Chris Hedges : La Mascarade du cessez-le-feu
Article originel : Chris Hedges: The Ceasefire Charade
Par Chris hedges*
Scheer Post / Consortium News, 16 janvier 2025
Israël joue un jeu cynique. Il conclut des accords par étapes avec les Palestiniens pour s’assurer qu’il obtiendra immédiatement ce qu’il veut. Il viole ensuite chaque phase ultérieure et reprend son assaut militaire.
Israël, depuis des décennies, a joué un jeu de duperie.
Il signe un accord avec les Palestiniens qui doit être mis en œuvre par étapes. La première phase donne à Israël ce qu’il veut - dans ce cas, la libération des otages israéliens de Gaza - mais habituellement Israël fait échouer habituellement les phases suivantes qui mèneraient à une paix juste et équitable.
Il finit par provoquer les Palestiniens à riposter par des attaques armées aveugles, définit une réponse palestinienne comme une provocation et abroge l’accord de cessez-le-feu pour relancer la tuerie.
Si ce dernier accord de cessez-le-feu en trois phases est ratifié — et il n’y a aucune certitude qu’il sera signé par Israël —, je m’attends à ce que cela ne soit guère plus qu’une pause dans les bombardements d’investiture présidentielle. Israël n’a pas l’intention d’arrêter son manège de mort.
Le cabinet israélien a reporté le vote sur la proposition de cessez-le-feu alors qu’il continue à frapper Gaza. Au moins 81 Palestiniens ont été tués au cours des dernières 24 heures.
Le matin après l’annonce d’un accord de cessez-le-feu, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a accusé le Hamas de renier une partie de l’accord « dans le but d’extorquer des concessions de dernière minute ».
Il a averti que son cabinet ne se réunirait pas « tant que les médiateurs n’auront pas notifié à Israël que le Hamas a accepté tous les éléments de l’accord ».
Le Hamas a rejeté les allégations de Netanyahu et a réitéré son engagement à un cessez-le-feu, comme convenu avec les médiateurs.
La transaction comprend trois phases.
La première phase, d’une durée de 42 jours, verra un arrêt des hostilités. Le Hamas libérera certains otages israéliens – 33 Israéliens qui ont été capturés le 7 octobre 2023, y compris les cinq femmes restantes, celles âgées de plus de 50 ans et celles atteintes de maladies – en échange d’un maximum de 1 000 Palestiniens emprisonnés par Israël.
L’armée israélienne se retirera des zones peuplées de la bande de Gaza le premier jour du cessez-le-feu. Le septième jour, les Palestiniens déplacés seront autorisés à retourner dans le nord de Gaza. Israël permettra à 600 camions d’aide humanitaire avec des vivres et des fournitures médicales d’entrer dans Gaza quotidiennement.
La deuxième phase, qui commence le 16e jour du cessez-le-feu, verra la libération des otages israéliens restants. Israël achèvera son retrait de Gaza au cours de la deuxième phase, en maintenant une présence dans certaines parties du corridor de Philadelphie, qui s’étend le long de la frontière de huit milles entre Gaza et l’Égypte.
Il abandonnera le contrôle du poste frontière de Rafah à destination de l’Égypte.
La troisième phase verra des négociations pour une fin permanente de la guerre.
Mais c’est le bureau de Netanyahu qui semble avoir déjà renié l’accord. Il a publié une déclaration rejetant le retrait des troupes israéliennes du corridor de Philadelphie pendant la première phase de 42 jours du cessez-le-feu.
« En pratique, Israël restera dans le corridor de Philadelphie jusqu’à nouvel ordre », tout en affirmant que les Palestiniens tentent de violer l’accord. Les Palestiniens ont exigé le retrait des troupes israéliennes de Gaza tout au long des nombreuses négociations sur le cessez-le-feu.
L’Égypte a condamné la saisie de ses postes-frontières par Israël.
Opérations militaires terrestres israéliennes dans la bande de Gaza le 1er novembre 2023. (IDF Spokesperson’s Unit, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0)
Les profondes fissures entre Israël et le Hamas, même si les Israéliens acceptent finalement l’accord, menacent de l’imploser.
Le Hamas cherche à obtenir un cessez-le-feu permanent, mais la politique israélienne est sans équivoque quant à son « droit » de reprendre les combats.
