La France a demandé aux États-Unis de ne pas bombarder l'usine Lafarge en Syrie
Article originel : France Asked U.S. Not to Bomb Lafarge Factory in Syria
Par Emmanuel Jarry
Reuters
La société a admis l'année dernière qu'elle avait payé des groupes armés pour maintenir en activité une usine.
PARIS (Reuters) - La France a demandé aux États-Unis en 2014 de ne pas bombarder une cimenterie Lafarge dans le nord de la Syrie, une zone qui était à l'époque contrôlée par l'État islamique, courriels qui font partie d'une enquête sur les activités de l'entreprise en Syrie.
L'année dernière, les procureurs français ont ouvert une enquête sur le "financement présumé d'une entreprise terroriste" par le groupe cimentier en Syrie. La société a admis l'année dernière qu'elle avait payé des groupes armés pour maintenir en activité une usine.
"Cet investissement français doit être protégé", déclarait Franck Gellet, envoyé de France en Syrie, basé à Paris, dans un courriel adressé le 19 septembre 2014 aux hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, faisant référence à l'usine Lafarge située à environ 87 km de Raqqa.
"Il semble légitime que nous demandons à Washington de ne rien faire au sujet de ce site sans d'abord se concerter avec nous", a déclaré Gellet dans le courriel, qui comprenait les coordonnées GPS de l'usine.
Le courriel se trouve dans un cache de correspondance envoyée par Gellet, le chef de la sécurité de Lafarge de l'époque, Jean-Claude Veillard et d'autres fonctionnaires français, auquel a eu accès Reuters.
Gellet n'a pas pu être joint pour faire des commentaires.
Cette information survient alors que le dirigeant français Emmanuel Macron discute de la Syrie avec le président étatsunien Donald Trump, pressant son homologue étatsunien de maintenir ses forces en place pour s'assurer que les militants ne se regroupent pas.
Un autre courriel daté du 2 octobre 2014, également dans le cadre de l'enquête judiciaire, a montré que la demande avait été transmise aux autorités étatsuniennes.
"Ceci confirme que le site mentionné par votre interlocuteur a été mentionné par nos militaires à leurs collègues étatsuniens et qu'il est maintenant inscrit dans la liste appropriée", est-il écrit dans le courriel envoyé à Gellet.
Lafarge a fusionné avec la société suisse Holcim en 2015 pour devenir Lafarge-Holcim.
L'an dernier, les procureurs ont ouvert une enquête formelle sur plusieurs anciens dirigeants de Lafarge et de Lafarge-Holcim.
Renseignements
Lafarge-Holcim a refusé mercredi de commenter les courriels.
Le ministère français des Affaires étrangères a refusé de commenter la demande de 2014 adressée aux autorités étatsuniennes et si le gouvernement savait que Lafarge effectuait des paiements à des groupes armés.
Une source diplomatique française a déclaré que plusieurs diplomates étaient interrogés en tant que témoins sur leur contact avec Lafarge à l'époque.
"Nous fournissons aux autorités judiciaires toutes les informations ou documents qu'elles nous demandent", a déclaré la source, ajoutant que le ministère des Affaires étrangères et ses fonctionnaires n'avaient pas été accusés d'actes répréhensibles.
Les dossiers de l'enquête montrent que Veillard a déclaré à un juge qu'il avait régulièrement transmis des informations aux services de renseignement français.
"Dès que j'avais des informations sur ces personnes, je les transmettais aux services.... Je leur envoyais des informations brutes", a-t-il déclaré.
L'avocat de Veillard a refusé de commenter.
Un document détaille la transcription d'un juge qui demande à Veillard s'il a parlé aux services de renseignement des paiements effectués aux groupes armés qui contrôlent la zone.
Le document montre que Veillard a répondu : "Je n'ai pas filtré les informations que je transmettais aux services de renseignements, je leur disais tout."
En décembre, des avocats spécialisés dans les droits de l'homme ont déclaré que Lafarge avait versé près de 13 millions d'euros à des groupes armés, y compris des militants de l'État islamique, pour que l'entreprise continue à fonctionner en Syrie de 2011 à 2015.
L'ancien PDG de LafargeHolcim, Eric Olsen, a démissionné l'année dernière après que la société a admis avoir payé des groupes armés pour que l'usine continue à fonctionner.
* Ont également contribué à cet article John Revill à Zurich et Ingrid Melander à Paris ; écriture par Ingrid Melander ; rédaction par Richard Lough et Edmund Blair.
Traduction SLT : titraille de la rédaction.