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« Les Camerounais·e·s se souviendront que la France a soutenu Paul Biya » (Survie)

par SLT 12 Octobre 2025, 17:00 Biya Dictature Françafrique Collaboration France Néocolonialisme Articles de Sam La Touch

Jean-Bruno Tagne, journaliste et écrivain camerounais, nous livre son analyse des enjeux des élections présidentielles qui doivent se dérouler le 12 octobre au Cameroun. Un scrutin auquel Paul Biya, 92 ans, se présente pour un huitième mandat présidentiel...
 

À quelques mois des élections présidentielles [l’entretien date du mois de juin, ndlr], quelle est la situation politique, sociale et économique du Cameroun ?

Jean-Bruno Tagne : La situation politique du Cameroun n’a pas changé depuis des lustres. Elle est assez tendue ces derniers temps, avec un président qui s’accroche à son siège malgré ses 92 ans, dont 42 passés au pouvoir, une opposition qui cherche la formule pour le renverser et un peuple laissé à lui-même. La misère est généralisée, le chômage frappe énormément les jeunes, les injustices sociales sont criantes, la corruption règne en maître… Sans oublier que sur le plan sécuritaire, les régions anglophones du Cameroun sont toujours en proie à un conflit armé pour lequel aucune solution n’a jamais été trouvée par le gouvernement de Paul Biya. Bref, c’est un pays complètement sinistré.

Quelles sont les aspirations de la société camerounaise face à ces élections ?

Il y a un désir de changement très profond, car le quotidien des Camerounais·e·s est étouffant. De plus, les dernières images qu’on a vues de Paul Biya en public sont absolument effroyables. Le 20 mai dernier, il a présidé la fête nationale du Cameroun, l’un des rares moments où les Camerounais·e·s ont encore la possibilité de voir leur président, et les images de cet homme fatigué, hébété, sont désastreuses. Des instructions ont d’ailleurs été données à la télévision publique de ne jamais faire de plan serré. Les gens se disent qu’on ne peut plus continuer avec un homme dans un si pitoyable état, qui n’est manifestement plus en capacité de gouverner.

Justement, pensez-vous que dans son état, Paul Biya se représente ?

Malheureusement, il y a très peu de chances pour qu’il ne soit pas candidat. Jusqu’à présent, il n’a rien laissé paraître de ses intentions, mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil : à chaque nouvelle élection, c’est seulement au moment où on convoque le corps électoral qu’il devient candidat. Je pense que le scénario sera exactement le même cette année, d’autant plus qu’il y a déjà eu ce qu’on appelle au Cameroun des « appels du peuple ». Ce sont des correspondances très médiatisées par lesquelles les membres de l’élite de son parti, dans chaque région, implorent le président de la République de se représenter. Ces appels enflamment tout le pays, et à la fin, un peu comme le général de Gaulle, celui-ci dit : « Je vous ai compris ! » C’est un classique dans la gouvernance de Biya.

Dans quel état se trouve aujourd’hui le camp présidentiel ?

Il n’a pas véritablement changé. Publiquement, tous les membres de son parti soutiennent une nouvelle candidature de Paul Biya, parce que c’est sa présence au pouvoir qui leur garantit de nombreux privilèges. Pour les membres de son parti, c’est une espèce de totem, une assurance-vie même : tant qu’il est au pouvoir, ils peuvent continuer à piller la fortune publique. Mais en privé, quelques-uns commencent à exprimer une espèce de ras-le-bol. Ils ne peuvent pas le faire publiquement, car c’est très dangereux, le président Biya ayant montré tout au long de son règne qu’il peut être particulièrement cruel avec ceux de son propre camp qui lorgnent son trône. Nombre d’anciens caciques du régime sont aujourd’hui en prison, officiellement pour détournement de fonds publics, mais pour certains à cause de leurs ambitions. L’ambition est criminalisée au sein du camp présidentiel et il ne leur reste d’autre choix que de le soutenir et d’implorer une nouvelle candidature, alors même que Biya n’est plus en mesure de gouverner.

Et comment se porte l’opposition ?

Au Cameroun, il n’y a pas une, mais des oppositions multiples. Il y a des partis politiques à peu près sérieux qui manifestent un désir sincère et engagé de renverser le régime Biya, dont beaucoup de leaders ont déjà déclaré leur candidature : le professeur Maurice Kamto, Joshua Osih, Cabral Libii… Mais il y a aussi une pseudo-opposition, fabriquée par le pouvoir pour faire diversion et diviser les voix des vrais militants pour le changement. Ce sont des candidatures farfelues qui sont uniquement là pour animer la galerie. Elles n’ont aucune assise politique et militante et ne peuvent même pas réunir les 30 millions de francs CFA de caution pour faire valider leur candidature.

Comment abordez-vous ces élections ? Dans quel climat pensez-vous qu’elles vont se dérouler ?

Je suis assez mitigé. J’ai publié en 2019 un livre sur le processus électoral au Cameroun, Accordée avec fraude [aux éditions du Schabel, ndlr] où je démontre qu’il n’y a jamais eu d’élections libres et transparentes au Cameroun. Il n’y a donc pas de raison de penser que ce sera différent cette année. À titre d’exemple, l’opposition et certain·e·s leaders de la société civile demandent la publication de la liste électorale nationale, pour pouvoir savoir qui est inscrit sur les listes, est-ce qu’il y a des gens inscrits dans plusieurs circonscriptions, etc – ce qui est une exigence légale. Or, l’organe chargé de l’organisation des élections freine des quatre fers. Cela laisse présager qu’une fraude est en train de se préparer, comme par le passé.

