Cinq ans plus tard, les attaques saoudiennes contre les agriculteurs du Yémen provoquent la famine dans tout le pays
Article originel : Five Years On, Saudi Attacks on Yemen’s Farmers Are Pushing the Whole Country into Famine
Par Ahmed AbdulKareem*
Mint Press News
Note de SLT : nous avons mis en caractères gras les passages qui relèvent de crimes de guerre et d'une politique génocidaire par l'attaque systématique des infrastructures civiles, hydriques, agricoles et le recours au blocus alimentaire pour affamer la population. Actions menées par la coalition étatsuno-franco-israélo-britanico-saoudo-émiratie avec le soutien des médias suprémacistes occidentaux.
| Fatima Haddi Ibrahim Koba, 13 ans, est photographiée dans un hôpital Hajjah. La famille Koba a dû fuir sa ferme à Tihama après avoir été attaquée par la coalition saoudienne, le 28 octobre 2019. Riadh al Hussam | MintPress News
HODEIDA, YEMEN - Le pays du Yémen, connu à l'époque médiévale sous le nom de "Yémen vert", est l'une des régions les plus en terrasses du monde. Là, les paysans yéménites ont transformé des pentes montagneuses accidentées en terrasses et construit des barrages comme le Grand Marib, une structure dont l'histoire est assez ancienne pour être mentionnée dans le Coran. Pendant la période médiévale, le Yémen avait l'une des plus vastes gammes de cultures agricoles de tout le Moyen-Orient.
Farhan Mohammed est l'un des agriculteurs les plus riches de Qama'el, un village rural de la région de Baqim dans le nord-ouest du Yémen. Il possède 50 hectares de terre qu'il utilise pour cultiver du maïs, des grenades et des pommes. Aujourd'hui, Farhan lutte pour maintenir sa ferme à flot après que les frappes aériennes saoudiennes aient ciblé ses champs, brûlé ses récoltes et rendu le sol si toxique qu'il n'est plus capable d'y apporter la vie. Le projet de l'Arabie saoudite au Yémen, vieux de près de cinq ans, a décimé les revenus de Farhan et de la plupart des autres agriculteurs yéménites. Le carburant est difficile à trouver à cause du blocus de la coalition saoudienne et le carburant disponible est devenu prohibitif. Les frappes aériennes visant les champs et les vergers ont rendu de vastes étendues de terres arables du Yémen trop toxiques pour être utilisées.
Presque immédiatement après le début de la guerre, en mars 2015, la Coalition dirigée par les Saoudiens a commencé à cibler les moyens de subsistance ruraux, les fermes bombardées, les systèmes alimentaires, les marchés, les installations de traitement des eaux, les infrastructures de transport et même les bureaux de vulgarisation agricole du Yémen. Dans les zones urbaines, les bateaux de pêche et les installations de transformation et d'entreposage des aliments ont été ciblés.
Avant le début de la guerre, plus de 70 pour cent de la population du Yémen vivait dans des villages dispersés dans les montagnes et les petites villes avec des pluies d'été irrégulières, parfois torrentielles. Ces résidents ruraux dépendaient de l'agriculture et de l'élevage et cultivaient des fruits et des légumes pour nourrir leur propre famille et pour vendre sur les marchés. Pourtant, ce mode de vie a pratiquement disparu depuis le début des attaques saoudiennes, sapant les moyens de subsistance des populations rurales, perturbant la production alimentaire locale et contraignant les habitants des zones rurales à fuir vers les villes.
Aujourd'hui, le niveau national d'insécurité alimentaire des ménages au Yémen se situe à plus de 70%. 50 pour cent des ménages ruraux et 20% des ménages urbains sont maintenant en situation d'insécurité alimentaire. Près d'un tiers des Yéménites n'ont pas assez de nourriture pour satisfaire leurs besoins nutritionnels de base. Les enfants souffrant d'insuffisance pondérale et d'un retard de croissance sont devenus un phénomène courant, en particulier chez les enfants abandonnés dans les zones rurales. Les familles qui ont fui vers les villes sont souvent obligées de mendier ou de ramasser les ordures pour trouver des restes de nourriture.
