Vijay Prashad : Le Soudan et la langue du sang
Article originel : Vijay Prashad: Sudan & the Language of Blood
Consortium News, 16.05.25
Dahlia Abdelilah Baasher, Sudan, untitled, no date. (Via Tricontinental: Institute for Social Research)
Cette guerre civile oubliée a fait au moins 150.000 morts et déplacé près de 13 millions de personnes. La compréhension des détails politiques est essentielle pour en identifier les causes et trouver des solutions.
Au cours des dernières semaines, l’attention internationale s’est sans doute portée sur l’escalade entre l’Inde et le Pakistan, dont nous parlerons davantage lorsque la situation se sera calmée. Bien qu’aucune des armées n’ait franchi la frontière ou la ligne de contrôle, l’inquiétude est néanmoins compréhensible : les deux pays possèdent des armes nucléaires. Maintenant, il y a effectivement eu un retour au cessez-le-feu de 1948, qui a persisté pendant des décennies depuis sans un traité de paix approprié et complet.
L’attention internationale est également restée, à juste titre, sur le génocide en Palestine, les Israéliens ayant resserré le siège total de la bande de Gaza, peut-être pour se venger du retour des Palestiniens dans le nord de la bande de Gaza le 27 janvier, au mépris total de la guerre génocidaire.
Pendant ce temps, certains conflits, comme la guerre en cours au Soudan, ont été presque totalement oubliés. C’est l’objet de cet article, construit à partir de conversations avec des travailleurs humanitaires et des personnalités politiques soudanaises.
L’argument selon lequel cette guerre est déconcertante et qu’il n’y a pas d’explications faciles pour elle reflète le racisme de notre reportage qui voit les conflits en Afrique comme inexplicables et interminables.
Il y a, bien sûr, des causes à la guerre, ce qui signifie qu’il y a des moyens de la mettre fin. Il faut mettre de côté le langage du sang qui a saisi notre monde et trouver plutôt les détails politiques dans lesquels réside la possibilité de paix.
Il y a deux ans, la paix fragile mais pleine d’espoir au Soudan a été brisée lorsque les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) (les deux branches de l’État soudanais) se sont mises en guerre.
Le deuxième anniversaire de cette guerre a été commémoré le 11 avril par une attaque effroyable de RSF sur le camp de réfugiés de Zamzam au Darfour-Nord. Hawa, une mère de trois enfants qui a survécu à l’attaque, raconte : « Des bombes tombaient sur l’hôpital. ... Ceux d’entre nous qui ont survécu n’ont laissé que nos enfants sur le dos. »
Le 16 avril, le camp — qui abritait autrefois un demi-million de réfugiés — a été détruit, laissant des centaines de morts et les autres qui ont fui vers les villes voisines d’El Fasher et de Tawila.
En deux ans de combats, au moins 150 000 personnes ont été tuées et près de 13 millions - soit plus du cinquième des 51 millions d’habitants du Soudan - ont été déplacées. Cette catastrophe en cours semble totalement insensée pour la plupart des Soudanais.
Tout est apparu différemment le 11 avril 2019, six ans avant le massacre de Zamzam, lorsque le président de longue date Omar al-Bashir a été déposé par un mouvement de masse et, finalement, l’armée.
Les protestations contre le gouvernement d’al-Bashir ont commencé en décembre 2018 à cause de l’inflation et d’une crise sociale croissante. Incapable de répondre à la population, al-Bashir n’a pas pu maintenir son règne — même par la force — en particulier lorsque les militaires soudanais se sont retournés contre lui (comme l’armée égyptienne au nord de la frontière s’était retournée contre le président de leur pays, Hosni Moubarak, en 2011).
Al-Bashir a été renversé par ce qui est devenu plus tard le Conseil militaire de transition, dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan avec l’aide du lieutenant-général Mohamed « Hemedti » Hamdan Dagalo.
Galal Yousif, Soudan, Une révolution pacifique, 2021. (Via Tricontinental : Institute for Social Research)
Les groupes qui ont dirigé les manifestations sur le terrain ont formé une coalition appelée Forces pour la liberté et le changement (FFC). La FFC comprenait le Parti communiste soudanais, les Forces nationales de consensus, l’Association professionnelle soudanaise, le Front révolutionnaire soudanais, les femmes des groupes civiques et politiques soudanais et de nombreux comités de résistance ou de quartier soudanais.
Sous la pression des manifestations menées par la FFC, les militaires ont signé un accord à la mi-2019 pour superviser une transition vers un gouvernement civil.
Avec l’aide de l’Union africaine (UA), le Conseil pour la souveraineté transitoire a été créé, composé de cinq militaires et de six civils.
Le conseil a nommé Abdalla Hamdok (né en 1956) comme nouveau premier ministre et Nemat Abdullah Khair (né en 1957) comme juge en chef.
Hamdok, un diplomate discret qui avait fait un travail très important à la Commission économique pour l’Afrique, semblait bien adapté à son rôle de premier ministre de transition. Khair, un juge de longue date qui a rejoint les mouvements de protestation contre al-Bashir, a donné le bon ton en tant que chef compétent du pouvoir judiciaire.
La porte d’un nouvel avenir semblait s’ouvrir pour le Soudan.