Il n’y a pas de consensus sur la question de savoir qui gouvernera Gaza. Israël a clairement indiqué que le maintien du Hamas au pouvoir est inacceptable.
Il n’y a aucune mention du statut de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), l’agence onusienne que Israël a mise hors la loi et qui fournit la majeure partie de l’aide humanitaire aux Palestiniens, 95 pour cent de ceux-ci ont été déplacés.
Il n’y a pas d’accord sur la reconstruction de Gaza, qui est en ruines. Et, bien sûr, il n’y a pas de voie dans l’accord vers un État palestinien indépendant et souverain.
La mentalité et la manipulation israéliennes sont lamentablement prévisibles.
Camp David
Le président égyptien Anwar Sadat (à gauche), le président étatsunien Jimmy Carter et le premier ministre israélien Menachem Begin après la cérémonie de signature des accords de paix de Camp David à la Maison-Blanche le 17 septembre 1978. (U.S. National Archives and Records Administration, Wikimedia Commons, domaine public)
Les accords de Camp David, signés en 1978 par le président égyptien Anwar Sadat et le premier ministre israélien Menachem Begin, sans la participation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ont normalisé les relations diplomatiques entre Israël et l’Égypte.
Mais les phases suivantes, qui comprenaient une promesse d’Israël de résoudre la question palestinienne avec la Jordanie et l’Égypte, permettre l’autonomie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dans les cinq ans, et mettre fin à la construction des colonies israéliennes en Cisjordanie, Jérusalem-Est, n’ont jamais été honorées.
Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président étatsunien Bill Clinton et l’OLP Yasser Arafat lors de la cérémonie de signature des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993 (Vince Musi, Maison-Blanche, Wikimedia Commons, domaine public)
Le droit des réfugiés palestiniens de retourner sur les terres historiques qui leur ont été confisquées en 1948, lorsque Israël a été créé — un droit inscrit dans le droit international —, a été abandonné par le dirigeant de l’OLP, Yasser Arafat, ce qui a aliéné instantanément de nombreux Palestiniens. Surtout ceux de Gaza où 75% sont des réfugiés ou les descendants de réfugiés.
Edward Said a qualifié l’accord d’Oslo d’« instrument de la capitulation palestinienne, un Versailles palestinien » et a critiqué Arafat en le qualifiant de « Pétain des Palestiniens ».
Les retraits militaires israéliens prévus sous Oslo n’ont jamais eu lieu. L’accord intérimaire ne contenait aucune disposition visant à mettre fin à la colonisation juive, mais seulement une interdiction des « mesures unilatérales ».
Il y avait environ 250 000 colons juifs en Cisjordanie au moment de l’accord d’Oslo, et ils sont maintenant au moins 700 000. Aucun traité définitif n’a jamais été conclu.
Le journaliste Robert Fisk a appelé Oslo ...
« un simulacre, un mensonge, une ruse pour faire abandonner à Arafat et à l’OLP tout ce qu’ils avaient cherché et lutté pendant plus d’un quart de siècle, une méthode de créer de faux espoirs afin d’émasculer l’aspiration à l’État ».
Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, qui a signé l’accord d’Oslo, a été assassiné le 4 novembre 1995, à la suite d’un rassemblement en faveur de l’accord, par Yigal Amir, un étudiant juif d’extrême droite.
Itamar Ben-Gvir, aujourd’hui ministre de la sécurité nationale d’Israël, était l’un des nombreux politiciens de droite qui ont proféré des menaces contre Rabin. La veuve de Rabin, Leah, a accusé Netanyahu et ses partisans — qui ont distribué des tracts lors de rassemblements politiques montrant Rabin en uniforme nazi — du meurtre de son mari.
Rabin, le jour de son assassinat, prononçant un discours en faveur des accords de paix d’Oslo à Tel-Aviv. (Agence israélienne de presse et de photographie, collection Dan Hadani, Bibliothèque nationale d’Israël, Wikimedia Commons, CC BY 4.0)
Israël a depuis lors mené une série d’attaques meurtrières contre Gaza, qualifiant cyniquement le bombardement d'une façon de « tondre la pelouse ».