Selon un rapport récent du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la pauvreté au Yémen est passée de 47 % de la population en 2014 à 75 % d'ici la fin de 2019 en raison de la guerre. Le rapport met en garde : "Si les combats se poursuivent jusqu'en 2022, le Yémen sera le pays le plus pauvre du monde, avec 79 pour cent de la population vivant sous le seuil de pauvreté et 65 pour cent classée comme extrêmement pauvre".
Le ciblage intentionnel de l'agriculture
Le ciblage du secteur agricole yéménite et des moyens de subsistance ruraux n'est pas simplement un dommage collatéral accidentel subi en ciblant des sites militaires. Les données du ministère de l'Agriculture du pays montrent qu'entre mars 2015 et mars 2019, la Coalition dirigée par l'Arabie saoudite a lancé au moins 10 000 frappes aériennes qui ont frappé des fermes, 800 qui ont frappé des marchés alimentaires locaux et environ 450 frappes aériennes qui ont touché des silos et autres installations de stockage de nourriture dans le pays.
Un homme regarde des vaches tuées par une attaque aérienne saoudienne dans une ferme laitière à Bajil, dans la province occidentale du Yémen, le 2 janvier 2016. Abduljabbar Zeyad | Reuters
Selon le Ministère, les superficies cultivées ont diminué en moyenne de 40% et les rendements des cultures de 45% dans les zones rurales. De nombreux agriculteurs de ces régions ont indiqué qu'ils ne pouvaient plus produire des rendements comparables à ceux d'avant-guerre en raison des dommages considérables causés aux infrastructures, du coût élevé du carburant diesel et d'autres intrants agricoles, de l'effondrement des marchés et de la destruction des routes et des installations de stockage.
Selon une enquête de terrain menée par le ministère de l'Agriculture entre mars 2015 et mars 2018, les attaques saoudiennes ont complètement détruit 270 bâtiments et installations agricoles, 43 associations agricoles, 9 017 canaux d'irrigation traditionnels, 54 marchés agricoles et 45 centres d'exportation.
Les bombes étatsuniennes de haute précision larguées par des avions de guerre de la coalition dirigée par les Saoudiens ont détruit au moins 1 834 pompes d'irrigation, 109 puits artésiens et de surface, 1 170 réseaux d'irrigation modernes, 33 unités d'irrigation solaire, 12 creuseurs, 750 pièces d'équipement agricole, 940 400 fermes, 7 531 réserves agricoles, 30 pépinières de production, 182 fermes avicoles et 359 944 ruches.
Le Yémen n'a pas de grands fleuves comme l'Euphrate en Irak et en Syrie ou le Nil, qui fournit de l'eau aux agriculteurs dans un certain nombre de pays africains. Les agriculteurs dépendent donc des canaux d'irrigation qui canalisent les eaux de pluie et d'inondation vers les barrages et les digues construits par les communautés locales qui sont vulnérables aux attaques saoudiennes. Attaques qui ont déjà complètement détruit au moins 45 installations hydrauliques (barrages, barrières, réservoirs) et partiellement détruit au moins 488, dont l'ancien barrage de Marib.
Le secteur de la pêche du Yémen n'a pas non plus été épargné. Fin mai 2019, tous les ports de déchargement de poisson du Yémen avaient été la cible d'attaques saoudiennes. Au moins 220 bateaux de pêche ont été détruits, 222 pêcheurs ont été tués et 40 000 pêcheurs ont perdu leur seule source de revenus. Selon le ministère de la Richesse halieutique du Yémen, cela a affecté la vie de plus de deux millions de personnes vivant dans les villes et villages côtiers.
