Oui, l’Ukraine a commencé la guerre
Article originel : Yes, Ukraine Started the War
Par Joe Lauria*
Consortium News, 23.02.25
Donald Trump a été sérieusement éreinté par les médias et les dirigeants occidentaux pour avoir dit que l’Ukraine avait commencé la guerre. Voici des faits, pas des mythes, dit Joe Lauria.
Zelensky et Trump se rencontrent pour la première fois à l’ONU en 2019. Ils ont fait beaucoup de chemin depuis. (Président de l’Ukraine/Wikimedia Commons)
Le tollé s’est rapidement répandu dans le monde occidental : Donald Trump a osé dire que l’Ukraine avait commencé la guerre.
Le New York Times a accusé Trump de « réécrire l’histoire de l’invasion russe de son voisin ». Le correspondant du journal à la Maison-Blanche a écrit :
« Lorsque les forces russes se sont écrasées sur les frontières de l’Ukraine en 2022, décidées à la rayer de la carte en tant qu’État indépendant, les États-Unis se sont empressés d’aider la nation assiégée et ont fait de son président, Volodymyr Zelensky, un héros de la résistance.
Trois ans presque un jour plus tard, le président Trump réécrit l’histoire de l’invasion russe de son petit voisin. L’Ukraine, dans cette version, n’est pas une victime mais un méchant. Et M. Zelensky n’est pas un Winston Churchill des derniers jours, mais un « dictateur sans élections » qui a commencé la guerre lui-même et a convaincu les Etats-Unis de l’aider ».
La BBC a rapporté :
« L’Ukraine n’a pas déclenché la guerre. La Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022, après avoir annexé la Crimée en 2014.
L’annexion a eu lieu après que le président pro-russe de l’Ukraine ait été renversé par des manifestations populaires. »
CNN a hurlé : « Le président Donald Trump a maintenant pleinement adopté la fausse propagande russe sur l’Ukraine, se retournant contre une démocratie souveraine qui a été envahie en faveur de l’envahisseur. ... Trump a accusé à tort l’Ukraine d’avoir déclenché le conflit. »
« Dans des commentaires adressés à des journalistes de sa station balnéaire de Mar-a-Lago en Floride, Trump a faussement affirmé que Kiev avait déclenché le conflit, le plus important sur le sol européen depuis la seconde guerre mondiale », se plaint le Financial Times.
C’était à peu près la même chose dans le paysage médiatique occidental, qui parlait d’une seule voix.
Les médias considèrent qu’ils parlent d’une seule voix pour confirmer qu’ils ont raison. Mais il s’agit souvent d’un biais de confirmation massif pour l’histoire que les services de renseignement occidentaux et les dirigeants politiques leur racontent, plutôt qu’un examen indépendant des faits.
Dans ce cas, les faits montrent que Trump a raison.
La question centrale dans tout cela est : quand la guerre en Ukraine a-t-elle réellement commencé? Le courant dominant de l’Occident amène les masses à croire qu’elle a commencé le 24 février 2022, lorsque l’armée régulière russe est intervenue dans ce qui était déjà une guerre civile vieille de huit ans, commencée en grande partie par l’Ukraine, avec l’aide des États-Unis.
C’est la partie qu’ils ne vous disent pas.
La clé du mensonge est ce que la BBC appelle « le président pro-russe de l’Ukraine » qui a été « évincé par les manifestations populaires ». [Soulignement ajouté.]
Bien sûr, Trump ne l’a pas expliqué. Il n’est pas un grand orateur. Trop souvent, il ne parvient pas à exposer le contexte nécessaire pour comprendre ce dont il parle.
La remarque éphémère de Trump lors d’une rencontre avec la presse mardi dernier dans son domaine en Floride a déclenché la fureur internationale.
