la population humaine et l’environnement de Reggane. 60 ans après, l’Algérie et les victimes peinent encore à obtenir réparation de la part de l’État français. Explications... Lire la suite
Algérie : l'héritage empoisonné des essais nucléaires français, 60 ans après l'accident du tir Béryl Avant la Polynésie, l'Algérie a été le théâtre des essais nucléaires français, qui ont continué après l'indépendance du pays. Ces tests ont connu des épisodes parfois dramatiques. Ainsi, le 1er mai 1962, le tir Béryl ne s'est pas déroulé comme prévu, sous les yeux effrayés de ministres venus constater à In Ekker la grandeur nucléaire de la France.
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Les damnés de Reggane racontent : 50 ans sur cette terre maudite
Algérie 360, 13.02.2010
Le 13 février 1960, la France commençait, dans le Sahara algérien, une série d’essais atomiques qui allaient lui donner son statut de puissance nucléaire.
Cinquante ans après, d’Alger à Taourirt via Reggane et les villages ensablés de la RN6, nous avons pris la route de la mort. Où la population et l’environnement portent à jamais les séquelles d’un crime resté longtemps enfoui dans les bunkers du secret d’Etat. Le vieil homme au chèche beige sourit.
Les rides, aux coins de ses yeux, s’animent. Rien ne sert plus de pleurer. Ils sont tous partis. Des quinze ouvriers de son équipe, Mohamed Belhacen est aujourd’hui le seul survivant.
Son bébé de 6 mois et son premier garçon de 4 ans sont tombés malades quelques mois après l’explosion. Dans sa voix, il y a de la fatalité. « On a pensé à une maladie de Dieu.
Ou à la bombe. » Et puis, eux aussi sont morts. D’ailleurs, à Taourirt, reste-t-il encore quelqu’un ou quelque chose en vie ? Rien ne bouge dans ce hameau fantôme attaqué sans répit par le sable, où portes et fenêtres restent closes. A 35 km au bout de cette route de la mort se trouve le point Zéro. Là où le 13 février 1960, la France fit exploser une bombe atomique de 70 kilotonnes.
Quatre fois Hiroshima. L’opération Gerboise Bleue marquait le début d’un long cauchemar pour plus de 40 000 personnes* – population du Touat hors Touareg – qui furent exposées aux radiations des essais nucléaires entre 1960 et 1966.
Dans son bureau à Adrar, Kaloum Mekki, notable de la ville et sociologue de formation, croule sous les dossiers. Il cherche à lever une des nombreuses zones d’ombre de cette affaire.
Profitant de son aura, il lança, il y a quelques années, un appel dans les médias pour recenser tous les Algériens mobilisés pour travailler sur le site.
A en juger par le nombre de photocopies de pièces d’identité empilées sur son bureau, ils ont été des centaines à venir frapper à sa porte. « Il y avait quelque 10 000 travailleurs sur le site, dont 6500 Français et 3500 Algériens.
Pour la wilaya d’Adrar, j’en ai recensé 600 dont la majorité avait entre 19 et 26 ans. Les Français avaient lancé une opération de recensement. Quand les hommes se présentaient avec leur carte, ils les enrôlaient de force, raconte-t-il en levant un doigt accusateur vers le ciel. Avec la complicité des caïds, qui exécutaient les ordres de l’administration avec plus ou moins de zèle. »
Bahou. Village ensablé avant Reggane, sur la RN6 qui s’enfonce vers Bordj Badji Mokhtar. Sid Ammar El Hammel, président de l’Association du 13 février 1960, travaille à l’école du village et passe beaucoup de temps à recueillir les témoignages des derniers survivants. En 1960, il n’était pas né.
Mais il sait que les essais ont bouleversé sa vie, celle de son père, Ahmed Lamine, qui travaillait comme manœuvre sur le site. En 1960, pour les populations laborieuses du Bas-Touat ou des Oasis, comme les avaient appelés les Français, les préparatifs des militaires n’avaient rien de suspect. Jusqu’à ce que des consignes bizarres leur fassent pressentir le pire.