Les données montrent que les forces de la coalition saoudienne ont empêché au moins 4 586 bateaux de pêche de quitter le port dans les directions de Midi, Hajjah, Dababab, Bab al-Mandab, et dans les districts de Mukha dans le gouvernorat de Taiz. Trente entreprises du secteur de la pêche ont quitté le pays et une cinquantaine d'usines ont fermé leurs portes, causant des dommages catastrophiques à l'industrie de la pêche du Yémen. Même avant la guerre, les pêcheurs yéménites faisaient partie des couches les plus pauvres de la société.
Alors que la guerre approche de sa cinquième année, la coalition dirigée par les Saoudiens a continué de cibler les moyens de subsistance des producteurs alimentaires du Yémen. La coalition a élargi son offensive militaire pour inclure de vastes étendues de terres agricoles et de vallées dans les campagnes de K16, Durahami, Al-Jahami, A-Tahita, Al-Faza, Jabaliya, Al-Mughrous, Al-Khokha et Hays.
Le grenier du Yémen se dessèche
Haddi Ibrahim Koba a fui sa maison familiale à Al-Shaab, dans le nord-ouest de Tihama, il y a plusieurs mois, après que les frappes aériennes saoudiennes aient détruit sa ferme. La famille Koba lutte maintenant pour survivre à 60 km de distance dans la province peuplée de Hajjah. Autrefois fièrement autosuffisants, tributaires de l'élevage et de l'agriculture pour leur subsistance, ils dépendent aujourd'hui des dons des organisations humanitaires, les maigres corps de leurs enfants présentant déjà des signes de malnutrition.
Fatima Haddi Ibrahim Koba, 13 ans, est photographiée dans un hôpital Hajjah, le 28 octobre 2019. Riadh al Hussam | MintPress News
Selon une étude réalisée par le Sana'a University-based Water & Environment Centre (WEC) en collaboration avec le Flood-Based Livelihoods Network et publiée en novembre 2017 pour évaluer l'impact de la guerre actuelle sur la sécurité alimentaire au Yémen, la guerre aggrave déjà considérablement la capacité des Yéménites à gagner leur vie, détériore rapidement la disponibilité alimentaire et rend plus complexe une crise humanitaire déjà grave dans ce pays.
L'étude intitulée The War Impact on Food Security in the Tihama (Tihama est une région du Yémen traditionnellement connue pour être le grenier à blé du pays) a montré comment l'agriculture à Tihama, qui soutient la majorité de la population du pays, a été sérieusement perturbée par la guerre. Selon les auteurs de l'étude, cela mine la productivité et la capacité d'investissement de l'ensemble du pays.
Wadi Zabid est l'une des principales vallées de Tihama, située dans le bastion Houthi d'Hodeida, le deuxième plus grand gouvernorat du Yémen. C'est la deuxième plus grande vallée de Tihama, avec une superficie de 4.639 kilomètres carrés. Avant la guerre, Wadi Zabid était un modèle d'agriculture durable et de sécurité alimentaire, mais en juin 2017, lorsque l'étude du CME a été publiée, 43 % des habitants de la vallée souffraient de la faim chaque soir. Les superficies cultivées ont diminué de 51 pour cent et les rendements à l'hectare ont diminué de 61 pour cent. La production de fruits et légumes a été anéantie, de même que le cheptel. Aujourd'hui, les conditions de vie des agriculteurs de Tihama sont probablement encore plus difficiles qu'elles ne l'étaient lorsque l'étude a été publiée.
Les malheurs de Tihama ne sont pas dus au changement climatique ou à la mauvaise gestion locale. Au contraire, elles sont le résultat direct de la destruction des infrastructures d'irrigation et d'approvisionnement en eau résultant des attaques saoudiennes contre les barrages de dérivation et les systèmes d'irrigation de la vallée. L'eau dans les canaux d'irrigation des villages en aval des deux vallées principales de Tihama a diminué d'environ 60 pour cent depuis le début de la guerre, selon l'étude.
