Propagande 101 : Ukraine 2022
Article originel : Propaganda 101: Ukraine 2022
Par Colin Todhunter
Off Guardian, 27.03.22
En 2011, l'OTAN a bombardé un chemin vers Tripoli pour aider ses forces supplétives sur le terrain à évincer Kadhafi. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie et une grande partie du tissu social et des infrastructures de la Libye sont tombés en ruines.
L'article de 2016 paru dans le Foreign Policy Journal " Hillary Emails Reveal True Motive for Libyan Intervention " ("Les e-mails d'Hillarya Clinton ont révélé les vraies motifs de l'intervention en Libye") exposé la raison pour laquelle la Libye a été ciblée.
Kadhafi a été assassiné et ses projets d'affirmer l'indépendance de l'Afrique et de saper l'hégémonie occidentale sur ce continent ont été rendus caducs.
Un article du Daily Telegraph de mars 2013 intitulé "US and Europe in major airlift of arms to Syrian rebels through Zagreb" (Les États-Unis et l'Europe dans un important transport aérien d'armes aux rebelles syriens via Zagreb) rapportait que 3 000 tonnes d'armes datant de l'ex-Yougoslavie avaient été envoyées aux rebelles dans 75 chargements d'avion depuis l'aéroport de Zagreb.
Le même mois, le New York Times a publié l'article "Arms Airlift to Syria Rebels Expands with CIA Aid", indiquant que les gouvernements arabes et la Turquie avaient fortement augmenté leur aide militaire aux combattants de l'opposition en Syrie. Cette aide comprenait plus de 160 vols cargo militaires.
Dans son livre The Dirty War on Syria ("La sale guerre en Syrie"), Tim Anderson décrit comment l'Occident et ses alliés ont contribué à organiser puis à alimenter ce conflit.
Au cours des deux dernières décennies, les politiciens et les médias ont manipulé le sentiment populaire pour amener un public occidental de plus en plus fatigué par la guerre à soutenir les conflits en cours sous la notion de "protection des civils" ou de "guerre contre le terrorisme".
On raconte qu'il s'agit de garantir les droits des femmes ou de combattre les terroristes, de chasser du pouvoir des despotes (qui ne possèdent pas d'armes de destruction massive) ou de protéger la vie humaine pour justifier des attaques militaires, qui ont entraîné la perte de centaines de milliers de vies civiles et le déplacement de beaucoup d'autres.
Le langage émotif conçu pour susciter la peur face aux menaces terroristes ou à l'"intervention humanitaire" est utilisé comme prétexte pour mener des guerres impérialistes dans des pays riches en minerais et des régions géostratégiquement importantes.
Bien qu'il ait été évoqué dans de nombreux articles au fil des ans, il convient de mentionner à nouveau le secrétaire général de l'OTAN à la retraite, Wesley Clark, et un mémo du bureau du secrétaire étatsunien à la défense dont il a été informé quelques semaines seulement après le 11 septembre.
Cette note révélait des plans visant à "attaquer et détruire les gouvernements de sept pays en cinq ans", en commençant par l'Irak, puis "la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et l'Iran". Selon Clark, cette stratégie vise fondamentalement à contrôler les vastes ressources pétrolières et gazières de la région.
Une partie de la bataille pour gagner le cœur et l'esprit du public consiste à convaincre les gens de considérer ces guerres et ces conflits comme un ensemble d'événements déconnectés les uns des autres, et non comme les machinations planifiées d'un empire. Au cours de la dernière décennie, le récit permanent de l'agression russe a fait partie de cette stratégie.
Les intérêts financiers et commerciaux anglo-étatsuniens cherchent depuis longtemps à creuser un fossé entre l'Europe et la Russie afin d'empêcher un alignement économique plus étroit. Outre l'expansion de l'OTAN et l'installation de systèmes de missiles en Europe de l'Est ciblant la Russie, il y a également eu les sanctions économiques toujours plus sévères que l'UE a été largement contrainte d'accepter.
En 2014, le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) proposé (mais jamais mis en œuvre) faisait partie d'un plan géopolitique plus large visant à affaiblir l'Europe occidentale en la rendant encore plus dépendante des États-Unis et à diviser le continent européen en mettant la Russie à l'écart.
Si le TTIP peut sembler n'avoir rien à voir avec ce qui se passait en Ukraine en 2014 (le coup d'État) ou en Syrie, il était un rouage de la machine à cimenter l'hégémonie étatsunienne.