« Avant l’explosion, les Français nous ont demandé de sortir des maisons, se souvient Mohamed Belhacen. Ils avaient peur qu’elles s’effondrent. Et puis, on nous a dit de nous mettre à plat ventre par terre, le bras devant les yeux.
Il y a d’abord eu une lumière, comme un soleil. Puis un quart d’heure après, un bruit assourdissant et, enfin, l’onde qui s’est propagée dans le sol, pareille à celle d’un tremblement de terre qui vous emporte dans les profondeurs… »
Avec ses doigts, le vieil homme dessine ses souvenirs dans le sable.
Et d’un coup, lève les yeux vers le ciel. « On a vu de la fumée noire, jaune, marron qui montait très haut. On ne comprenait pas, mais on savait que c’était un jour noir. Des hommes ont pleuré. »
Sid Ammar a recoupé tous les récits et confirme : « Ils ne savaient pas ce qui se tramait. Aujourd’hui encore, mon père ne comprend pas tout le danger.
Il sait qu’avec l’Association, je me rends souvent au point Zéro, mais il ne me dit rien ! » Après l’explosion, invisibles, les radiations ont semé la mort. « Les femmes perdaient leurs bébés. Les chèvres et les dromadaires tombaient malades puis mouraient. On n’avait même plus de moustiques », poursuit Mohamed.
Le temps où les habitants du Touat troquaient leurs tomates contre du bétail avec les Maliens est terminé. Leur regard est désormais tourné vers le nord, d’où arrivent les camions pleins des fruits et légumes qui poussaient autrefois dans les oasis. « Nos tomates restent petites, leurs feuilles deviennent blanches. A l’intérieur des petits pois, on trouve une sorte de plâtre blanc et des vers. Quant aux palmiers, ils ne donnent plus de dattes. »
Pour les fellahs, qui ne souffrent pas du manque d’eau et sont aidés par les fonds de l’Etat pour revaloriser leurs terres, le lien entre les essais, l’anémie des cultures et les maladies des troupeaux ne fait pas de doute. Kaloum Mekki, à Adrar, se souvient « avoir lancé un cri d’alarme » en 1986, à l’occasion d’un colloque sur les perspectives de l’agriculture saharienne.
« J’avais relevé que les symptômes de dégradation des écosystèmes de la région et leurs répercussions sur l’agriculture traditionnelle étaient les conséquences des irradiations. J’avais parlé de “bayoud nucléaire” ! » Mais aucune étude ne leur donne raison. Tout comme aucune enquête épidémiologique ne permet d’établir une corrélation directe entre les radiations, les cancers et les malformations. Sidi Mokhtar, 4 ans, est un des fils de Sid Ammar.
Un petit bonhomme aux cheveux bouclés. Il ne court pas aussi vite que ses copains car un de ses pieds est malformé. Abdallah, un autre de ses fils, 8 ans, n’a pas toutes ses facultés mentales. Bien sûr, Sid Ammar sait qu’il ne doit pas accuser la bombe. Dans cette région du Sahara, les médecins ne se bousculent pas.
Et à Adrar, le chef-lieu de la wilaya, à 155 km, il n’y a même pas d’hôpital. Juste un ensemble de blocs réunis sous le nom d’« établissement public hospitalier ». Abderrezak Mentouri y travaille depuis un an et demi. Il ouvre la porte de son logement de fonction, en face de la morgue. Débordé, les yeux cernés, les traits marqués, il confie sur un ton excédé : « Je n’ai pas de moyens, pas de quoi faire des radiothérapies, les médicaments coûtent trop cher, alors je fais du palliatif. Si j’arrive à leur ajouter trois à six mois de vie, je suis content. »
Avant lui, il n’y a jamais eu d’oncologue dans la région. Aujourd’hui, tous les malades affluent vers son service.
« J’avais complètement sous-estimé leur nombre ! Sur 70 cancers, je dois en avoir 30 du sein ! Et aussi des leucémies, des cancers du poumon… bref, tous les cancers radio-induits, que l’on connaît depuis Nagasaki et Tchernobyl. Normalement, on devrait avoir un registre des cancers. Mais ici, il n’existe pas !