Ces dégâts ont également eu un impact massif sur les zones en amont qui dépendent fortement de l'irrigation par les eaux de crue et ont endommagé les systèmes d'irrigation et les barrages de dérivation, touchant jusqu'à 75 pour cent des ménages de Tihama.
Créer un héritage toxique
Le blocus des ports, des aéroports et des frontières du Yémen par la coalition saoudienne n'a fait qu'exacerber les souffrances des agriculteurs et des populations rurales du pays. La coalition a empêché l'exportation de leurs produits, en particulier vers les pays riches du Golfe qui ont importé des milliers de tonnes de grenades et de légumes du Yémen avant que la guerre ne commence. L'importation de pesticides, d'engrais agricoles et de carburant est également devenue difficile en raison des fréquentes saisies de navires par la coalition.
Pendant 77 jours, la coalition, dirigée par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, a continué à maintenir en mer des navires chargés de dérivés du pétrole, les empêchant d'entrer dans le port d'Hodeida. Les quatre navires autorisés à bord transportaient du carburant de transport, et non le carburant nécessaire pour alimenter les groupes électrogènes sur lesquels les agriculteurs comptent.
Comme à Tahamah, le blocus et les attaques contre des cibles agricoles dans tout le Yémen n'ont pas seulement détruit des machines et des infrastructures, ils ont eu des impacts écologiques aigus qui pourraient mettre des décennies à se renverser. L'accumulation de sédiments dans les canaux d'inondation en raison des vannes endommagées et des barrières automatiques a incité les arbres à commencer à remettre en état les lits de cours d'eau et les plaines inondables qui ne sont plus utilisés, ce qui empêche l'arrivée des eaux de crue dont les champs agricoles ont tant besoin.
Les sols fertiles, en particulier dans les zones frontalières de Saada et de Hajjah, ont été pollués par le nombre d'armes larguées dans plus d'un demi-million de frappes aériennes. Cette pollution n'a pas seulement affecté le sol, les experts craignent qu'elle ne modifie génétiquement les grenades, le raisin et le café qui étaient autrefois des cultures de base au Yémen. Les agriculteurs et leurs familles sont constamment menacés par les munitions non explosées, en particulier les bombes à fragmentation comme celle qui a tué un jeune garçon dans sa ferme familiale à Hodeida jeudi dernier.
Les experts agricoles et environnementaux qui se sont entretenus avec MintPress ont déclaré que les effets de la coalition saoudienne sur le secteur agricole dureront probablement des décennies. Le Directeur de la vulgarisation agricole du Yémen, Salah al-Mashreqi, a déclaré que davantage d'effets catastrophiques se produiront à moyen et long terme, y compris des modifications génétiques des grenades, qui font la renommée du Yémen.
Le ciblage délibéré des aliments est interdit par l'article 54 des Conventions de Genève et la résolution 2417 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la protection des civils en temps de guerre, du 24 mai 2018, réitère expressément ce principe. L'article 14 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977 stipule clairement que la famine comme moyen de combat n'est pas autorisée : Il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de rendre inutilisables des biens indispensables à la survie de la population civile." Pourtant, la communauté internationale n'a pas fait grand-chose pour mettre un frein à l'utilisation de la famine comme tactique de guerre au Yémen par les coalitions dirigées par les Saoudiens.
Selon de nombreux Yéménites et juristes, c'est en grande partie parce que l'Arabie saoudite jouit de la protection diplomatique quasi totale des États-Unis. Sans cet appui, les frappes aériennes de l'Arabie saoudite, qui s'appuient sur des entrepreneurs étatsuniens, ciblant les logiciels, la formation, les armes et les techniciens pour cibler les agriculteurs qui ne s'occupent guère plus que de se nourrir et de nourrir leur pays, ne seraient pas possibles.
*Ahmed AbdulKareem est un journaliste yéménite. Il couvre la guerre au Yémen pour MintPress News ainsi que les médias yéménites locaux.
Traduction SLT
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