« De lourdes armées de marins gonflèrent le remous de la poudre », un poème inédit de Kateb Yacine
Orient XXI, 07.02.25
M’hamed Issiakhem (1928-1985), La Mort de Lakhdar ou les Jumeaux de Nedjma, 1966, encre et gouache sur papier (détail).
...
De lourdes armées de marins gonflèrent le remous de la poudre
Et la géographie de la mer d’Afrique fut illuminée à la hauteur du feu
Ce fils de l’eau brûlée jaillit au long du port noyé par les étoffes des croiseurs
Son cœur dura au cœur du lac et du soleilÀ la vue de l’encre et du tonnerre
Je sais qu’il a le remords de la lumière !
Ce possesseur des renversements amers de l’iris !Nous eûmes du respect
Sa tête se perd à la vague et la trame de la merveille bouge les continents au bord de ses bonds
La route amène les pays aux chevilles
Toute la tristesse lui est venue
Ainsi qu’Achille au centre du poisonIl donne le corps à la course et reçoit l’air au front !
Tant que ses premiers cris refusaient la musique pour l’ouragan !Le monde rend la mort ou son limon
Et le jeune savant lave les morts à l’eau brisée
Par toute la maison des despotes il referme les secrets
Avec l’orgueil et les larmes d’un prince livré aux guerriersIl court à la tempe de la mer entre les puits et les courants
Cheveux et gestes à l’abîme
Il donne accès à cette science qui m’a noirci la poitrinePrès de ce doux requin de la beauté qui pleure aussi à la rade
Et le cou des monstres au fond de l’effrayant bijou tout vif
Ce penseur entouré d’îles se donne à de poignants climatsAprès les épreuves du sel et de la noyade
Tant d’ampleur lève la surface que le coureur s’épuise et s’étend sur les alguesSultan muré dans l’Inde
Jeté vivant à la bouche du Bosphore
Il perce d’immenses pâleurs où les visiteurs guettent les nourritures
Dont les grandes races ont vécu jusqu’à la folieIl dort dans une peinture traîtresse
Dont les lignes tombent ou poussent avec rapidité
Tandis que de sa main il dirige les paysages vers des adolescents de bronze assis sur l’azurIl approche les premières aurores sur les corps des chasseurs
Sa tête rend et jette le monde et le tue au soleil !
Tapi dans la neige il écoute le flottement des fleuves sur les branches
Ainsi qu’un serpent allongé dans la mousseLa Chine crève les lacs immobiles
Et cet amant du sang boit la glace
Avec des feuilles de fer à la gorge au chant fatal à toute la mer
Lève la gangue du pays comme une éponge vénéneuse
Dont le suc s’enflamme au regard des navigateursParis, 1er novembre 1947
Kateb Y.
..