Alors au moment du diagnostic, je relève le lieu de naissance, l’adresse, l’âge… Autant d’éléments qui serviront à établir une corrélation entre les radiations et les cancers. »
A Reggane, Abdellahi M’barek, le président de l’APC, paraphe les documents posés sur son bureau en expliquant : « Nous avons absolument besoin d’études.
On n’est sûrs de rien, par rapport à la terre, l’eau, la santé. En tant qu’élu, j’ai besoin de ces données pour savoir ce qui est enterré. Beaucoup de choses sont dites mais j’ai des doutes, je sens toujours qu’il y a ‘quelque chose’ là-bas. » A la bombe, Nourredine Belmouhoub, 62 ans, y pense tous les jours.
Toutes les minutes presque, à chaque fois que ses boutons le démangent. Des boutons rouges qui se déplacent sur le cuir chevelu, dans sa barbe rousse blanche et noire, sur ses jambes, entre ses orteils… Abdelkader, 52 ans, a les mêmes, localisés sur les omoplates, la poitrine.
Les deux hommes ont passé plusieurs mois dans le « triangle de la mort » : In M’guel, Reggane, Oued Namous. Trois casernes françaises incluses dans le périmètre irradié, que les Algériens ont récupérées et transformé en camps d’internement.
Entre 1992 et 1995, ils seraient entre 18 000, selon la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme, et 24 000, selon le Comité de défense des internés, à y avoir été déportés sur soupçon d’appartenance à l’ex-FIS (Front islamique du salut).
Les deux ex-détenus ont aussi perdu l’odorat à In M’guel, en bas de la montagne d’In Ecker. Un comble pour Nourredine, autrefois restaurateur à Sétif. « Là où nous étions, rien ne poussait. Et du sol, se dégageait une odeur de pomme et de vinaigre », témoigne-t-il.
Trente ans auparavant, le 1er mai 1962, la France effectuait, à In Ecker, un tir dans une galerie creusée dans une montagne. Lors de l’explosion, le système d’obturation céda sous la pression, projetant gaz, poussières et matériaux radioactifs à l’extérieur.
Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche, présents lors de l’accident, furent irradiés. Le second mourut d’une leucémie. Le nuage radioactif qui s’était échappé a contaminé une partie de la région.
En 2005, l’Agence internationale de l’énergie atomique relevait dans un rapport que la radioactivité résiduelle y était encore très forte. Alors que les températures frôlaient les 50° la journée et chutaient jusqu’à 5° la nuit, que le vent déchirait les tentes, les détenus ont alors creusé des abris dans cette terre maudite.
« On ramassait les piquets métalliques que les Français avaient laissés et on creusait, creusait, parfois jusqu’à trois mètres de profondeur. On trouvait bien qu’il y avait des odeurs bizarres, mais on pensait qu’elles étaient naturelles. Qu’elles venaient du sable, de vieilles racines…
Et puis, avec l’argile et l’eau avec laquelle nous nous douchions, nous avons fabriqué des parpaings. On ne savait pas. Je n’ai découvert qu’en 2007 qu’il y avait eu des essais sur le site… »
Fatah Bouteba, 51 ans, est passé par Reggane et In M’guel, où il a commencé à perdre la vue. Arbi Messaoud, 62 ans, lui, a connu les trois camps. Cet ancien commerçant, détenu pendant six ans et trois mois, se souvient avoir été mis dès le début de son internement au courant du passé des camps.
« Avec d’autres prisonniers, nous avions trouvé des pierres noires et des morceaux de ferraille calcinés. Un professeur en neurologie nous a expliqué pourquoi. Un des détenus vomissait souvent du sang, mais les militaires n’ont pas voulu l’emmener à l’hôpital. Il est mort au bout d’un an.
Moi, je suis parti à In M’guel avec une fistule. J’ai été opéré, sans savoir d’où elle venait. Encore aujourd’hui, j’ai des douleurs.