« Aujourd’hui, j’ai entendu dire : « Oh, eh bien, nous n’avons pas été invités » [aux pourparlers en Arabie saoudite avec la Russie], a déclaré Trump au sujet du président ukrainien Volodmyr Zelensky. « Eh bien, vous êtes là depuis trois ans... vous n’auriez jamais dû commencer. Vous auriez pu conclure un accord. »
Ce sont ces six mots en italique qui ont déclenché la tempête de feu. Le reste de ce qu’il a dit dans cette phrase a été ignoré.
Il a été condamné par les dirigeants européens pour ces quelques mots. Zelensky, toujours à la tête de l’Ukraine, a accusé Trump de répandre « beaucoup de désinformation provenant de la Russie ».
« Malheureusement, le président Trump, avec tout le respect que nous lui devons en tant que dirigeant d’une nation que nous respectons beaucoup, vit dans cette bulle de désinformation », a déclaré Zelensky.
La seule façon dont l’Occident peut faire face à cela est d’appeler ce qui s’est passé de la propagande russe. Comme si un récit était faux, non pas parce que les faits sont faux, mais parce que la Russie le dit. Essentiellement, la Russie n’a jamais raison et les États-Unis et leurs alliés n’ont jamais tort.
C’est comme l’histoire de l’Etatsunien assis à côté d’un Russe sur un vol de Moscou à Washington. « Qu’est-ce qui vous amène à Washington? » demande l'Etatsunien.
« Je voyage pour faire des recherches sur la propagande étatsunienne », dit le russe.
« Quelle propagande étatsunienne »
« Exactement », dit le Russe.
Faire sauter une affaire
Ce qui a été laissé de côté dans les médias traditionnels, c’est que Trump soulignait des occasions de négocier la paix que Zelensky et l’Ukraine avaient gaspillées. « Vous auriez pu conclure un marché », a-t-il dit.
Mais Trump a fondamentalement omis d’expliquer comment la guerre en Ukraine a commencé en 2014 et non le 22 février 2022, il y a trois ans lundi. C’est à ce moment que la Russie est entrée directement dans une guerre qui avait déjà été déclenchée par l’Ukraine et surtout, comme Trump ne l’a pas mentionné, par les États-Unis.
[Voir : Biden Confirms Why US Needed This War Biden confirme pourquoi les États-Unis avaient besoin de cette guerre]
‘Manifestations populaires’
Le 20 février 2014, Viktor Ianoukovitch, qui a été élu président de l’Ukraine en 2010 lors d’un vote populaire certifié par l’OSCE, a été violemment renversé.
La base de Ianoukovitch dans les régions russophones de l’est et du sud de l’Ukraine a refusé de reconnaître le gouvernement inconstitutionnel qui a pris le pouvoir, défendant leurs droits démocratiques.
La Crimée, à majorité ethnique russe, une immense base de soutien de Ianoukovitch, a voté un peu plus d’un mois plus tard, le 16 mars 2014, pour quitter l’Ukraine et rejoindre la Russie. Le gouvernement ukrainien avait également déclaré qu’il ne prolongerait pas au-delà de 2017 le bail de la Russie sur une base navale de la mer Noire à Sébastopol, en Crimée.
La violence de rue a éclaté dans d’autres régions de l’Ukraine. Cinq jours après que des gangs ukrainiens d’extrême droite ont brûlé vivants 48 russophones dans un bâtiment du syndicat à Odessa, deux provinces de l’Est ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de l’Ukraine et pris le contrôle des bâtiments gouvernementaux.
Avec l’appui des États-Unis, le gouvernement inconstitutionnel a lancé le 16 avril 2014 une attaque militaire contre ces deux provinces du Donbass.
C’est ainsi que l’Ukraine a déclaré la guerre et à quelle date elle l’a fait.
Trump n’a pas mentionné le rôle instrumental joué par les États-Unis dans l’éviction de Ianoukoïtch et la guerre de Kiev sur le Donbass.
