Ces massacres coloniaux que la France ne veut (toujours) pas voir
Afrique XXI, 21.03.25
En France en 2025, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et certaines sont même fortement déconseillées. C’est ainsi qu’un journaliste, Jean-Michel Apathie, s’est fait suspendre de l’antenne de sa radio, RTL, pour avoir osé affirmé que la France avait commis « des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie » durant la colonisation, en référence au massacre perpétré par les nazis dans ce village du centre de la France en juin 1944 (642 morts). Une affirmation soutenue par de nombreux historiens, et pas si nouvelle que cela (lire notamment les articles du site histoirecoloniale.net), mais qui est insupportable aux oreilles des révisionnistes de tout poil.
Apathie aurait pourtant pu ajouter que des « Oradour-sur-Glane », la France en a commis bien au-delà de l’Algérie : au Maroc, au Cameroun, à Madagascar, au Niger ou encore en Afrique centrale. Il aurait pu ainsi citer un ouvrage publié il y a onze ans par Le Passager clandestin dans un relatif anonymat, intitulé Le Rapport Brazza, et ressorti récemment dans un nouveau format, mais qui remonte en réalité à plus d’un siècle, puisqu’il s’agit d’un rapport officiel datant de… 1906, et dans lequel la brutalité et la barbarie des colons sont exposées au grand jour.
Rédigé par les membres d’une mission dirigée par une figure de la conquête coloniale, Pierre Savorgnan de Brazza – qui mourra sur la route du retour –, ce document avait été remis au ministre des Colonies en février 1906 avant d’être très vite enfoui dans les oubliettes les plus sombres de la république. Et pour cause : comme l’indique dans la préface l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch (celle-là même qui a exhumé ce rapport des archives du ministère de l’Outre-mer), il s’agit d’un brûlot qui met à nu les violences exercées de manière systémique par les entreprises et les administrateurs français en Afrique centrale.
À l’origine, il s’agit pourtant d’une mission on ne peut plus officielle… Depuis deux ans, une campagne internationale est menée contre les abus du « caoutchouc rouge » dans l’État indépendant du Congo alors soumis au pouvoir arbitraire du roi des Belges, Léopold II. De l’autre côté du fleuve, au Congo français, et, plus au nord, en Oubangui-Chari (l’actuelle Centrafrique), le ministère des Colonies a eu vent de quelques abus, mais il les a étouffés. À cette époque, le gouvernement français a dans l’idée que le scandale du « caoutchouc rouge » pourrait lui permettre de récupérer l’immense territoire administré par le roi des Belges.
Pour cela, « il faut démontrer que le Congo français se porte mieux que le Congo belge », explique Catherine Coquery-Vidrovitch. Mission est donc donnée à Brazza d’aller voir ce qu’il s’y passe. Mais Brazza et ses compagnons multiplient les découvertes macabres : des hommes sont exécutés, parfois par simple jeu, des femmes sont prises en otage pour faire rentrer l’impôt... Le chef de mission arrive à la conclusion que « depuis 1901, dans le territoire du Chari, l’arrestation d’otages [est] couramment pratiquée afin de contraindre les populations à payer l’impôt ou à effectuer le portage ». Et il écrit : « C’est la continuation pure et simple de la destruction des populations sous forme de réquisitions […]. Nous n’avons plus rien à envier aux Belges en matière de moyens employés pour recevoir l’impôt du caoutchouc. »
Le rapport issu de ses constatations a été censuré, et les médias de l’époque ne se sont emparés de cette affaire que durant quelques jours avant d’oublier.
À lire : Pierre Savorgnan de Brazza, Le Rapport Brazza, préface de Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Passager clandestin, 384 pages, 14 euros.