Ces attaques, qui laissent des dizaines de morts et de blessés et dégradent encore plus les infrastructures fragiles de Gaza, sont appelées opération Rainbow (2004), opération Jours de pénitence (2004), opération Pluies d’été (2006), opération Nuages d’automne (2006) et opération Hiver chaud (2008).
Israël a violé l’accord de cessez-le-feu de juin 2008 avec le Hamas, négocié par l’Égypte, en lançant un raid frontalier qui a tué six membres du Hamas. Le raid a provoqué, comme l’avait prévu Israël, une attaque de représailles du Hamas, qui a tiré des roquettes et des obus de mortier bruts sur Israël.
Le barrage du Hamas a fourni le prétexte pour une attaque israélienne massive. Israël, comme toujours, a justifié sa frappe militaire sur le droit de se défendre.
Opération Plomb durci (2008-2009), qui a vu Israël mener un assaut terrestre et aérien sur 22 jours, avec l’aviation israélienne larguant plus de 1 000 tonnes d’explosifs sur Gaza, a tué 1 385 personnes — selon le groupe israélien des droits humains B’Tselem — dont au moins 762 civils, Dont 300 enfants.
Quatre Israéliens ont été tués au cours de la même période par des roquettes du Hamas et neuf soldats israéliens sont morts à Gaza, dont quatre victimes de « tirs alliés ». Le journal israélien Haaretz annoncera plus tard que « l’opération Plomb durci » avait été préparée au cours des six mois précédents.
L’historien israélien Avi Shlaim, qui a servi dans l’armée israélienne, écrit ceci :
« la brutalité des soldats d’Israël est parfaitement assortie au mensonge de son porte-parole... leur propagande est un paquet de mensonges... Ce n’est pas le Hamas mais les FDI qui ont brisé le cessez-le-feu. Ils l’ont fait lors d’un raid sur Gaza le 4 novembre, qui a tué six hommes du Hamas. L’objectif d’Israël n’est pas seulement la défense de sa population, mais le renversement éventuel du gouvernement du Hamas à Gaza en tournant le peuple contre ses dirigeants. »
Enfant dans la ville de Gaza pendant le cessez-le-feu après le conflit de 2008-2009. (andlun1, Flickr, CC BY-NC 2.0)
Ces séries d’attaques contre Gaza ont été suivies par des assauts israéliens en novembre 2012, connus sous le nom d’opération Pilier de défense et en juillet et août 2014, dans l’opération Bordure protectrice, une campagne de sept semaines qui a fait 2 251 morts palestiniens, ainsi que 73 Israéliens, dont 67 soldats.
Ces attaques de l’armée israélienne ont été suivies en 2018 par des manifestations largement pacifiques de la part des Palestiniens, connues sous le nom de Grande marche du retour, le long de la barrière clôturée de Gaza. Plus de 266 Palestiniens ont été abattus par des soldats israéliens et 30000 autres ont été blessés.
En mai 2021, Israël a tué plus de 256 Palestiniens à Gaza après que la police israélienne ait attaqué des fidèles palestiniens dans le complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem. De nouvelles attaques contre des fidèles à la mosquée Al-Aqsa ont eu lieu en avril 2023.
Et puis le franchissement des barrières de sécurité le 7 octobre 2023 qui encerclent Gaza, où les Palestiniens languissent sous un blocus depuis plus de 16 ans dans une prison à ciel ouvert.
Les attaques des hommes armés palestiniens [Déluge d’Al-Aqsa] ont fait quelque 1200 morts israéliens, dont des centaines tués par Israël lui-même, et ont donné à Israël l’excuse qu’il cherchait depuis longtemps pour détruire Gaza dans sa guerre de fer.
Cette saga horrible n’est pas terminée. Les objectifs d’Israël restent inchangés – l’effacement des Palestiniens de leur terre. Ce cessez-le-feu proposé est un chapitre plus cynique. Il y a de nombreuses façons de le faire et, je le soupçonne, de s’effondrer.
Mais prions, au moins pour le moment, que le massacre de masse cesse.
* Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a été chef de bureau au Moyen-Orient et chef de bureau dans les Balkans pour le journal. Il a déjà travaillé à l’étranger pour The Dallas Morning News, The Christian Science Monitor et NPR. Il est animateur de l’émission « The Chris Hedges Report ».