Le rôle des États-Unis dans le déclenchement de la guerre
Pensez à un campement de manifestants dans le parc Lafayette, dont certains sont violents. Ils réclament l’éviction du président des États-Unis de la Maison-Blanche, de l’autre côté de la rue.
Deux législateurs russes de haut rang se présentent alors dans le parc. Ils se présentent avec des leaders de protestation et s’adressent à la foule, les encourageant, leur disant que la Russie est avec eux.
Puis le sous-ministre russe des affaires étrangères chargé des affaires nordétatsuniennes se présente dans le parc de Lafayette pour distribuer de la nourriture aux manifestants campés.
Plus tard, le ministre est pris sur une ligne téléphonique ouverte pour discuter avec l’ambassadeur russe aux États-Unis de la composition du nouveau gouvernement étatsunien une fois que le président sera renversé. Ce ministre avait aussi prononcé un discours disant que la Russie a dépensé 5 milliards de dollars pour amener la démocratie aux États-Unis.
Le président étatsunien élu est alors renversé violemment et fuit le pays. La Russie installe le gouvernement qu’elle a choisi. La Californie rejette le régime installé en Russie et dit qu’elle se sépare des États-Unis. Le nouveau gouvernement de coup d’état lance alors une guerre contre la Californie.
Si cela se passait vraiment à Washington, pensez-vous que quelqu’un aux États-Unis dirait que la Russie a quelque chose à voir avec le renversement du gouvernement étatsunien ? Ou auraient-ils simplement dit qu’il a été évincé par des « manifestations populaires »?
Mais c’est précisément ce qui s’est passé en Ukraine en 2014. Le rôle des législateurs a été joué dans la vie réelle par les sénateurs John McCain et Chris Murphy. Le vice-ministre des Affaires étrangères était joué par Victoria Nuland, alors secrétaire d’État adjointe pour les affaires eurasiennes.
Obama tente de contenir la guerre
La Russie est venue à la défense du Donbass avec des armes, de l’équipement, des munitions et les mercenaires Wagner quasi indépendants. Pour couvrir l’agression de Kiev et la justifier, les gouvernements occidentaux et leurs médias ont faussement qualifié d’« invasion » l’aide apportée par Moscou aux Russes ethniques.
Après que le gouvernement illégitime a commencé son attaque contre les régions russes séparatistes, le président Barack Obama a essayé de limiter son escalade. Le New York Times a publié le 10 mars 2015 :
« Le président a signalé en privé que malgré toutes les pressions, il reste réticent à envoyer des armes. En partie, il a dit aux aides et aux visiteurs qu’armer les Ukrainiens encouragerait l’idée qu’ils pourraient réellement vaincre les Russes beaucoup plus puissants, et donc cela attirerait potentiellement une réponse plus forte de Moscou.
Obama continue de poser des questions et d’exprimer ses doutes. ‘O.K., que se passe-t-il si nous envoyons de l’équipement — devons-nous envoyer des formateurs? » a déclaré une personne en paraphrasant la discussion sur la condition d’anonymat. ‘Que se passe-t-il si cela finit entre les mains de voyous? Et si Poutine s’intensifie?’»
Premièrement, Obama parle d’une guerre qui était en cours, qui avait commencé l’année précédente et non sept ans plus tard. Deuxièmement, Obama est parfaitement conscient que l’aide létale des États-Unis à l’Ukraine, tout en menant une guerre civile contre les russophones, provoquerait la Russie.
Et troisièmement, Obama admet ici ce que l’orthodoxie occidentale nie maintenant (mais qui était largement rapporté dans le courant principal à l’époque), à savoir que les « voyous » étaient un gros problème en Ukraine. Par des voyous, Obama voulait dire clairement les groupes d’extrême droite et néo-nazis qui luttent pour l’Ukraine. [Voir : On the Influence of Neo-Nazism in Ukraine L’influence du néo-nazisme en Ukraine]
Trump cède à la pression
Pendant la convention républicaine de 2016, les démocrates ont trouvé une planchette dans la plate-forme du parti républicain qui a dit qu’il n’y avait pas d’aide létale à l’Ukraine. Sous l’influence dérangée de Russiagate, cela a été présenté comme la preuve de la collusion de Trump avec la Russie, même si ce n’était que la continuation de la politique exacte d’Obama.