Un instant, il s’arrête pour s’éponger le front. A Oued Namous, un autre docteur nous avait dit que les blocs dans lesquels nous dormions étaient, du temps des Français, des laboratoires pour les expériences chimiques. »
En Algérie, le dossier des essais nucléaires est longtemps resté fermé. A Bahou, Sid Ammar el Hammel, président de l’Association des victimes du 13 février 1960, écarquille ses yeux et passe la main dans son épaisse barbe poivre et sel, comme pour mieux faire resurgir ses souvenirs.
« En 1987, un député a écrit un article sur les essais nucléaires dans le magazine d’une petite association locale. Cet article a été repris par un autre magazine, Al Wihda, puis la télé de Béchar est venue faire un reportage. Mais le dossier n’est vraiment devenu officiel qu’en 1996.
Saïd Abadou, alors ministre des Moudjahidine, a osé partir au point Zéro, raconte-t-il en exhumant un vieil album de photos jaunies par le sable et le soleil. Il est monté au sommet du bunker scellé depuis le départ des Français et a prononcé un discours assez violent contre la France en parlant de ‘crime’. »
Et ce crime a le visage d’Abdelkader et de Mohamed. Assis au bord de la chaussée, dans le sable déjà chaud, à l’ombre d’un mur, sur cette route de la mort menant au point Zéro.
Ils sont nés dans les années 1960. Mentalement déficients, il leur est impossible de tenir une discussion. Ils ont perdu un frère et leur père, Abderrahmane, est décédé il y a dix ans « d’un cancer ».
Il était responsable du magasin où étaient entreposés les produits chimiques entre 1957 et 1962. Les yeux fixés sur leurs pieds nus, la peau lézardée par la sécheresse et le sable, chassant les mouches d’un revers de la main, ils attendent là que le temps passe. Et que la mort les prenne.
*) Chiffre avancé par le Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN) dans son rapport de mai 2007
Par Adlène Meddi, Mélanie Matarese
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ALGÉRIE- ESSAI NUCLÉAIRE À REGGANE : 150 PRISONNIERS ALGÉRIENS UTILISÉS COMME COBAYES HUMAINS
Par Nicolas Pluet
Nucléeaire infos, 24.01.2019
Des Algériens ont été utilisés comme cobayes pendant l’essai nucléaire français en Algérie.
René Vautier est mort le 4 janvier 2015. Résistant à 15 ans, il fut, avec pour seule arme sa caméra, engagé sa vie durant contre le colonialisme et les injustices ; emprisonné dès son premier film à 21 ans ; censuré comme nul autre réalisateur français ne le fut. Lui qui avait des liens si forts avec l’Algérie s’était fait l’écho d’un témoignage terrible. Il était surtout intervenu auprès d’amis algériens
Cela se passe au Centre saharien d’expérimentation militaire situé à Reggane, à 700 km au sud de Colomb Bechar. Les tirs sont effectués à Hamoudia, à une cinquantaine de km au sud-ouest de Reggane. Le 1er avril 1960 a lieu le second essai nucléaire français, sous le nom de code “Gerboise blanche”. La bombe dégagea environ 4 kilotonnes.
Le tir a été l’occasion d’étudier la résistance des matériels militaires (avions, véhicules, parties de navires…) à une explosion nucléaire. L’armée française a mené des essais sur des rats, des lapins et des chèvres. Des exercices militaires en ambiance « post-explosion » ont été réalisés. Ils commencèrent vingt minutes après les tirs. Mais, environ 150 hommes vivants furent aussi exposés aux effets de la bombe, ligotés à des poteaux, à environ 1 km de l’épicentre.
Nous sommes en pleine guerre d’Algérie, cette guerre qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes algériennes, militaires et surtout civiles. Beaucoup de victimes meurent torturées. Pour le colonialisme français et son armée, la vie des algériens ne vaut pas cher à l’époque…
René Vautier, avait monté son film “Algérie en flammes”, tourné aux côtés des combattants algériens dans les studios de la DEFA (Deutsche Film-Aktiengesellschaft) en RDA. C’est là qu’il a appris que Karl Gass, réalisateur documentariste à la D.E.FA. avait recueilli le témoignage d’un légionnaire français d’origine allemande affecté à la base de Reggane. Le témoin affirmait avoir reçu, juste avant l’explosion, l’ordre de récupérer dans des prisons et des camps de concentration, 150 Algériens qui devaient être utilisés comme cobayes à proximité du point zéro. Il déclarait les avoir fait venir, les avoir remis à ses supérieurs hiérarchiques et ne les avoir jamais revus. Ce légionnaire a été affecté ailleurs en 1961.
Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach et M. Chennafi, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler, confirment ce témoignage (voir encadré “Ce que disent les Algériens”). En Algérie, la presse et les médias algériens, la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, des juristes, des médecins évoquent ces questions.
Le 14 février 2007, le quotidien Le Figaro cite une réponse à l’interpellation des Algériens. Elle est faite par le responsable de la communication du ministère de la Défense, Jean-François Bureau : « Il n’y a jamais eu d’exposition délibérée des populations locales ». Il s’agit, selon lui, d’une légende entretenue par la photo d’une dépouille irradiée exposée dans un musée d’Alger. « Seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe », ajoute-t-il.
Mais alors, quels sont ces cadavres ? D’où venaient-ils ? Quelles étaient les causes des décès ? Où sont les documents tirant les enseignements de leur exposition à la bombe ? Et surtout, peut-on sérieusement croire qu’en pleine guerre d’Algérie, l’armée française pouvait transporter des cadavres sur des centaines de km pour des essais “éthiques” alors qu’elle torturait et tuait quotidiennement civils et combattants algériens ? Qui peut croire aussi, qu’un pouvoir qui se dote à grands frais d’une arme nouvelle, qui fera l’essentiel de ses forces, va s’abstenir d’en faire l’essai jusqu’au bout ? La logique “technique” à défaut d’être humaine, c’est de la tester “en vraie grandeur” c’est à dire sur des êtres humains vivants … Tous l’ont fait : lisez, pays par pays, l’encadré à ce sujet.
Pourtant, il n’y a pas eu de scandale d’État à la hauteur de ce fait qui relève du crime contre l’humanité. Le fait que le FLN avait accepté, dans le cadre d’« annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant quatre années supplémentaires a sans doute créé des conditions propices à ce silence officiel… En effet, ces essais se sont poursuivis dans les conditions de mise en danger des populations locales et des travailleurs algériens sur les sites contaminés, le pouvoir algérien ne souhaitait sans doute pas voir ce dossier sensible resurgir.
Derrière elle, l’armée française a laissé des poubelles nucléaires à peine ensablées, des populations victimes de multiples cancers, des nappes phréatiques radioactives. Mais elle laisse aussi le souvenir, mieux caché pour l’instant, d’une épouvantable expérimentation effectuée sur des êtres humains vivants. Merci à René Vautier pour avoir tenté, durant des années, de lever la chape de plomb sur ce crime. À présent les bouches et les archives doivent s’ouvrir.
Comme la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, par son Président Mr HOUARI kaddour exige l’ouverture compète des archives militaires sur les essais nucléaires dans le sud du Sahara (algérien) dans les années 1960 à 1966. Demandons aux nombreux militaires et civils français et algériens qui ont servi sur la base de Reggane et ont pu être témoins directs ou recueillir des témoignages de dire ce qu’ils savent. Que la France officielle reconnaisse aujourd’hui le crime. À défaut de pouvoir le réparer, qu’elle prenne ses responsabilités pour atténuer les conséquences de ses essais nucléaires sur les populations algériennes :
. La réhabilitation des sites d’essais nucléaires, conformément à la législation internationale.
. La création d’une structure de santé spécialisée dans le traitement des maladies cancéreuses causées par la radioactivité. La mise en place d’un registre du cancer dans les régions d’Adrar, Tamanrasset et Béchar. La prise en charge totale des malades.
. La création d’un pôle d’observation des différents sites ayant servi aux essais nucléaires comme ce fut le cas pour l’Angleterre et ses sites en Australie.
. Et enfin, que la mise au jour de ce crime soit une occasion de plus d’exiger de supprimer PARTOUT ces armes, qui avant même leur emploi dans un conflit, ont de pareilles conséquences.