La seule chose qui me paraît différente, c’est le désir de changement que les Camerounais·e·s, ont exprimé en s’inscrivant massivement sur ces listes électorales, notamment des jeunes. Le ras-le-bol est perceptible et pourrait se traduire par un vote massif et une mobilisation populaire s’il y avait tripatouillage des résultats, comme cela arrive souvent. Chaque fois qu’il y a eu une mobilisation populaire forte pour les élections, le pouvoir a été en difficulté. Ce fut le cas en 1992 lors du retour du multipartisme et des premières élections organisées au Cameroun. Paul Biya a remporté cette élection en trichant, mais l’écart était très serré avec le second candidat, John Fru Ndi [40 % contre 36, ndlr]. Tous les scores soviétiques qu’il a enregistrés par la suite sont liés certes à de la fraude électorale, mais aussi à une faible participation. Donc si cette année les Camerounais votent massivement, cela donnera peut-être une masse critique capable de revendiquer le moment venu une victoire volée de l’opposition. Quand je vois l’enthousiasme des gens, quand je vois comment ils s’expriment et pointent du doigt les défaillances du pouvoir, il y a des raisons de penser que cela peut se traduire par une sanction claire et sans équivoque dans les urnes. On a du mal à espérer tout cela au regard de l’histoire, mais c’est possible.

On connaît l’implication historique de Paul Biya dans le système françafricain. Si la tête de la présidence change, est-on en droit d’espérer un changement de la politique camerounaise vis-à-vis de la France ?

Absolument. Les Camerounais·e·s ne veulent plus entendre parler de la France, en tout cas d’une certaine France. Ils sont comme une bonne partie de la jeunesse d’Afrique francophone qu’on voit s’exprimer depuis quelque temps au Burkina Faso, au Mali, en Guinée, au Sénégal… ce qui oblige les prochains dirigeants du Cameroun à revoir profondément les relations avec l’ancienne puissance coloniale. C’est même un argument électoral aujourd’hui : les candidat·e·s sont suivi·e·s sur le rapport qu’ils peuvent avoir à la France. Les gens veulent une véritable rupture, par exemple sur la question du franc CFA, de la coopération, etc. Celui ou celle qui va succéder à Paul Biya n’aura pas d’autre choix que de revoir la manière de traiter avec la France s’il a envie de garder une certaine popularité et un contact avec le peuple.

Beaucoup de Camerounais·e·s sont choqué·e·s par l’attitude de la France les concernant. Par exemple, dans le cadre de la crise anglophone, on a vu des pays se mobiliser pour essayer de trouver une solution, comme les États-Unis ou le Canada qui a proposé ses services de médiation entre les belligérants. La France, elle, reste alignée sur un soutien à la position répressive du gouvernement camerounais. Si cette crise un jour s’achève, les populations n’oublieront jamais que la France les a abandonnées pendant qu’elles étaient massacrées par l’armée du Cameroun.

Ce qui choque les Camerounais·e·s, c’est ce soutien que la France continue d’apporter à Paul Biya, un homme qui manifestement ne contrôle plus rien, et ce malgré les violations graves des droits de l’Homme, la répression sauvage des opposants politiques à son régime, etc. Une chose est sûre : quand les Camerounais·e·s vont enfin libérer leur pays, ils se souviendront que la France a soutenu M. Biya et a régulièrement cautionné les fausses élections qui lui ont permis de se maintenir au pouvoir. Leur première réaction va être de dire : « Dehors la France ! ». La politique française au Cameroun ne me paraît pas très intelligente quant à ses propres intérêts.

La remise du rapport Ramondy-Bassy sur la guerre menée par la France contre les indépendantistes camerounais jusqu’en 1971 [1] a paradoxalement permis à Paul Biya de se placer du côté des défenseurs historiques de la décolonisation. Quelle place prennent les questions historiques et mémorielles dans la campagne électorale naissante ?

Paul Biya a été assez malin pour récupérer ce rapport et l’utiliser à son propre compte. Malheureusement pour lui, ça ne trompe pas grand monde, car les Camerounais·e·s savent très bien que ces questions mémorielles ne l’intéressent pas vraiment : en un demi-siècle, il n’a rien fait pour la mémoire des héros nationaux. Je pense que c’est un peu trop gros pour qu’il puisse l’utiliser dans le cadre de l’élection.

En général, ce sont les partis politiques de l’opposition qui portent les questions mémorielles et qui proposent dans leurs programmes de réhabiliter véritablement les héros nationaux, comme Ruben Um Nyobe, Ernest Ouandié, Félix Moumié… C’est quelque chose qui est très ancré chez les Camerounais·e·s. Après la publication du rapport Ramondy-Bassy, on a pu entendre à la télévision que certains militants indépendantistes étaient en réalité des bandits, et il y a eu une levée de bouclier, notamment chez certain·e·s leaders politiques, parce qu’ils et elles ont bien compris que tenir un tel discours auprès de l’opinion est très dangereux. Les questions mémorielles sont d’ailleurs au cœur du programme d’un certain nombre de partis, surtout celles qui sont justement en lien avec le passé colonial de la France au Cameroun.


 

[1« Macron, Biya et le grand raout des “opérations mémorielles” », Afrique XXI (31/01/2025) et Billets d’Afrique n°345 (mars 2025).

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