Tentant d’échapper à la pression du Russiagate, Trump a écouté ses conseillers traîtres et armé les Ukrainiens, exacerbant grandement la guerre et provoquant les Russes, comme le craignait Obama.
Trump a déclaré mardi dernier que l’Ukraine avait de nombreuses chances de conclure un accord avec la Russie. Pour tenter de mettre fin à la guerre, la Russie a soutenu les accords de Minsk, issus d’une réunion du Kremlin avec la chancelière allemande Angela Merkel en mai 2015. Les accords, qui ont été approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU avec l’assentiment des États-Unis, auraient laissé l’autonomie aux provinces orientales séparatistes à l’intérieur de l’Ukraine.
Cependant, la France, l’Allemagne et l’Ukraine, dont trois ans sous Zelensky, ont bloqué sa mise en œuvre. Merkel, l’ancien président français François Hollande et le président ukrainien Petro Porochenko ont tous admis avoir aidé la Russie à gagner du temps pour que l’OTAN arme et forme l’Ukraine.
C’est apparemment ce que Trump voulait dire quand il a dit que Zelensky avait trois ans pour conclure un accord, ou plutôt pour mettre en œuvre un accord déjà conclu.
Avec des signes d’une offensive ukrainienne renouvelée contre le Donbass, la Russie a présenté deux propositions de traité à l’OTAN et aux États-Unis en décembre 2021. Ils ont demandé une nouvelle architecture de sécurité en Europe, à savoir le retrait des troupes de l’OTAN des anciens pays du Pacte de Varsovie et des missiles étatsuniens de la Pologne et de la Roumanie à quelques minutes de Moscou.
Trump répète sans cesse que l’intervention russe n’aurait jamais eu lieu s’il avait été président. Peut-être aurait-il négocié ces traités. Selon un article du Daily Mail publié la semaine dernière, Trump envisage de retirer les troupes étatsuniennes des pays baltes, ce qui fait partie de ce que veut la Russie dans le cadre d’un nouvel arrangement en matière de sécurité en Europe. Cela fait partie de ce que la Russie défend depuis des décennies.
Moscou a dit à l’administration Biden que si les traités étaient rejetés, Moscou pourrait recourir à des « moyens techniques/militaires » en Ukraine.
Pleinement conscient que cela signifiait une nouvelle phase plus meurtrière de la guerre, Biden a rejeté les traités, provoquant l’intervention directe de la Russie dans la guerre civile. Biden avait besoin que cela se produise pour devenir le « début » de la guerre — comme si l’histoire commençait le 24 février 2022.
Biden et son secrétaire à la Défense ont clairement indiqué que le but des É.-U. était d’« affaiblir » et de renverser le gouvernement Poutine et de revenir à la domination dont les É.-U. jouissaient sur la Russie dans les années 1990.
Pour ce faire, Biden avait besoin de l’invasion russe afin de lancer une guerre d’information, économique et terrestre contre la Russie. Trois ans plus tard, l’Occident a perdu les trois et se trouve toujours à mentir sur le moment où tout a commencé.
* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant à l’ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et d’autres journaux, dont la Gazette de Montréal, le London Daily Mail et The Star of Johannesburg. Il était un journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres, un reporter financier pour Bloomberg News et a commencé son travail professionnel en tant que journaliste indépendant de 19 ans pour The New York Times. Il est l’auteur de deux livres, A Political Odyssey, avec Sen. Mike Gravel, préface de Daniel Ellsberg; et How I Lost By Hillary Clinton, préface de Julian Assange. On peut le joindre à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur X @unjoe.