Ce que disent les Algériens
Du côté algérien, des recherches ont été faites dans les années 2000 et résumées ainsi par l’avocate Me Fatima Ben Braham : « L’étude iconographique, de certaines de ces photos, nous a permis de constater que la position des soi-disant mannequins ressemblait étrangement à des corps humains enveloppés de vêtements. À côté de cela, nombre d’Algériens détenus dans l’ouest du pays et condamnés à mort par les tribunaux spéciaux des forces armées [français] nous ont apporté des témoignages édifiants. Certains condamnés à mort n’ont pas été exécutés dans les prisons, mais ils avaient été transférés pour ne plus réapparaître. Ils avaient, selon eux, été livrés à l’armée. Après consultation des registres des exécutions judiciaires, il n’apparaît aucune trace de leur exécution et encore moins de leur libération. Le même sort a été réservé à d’autres personnes ayant été internées dans des camps de concentration. »
Après des recherches, l’avocate a retrouvé une séquence des informations télévisées montrant un combattant mort sur une civière entièrement brûlé, ainsi commentée : « Et voilà le résultat de la bombe atomique sur un rebelle. » De plus, une étude minutieuse des photos de mannequins, et particulièrement une, où plusieurs corps (5 environ) étaient exposés, indique que les mannequins auraient une forte ressemblance à des corps humains.
Elle a alors réuni un groupe de médecins et de médecins légistes à l’effet de faire le rapprochement des corps exposés avec de véritables corps humains dans la même position (tête, bras, jambes, bassin, buste, etc.) Les résultats ont été concluants : il s’agit bien de corps humains (même le poids a été déterminé) et leur mort était certaine. En 2005, la question a été posée aux autorités françaises qui ont d’abord répondu qu’il s’agissait uniquement de mannequins et de rien d’autre, pour tester les habillements face aux essais.
Après insistance des Algériens, les autorités françaises ont rétorqué que « s’il y avait des corps à la place des mannequins, il faut se rassurer que les corps étaient sans vie ».
Source : Algeria Watch
Lors d’un documentaire, réalisé par Saïd Eulmi et diffusé à l’ouverture du colloque, il a été rapporté que des prisonniers de guerre avaient été utilisés comme cobayes lors des essais. Des images de corps humains calcinés accrochés à des poteaux ont été montrées. « Les corps de ces martyrs (…) ont été retrouvés durcis comme du plastique », a souligné Mostefa Khiati, médecin à l’hôpital d’El Harrach. « Les conventions de Genève ont été violées. Il s’agit de crimes de guerre », a estimé Abdelmadjid Chikhi, directeur des archives nationales.
Source : Metaoui Fayçal, El Watan
Le témoignage de M. Chennafi, un sexagénaire, enlevé avec cinq de ses amis de Staouéli (ouest d’Alger) à Reggane où ils devaient travailler jour et nuit et préparer l’installation de la bombe nucléaire : « Après l’explosion de cette bombe, les victimes étaient parties en fumée. Même les ossements ont disparu ». Plusieurs militaires et médecins Français ont confirmé l’utilisation par l’armée française d’habitants de la région ou de Ghardaia afin de « tester l’effet des radiations » sur eux. Ces derniers ont été placés dans les lieux servant de théâtre des opérations sans protection aucune. Les survivants n’ont bénéficié d’aucun traitement contre les radiations nucléaires par la suite.
Source : Planète non violence (webzine)
Monsieur Houari Kaddour, président du bureau national de la ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme pense que l’exposition directe, par la France de prisonniers dans l’expérience nucléaires constitue « une flagrante violation de la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre et à leur traitement. »
Le FLN a accepté, dans le cadre d’« annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966.
