Des enquêtes militaires étatsuniennes ont révélé une méfiance locale au Niger. L'armée de l'air US a alors construit une base de drones de 100 millions de dollars.
Article originel : U.S. Military Surveys Found Local Distrust in Niger. Then the Air Force Built a $100 Million Drone Base.
The Intercept
Avant que l'armée étatsunienne ne commence à construire sa base de drones de 100 millions de dollars à Agadez, au Niger, le U.S. Africa Command et le département d'État ont pris la température de la population locale grâce à des sondages d'opinion publique. Les résultats ont révélé des sentiments mitigés au sujet des États-Unis et de ses motivations dans la région - et prennent une résonance supplémentaire à la suite d'une embuscade en octobre dernier au Niger qui a tué quatre soldats étatsuniens.
"Les dévots d'Agadez sont divisés sur les variables associées à l'extrémisme religieux violent", relate un rapport militaire qui contient des données provenant d'enquêtes menées en 2012 par la firme de sondage ORB International. Le rapport 2013 de l'U.S. Army Africa, qui est la composante armée de l'AFRICOM, est intitulé "Evaluation spécialisée : Agadez, Niger - Carrefour stratégique au Sahara", et a été obtenu par The Intercept via la loi sur la liberté de l'information.
Une enquête réalisée en juillet 2012 a révélé que 83 % des personnes interrogées à Agadez estimaient que les cultures étatsunienne et européenne constituaient une menace pour les valeurs musulmanes traditionnelles. Près de 50 pour cent étaient convaincus que les États-Unis combattent l'islam, plutôt que le terrorisme, à travers le monde musulman. Et 40 pour cent croyaient que le recours à la violence au nom de leur religion était toujours ou parfois justifié.
Les enquêtes ont été menées juste avant que le Niger ne signe un accord sur le statut des forces avec les États-Unis en 2013 qui assure la protection juridique du personnel étatsunien, ouvrant la voie à l'expansion de l'activité militaire étatsunien dans ce pays. Depuis lors, les 100 soldats envoyés pour effectuer des missions de reconnaissance de drones se sont multipliées par huit et une base de drones dans la capitale, Niamey, sera bientôt rejointe par un avant-poste considéré comme le projet "top MILCON [construction militaire] pour USAFRICOM", selon les documents secrets de l'AFRICOM publiés par The Intercept en 2016.
Alors que les résidents d'Agadez ont exprimé un fort soutien à la coopération avec les États-Unis et l'Europe pour "combattre le terrorisme" et des opinions positives des États-Unis avant l'escalade de l'activité militaire US dans leur pays, le rapport a néanmoins noté que "le scepticisme est élevé quant aux intentions des États-Unis dans la région".
Ce scepticisme a depuis cédé la place à quelque chose de beaucoup plus maléfique. Le pays est maintenant un foyer de groupes extrémistes - y compris Al-Qaïda au Maghreb islamique, l'État islamique d'Irak et l'État ash-Sham-Islamic State West Africa, ISIS-Greater Sahara, ISIS-Libya et Boko Haram - selon le département d'État US. La plupart des organisations n'opéraient pas au Niger ou n'existaient même pas au moment où l'ORB a effectué son sondage.
En avril 2016, le personnel de l'U.S. Air Force pourrait avoir déjoué une attaque potentielle sur la base d'Agadez en visant des personnes dans des camions roulant à grande vitesse vers la clôture du périmètre, selon un article publié sur la page Facebook officielle de l'Air Force. En fait, Agadez, et tous les autres endroits du Niger à l'extérieur de Niamey, sont maintenant jugés si dangereux par le gouvernement étatsunien que le personnel de l'ambassade est "obligé de voyager seulement pendant la journée dans un convoi d'au moins deux véhicules accompagné d'escortes de sécurité armées du gouvernement nigérien", selon le département d'État.
L'un des nouveaux groupes terroristes au Niger, EI-Greater Sahara, a revendiqué la responsabilité de l'attaque du 4 octobre 2017 près de la frontière malienne, à environ 1300 kms d'Agadez, qui a tué les quatre soldats étatsuniens et en a blessé deux autres. Certains rapports suggèrent que les villageois avec lesquels le personnel étatsunien tentait de faire des incursions ont plutôt averti l'affilié de l'État islamique (EI). Dans le sillage de cette débâcle, le général responsable des forces d'opérations spéciales des États-Unis en Afrique aurait ordonné aux troupes étatsuniennes sur le continent de "planifier des missions pour éviter les combats directs ou ne pas y aller". Doundoun Cheffou, le chef militant que les troupes étatsuniennes poursuivaient lorsqu'elles ont été victimes de l'embuscade d'octobre, est soupçonné d'avoir participé à l'enlèvement en 2016 du travailleur humanitaire étatsunien Jeffery Woodke dans une région voisine d'Agadez.
L'enlèvement est endémique dans la région. Alors que les migrants africains sont le plus souvent pris pour cible, les Occidentaux (comme le travailleur humanitaire allemand enlevé en avril) comptent également parmi les victimes. En 2010, les membres de l'AQMI ont enlevé sept étrangers, dont cinq Français, travaillant à la mine d'uranium française Areva à Arlit, au nord d'Agadez. Trois ans plus tard, des militants islamistes ont mené des attaques coordonnées contre une base militaire nigérienne à Agadez, tuant 23 soldats et un civil, et à la mine d'Areva, tuant un ouvrier. Un sondage ORB pour l'Africom en juillet 2012 a révélé qu'une minorité significative de répondants à Agadez croyait que les sociétés étrangères étaient des cibles légitimes pour des attaques. Quelque 44 pour cent ont dit croire que le recours à la violence contre les grandes entreprises était justifié.
"La région d'Agadez est l'un des endroits les plus importants d'un point de vue stratégique en Afrique du Nord-Ouest", lit-on dans l'évaluation militaire qui inclut les données des sondages. Le rapport, qui fait référence à des accords concernant les "opérations de base de drones" et les efforts visant à accroître la coopération entre les États-Unis et le Niger, note de manière cryptée que l'un de ses objectifs était de "développer des indicateurs d'alerte précoce".
Traduction SLT