La LADDH est porteuse d’exigences vis à vis de la France (voir article principal). Source : https://ekopol.over-blog.com/2014/08/les-essais-nuclaires-francais.html
Radiations imposées : même les militaires n’étaient pas protégés
Si l’on compare avec ce qui a été fait en Polynésie pour la protection des populations – des blockhaus pour Tureia qui se trouve à 110 km de Mururoa et des « abris de prévoyance » sommaires pour les Gambier, Reao et Pukarua, dans le Sahara algérien, les précautions prises pour la protection des personnels militaires et des habitants des palmeraies voisines ont été très sommaires, voire inexistantes. Quelques documents estampillés « secret » permettent d’avoir une idée du mépris des autorités militaires à l’égard de leurs hommes. On peut constater que pour les populations sahariennes de Reggane (environ 40 km d’Hammoudia) et quelques palmeraies encore plus proches des points zéro, la protection était nulle. Aucun abri ou autre bâtiment n’a été construit pour ces populations, tout aussi bien que pour les personnels militaires de la base de Reggane Plateau ou les quelques dizaines de militaires et civils qui restaient sur la base d’Hammoudia pendant les tirs.
À Reggane au Sahara, à moins de 5 km de l’explosion, on donnait des lunettes noires aux soldats pour se protéger les yeux. Mais ils étaient en short et chemisette.
Des retombées à plus 3 000 km, des conséquences sanitaires terribles
Outre dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été enregistrées jusqu’à plus de 3000 km du site (Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum, etc.). 24 000 civils et militaires ont été utilisés dans ces explosions, sans compter l’exposition aux radiations de toute la population de la région.
Le film « Vent de sable » de Larbi Benchiha montre clairement que si des dosimètres ont été remis à la population, puis des examens effectués pour mesurer les expositions aux radiations, c’était à des fins d’études et non pas de soins.
À Reggane où les essais ont été atmosphériques et ont couvert une vaste zone non protégée, selon les médecins l’exposition aux radiations ionisantes provoque plus 20 types de cancer (cancers du sein, de la thyroïde, du poumon, du foie, du côlon, des os, etc.). Les leucémies dépassent de manière sensible la moyenne dans la région. Des malformations touchent aussi bien les adultes que les enfants, les nouveaux nés et les fœtus. On constate également une baisse de fertilité des adultes. Des cas de cécité sont dus à l’observation des explosions. À Reggane le nombre de malades mentaux est très important. Des familles entières sont affectées, sans parler des lésions de la peau, des stigmates physiques et des paralysies partielles, ainsi que d’autres phénomènes sur lesquels les médecins n’arrivent pas à mettre de mots.
Le bilan des décès causés par les maladies radio-induites ne cesse de s’alourdir à Tamanrasset. Au total 20 cancéreux, entre femmes, hommes et enfants, sont morts en juillet dernier, s’alarme Ibba Boubakeur en 2014, secrétaire général de l’Association des victimes des essais nucléaires à In Eker (Aven), Taourirt. « Nous avons assisté à l’enterrement d’enfants amputés de leurs membres inférieurs et de femmes à la fleur de l’âge. Le pire, c’est qu’aucune de ces victimes ne possède un dossier médical, hormis les quelques certificats délivrés par les médecins exerçant dans la région », se plaint-il. 52 ans après cette tragédie que la France ne veut toujours pas réparer.
« On ne peut pas avoir le nombre exact de victimes. En 2010, un recensement partiel faisant état d’un peu plus de 500 victimes a été réalisé dans les localités relevant uniquement de la commune de Tamanrasset, à savoir Inzaouen, Ifak, Toufdet, Tahifet, Indalak, Izarnen, Outoul et Tit. Nous y avons constaté beaucoup de maladies, des avortements, des malformations et toutes les formes de cancer ».
Selon une étude réalisée par des experts, 21,28% des femmes de cette région sont atteintes de cancer du sein et 10,13% du cancer de la thyroïde
La France n’est pas la seule à utiliser des humains comme cobayes
USA. Le secrétaire d’État à l’Énergie américain, Hazel O’Leary, a révélé que son pays a mené des expériences sur quelque 700 « cobayes humains ». C’était dans les années quarante, on administra à plus de 700 femmes enceintes, venues dans un service de soins gratuits de l’université Vanderbilt (Tennessee), des pilules radioactives exposant les fœtus à des radiations trente fois supérieures à la normale. On leur faisait croire qu’il s’agissait d’un cocktail de vitamines. .. En 1963 (là, on était pourtant édifié sur les effets de la radioactivité !), 131 détenus de prisons d’État de l’Oregon et de Washington se portèrent « volontaires », en échange d’un dédommagement de 200 dollars chacun, pour recevoir de fortes doses de rayons X (jusqu’à 600 röntgens) aux testicules. Mais l’expérimentation humaine principale avait été menée lors des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 et après eux. Le Japon avait de toute façon déjà perdu la guerre et s’apprêtait à négocier, avant les bombardements nucléaires. Les USA choisissent Hiroshima et Nagasaki pour leurs configurations différentes et y expérimentent deux bombes de types différents : plutonium pour Nagasaki ; uranium 235 pour Hiroshima. Plus de 200 000 victimes immédiates, sans compter celles des décennies suivantes. Les archives américaines ont révélé que quatre des plus grandes villes japonaises avaient été retenues comme cibles potentielles et interdites de tout bombardement, afin de pouvoir attribuer à la seule bombe atomique les dégâts observables. Par ordre de « préférence », il s’agissait de Hiroshima, Niigata, Kokura et Nagasaki. Après les bombardements les USA construisent tout un hôpital, implantent un camp de scientifiques pour examiner les survivants et mener des expériences sur eux, quelques semaines seulement après le bombardement. Mais ne soigneront personne.
URSS. En septembre 1954, l’armée soviétique exposa sciemment des civils et des militaires aux retombées d’une bombe atomique de 20 kilotonnes, explosée à 350 m au-dessus de la ville de Totskoye, dans l’Oural. Outre les 45 000 soldats qui furent exposés – quand les généraux décidèrent de leur imposer des exercices militaires sur les terrains encore brûlants de radioactivité -, il y avait aussi des civils : un million de personnes environ, réparties dans un rayon de 160 km autour du site de l’expérience. En effet, Kouibichtchev (aujourd’hui Samara), alors peuplée de 800 000 habitants, se trouve à 130 km à l’ouest du site et Orenbourg, 265 000 habitants, à 160 km à l’est. Au Kazakhstan un quart du territoire kazakh est occupé par les terrains d’essais et des usines militaires. On y a fait exploser 466 bombes atomiques : 26 au sol, 90 en altitude et 350 sous terre. Lors de l’essai, en 1953, de la première bombe à hydrogène 14 000 personnes furent exposées aux retombées. Une vaste région de ce pays est contaminée. Elle a subi une irradiation d’un niveau comparable à celui de Tchernobyl pendant quarante ans. Source : Atomic Archives
Chine. Le site d’essais nucléaires chinois de Lob Nor, dans le Xinjiang, est le plus vaste du monde : 100 000 km2, dans le désert du Turkestan oriental, dont environ un cinquième a été irradié. Les populations locales se sont plaintes à de nombreuses reprises de maladies inhabituelles : cancers de la thyroïde ou malformations à la naissance. Les estimations du nombre de victimes vont de « quelques décès » selon les autorités, à 200 000 selon les sympathisants de la cause ouïghoure (ethnie majoritaire au Xinjiang). Des tests indépendants, conduits dans quelques villages, ont montré des taux de radioactivité très supérieurs à la limite d’alerte, et 85 000 personnes au moins vivent encore à proximité immédiate des anciennes zones d’essais. Au début des tests, ces riverains n’étaient même pas déplacés. Dans les années 70, on les faisait évacuer quelques jours avant de les faire revenir. Source : Denis Delbecq et Abel Segretin.
Royaume Uni. Le gouvernement britannique a eu recours à des soldats australiens, anglais et néo zélandais pour les utiliser comme cobayes lors d’essais nucléaires. Des centaines d’aborigènes ont probablement été contaminés à proximité du site d’essais de Maralinga.
Par Nicolas Pluet, ami de René Vautier, publié le 24 janvier 2019.
https://www.moroccomail.fr/2019/01/24/algerie-essai-nucleaire-a-reggane-150-prisonniers-algeriens-utilises-comme-cobayes-humain/