On peut écrire (et on a écrit) beaucoup plus sur les stratégies étatsuniennres visant à saper l'économie russe basée sur les combustibles fossiles, mais le fait est que les actions étatsuniennes visent depuis un certain temps à affaiblir la Russie.
C'est le complexe financier, industriel et militaire qui établit cet agenda, martelé à huis clos dans ses différents forums.
Ceux qui siègent au sommet de ce complexe peaufinent leurs plans au sein de puissants groupes de réflexion comme le Council on Foreign Relations et le Brookings Institute (documenté dans l'article de Brian Berletic de 2012 "Naming Names : Your Real Government") ainsi qu'au sein de la Commission trilatérale, de Bilderberg et de l'OTAN, comme le décrit le livre de David Rothkopf paru en 2008, "Superclass : The Global Power Elite and the World They Are Making".
Il est intéressant de noter le rapport de 2019 intitulé "Overextending and Unbalancing Russia", rédigé par l'influent groupe de réflexion politique étatsunien Rand Corporation.
Ce document présente divers scénarios pour déstabiliser et affaiblir la Russie, notamment "imposer des sanctions commerciales et financières plus profondes" et "fournir une aide létale à l'Ukraine", mais sans provoquer "un conflit beaucoup plus large dans lequel la Russie, en raison de sa proximité, aurait des avantages significatifs".
L'invasion de l'Ukraine par la Russie n'est pas tombée du ciel. Elle n'est pas le résultat des machinations d'un fou assoiffé de pouvoir, déterminé à s'emparer de l'Europe, une notion que les commentateurs traditionnels tentent depuis plusieurs années d'ancrer dans l'esprit du public occidental.
Une analyse récente parue sur la chaîne d'information indienne WION, intitulée "L'OTAN a-t-elle poussé l'Ukraine à la guerre ?", fournit le type d'analyse perspicace des événements absents des médias occidentaux.
Gravitas Plus: Did NATO push Ukraine into war? / Gravitas Plus : L'OTAN a-t-elle poussé l'Ukraine à la guerre ?
Elle expose succinctement les préoccupations légitimes de la Russie concernant la poussée expansionniste de l'OTAN en Europe de l'Est et la façon dont les administrations étatsuniennes successives ont ignoré ces préoccupations pendant de nombreuses années, y compris celles des hauts fonctionnaires de Washington.
Il n'est pas surprenant qu'une telle analyse reste en dehors de l'agenda des médias occidentaux. Les journalistes éminents des principaux médias sont des fantassins essentiels dont le rôle est de soutenir le pouvoir. Ils sont préparés à leurs fonctions par divers moyens (le British-American Project en est un exemple) et gravissent les échelons d'une carrière bien rémunérée.
Nonobstant les innombrables victimes civiles et les souffrances actuelles en Ukraine, un pays utilisé comme un pion dans une guerre géopolitique, il y a aussi les effets de l'interruption de l'approvisionnement en énergie et des exportations d'engrais et de nourriture de l'Ukraine et de la Russie, qui auront un impact sur des centaines de millions de personnes dans le monde.
Par exemple, la guerre pourrait déclencher un "ouragan de faim" et de pauvreté, la Banque mondiale estimant que la personne moyenne en Afrique subsaharienne dépensera environ 35 % de son revenu en nourriture en 2023 si la guerre en Ukraine se prolonge. Ce chiffre était d'un peu plus de 20 % en 2017. Ailleurs, dans des endroits comme l'Asie du Sud et le Moyen-Orient, l'augmentation pourrait être pire.
Mais il ne s'agit là que de "dommages collatéraux" qui valent la peine d'être imposés aux autres dans les calculs de ceux qui déterminent le "prix à payer" et qui le paieront.
Néanmoins, l'opinion publique a été encouragée à soutenir une stratégie d'augmentation de la tension à l'égard de la Russie, qui a culminé dans la situation que nous observons actuellement en Ukraine, par des médias qui jouent bien leur rôle. Les médias sont les principaux supporteurs des guerres menées par les États-Unis et veillent à ce que les blessés et les morts civils de ces conflits ne fassent pas les gros titres et ne soient pas sur les écrans, contrairement à la situation actuelle en Ukraine dont les victimes sont couvertes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 par les principaux médias.
Mais cela n'est guère surprenant. L'ancien patron de la CIA, le général Petraeus, a déclaré en 2006 que sa stratégie consistait à mener une guerre de perceptions menée en permanence par le biais des médias d'information.
De nombreux lecteurs sont au courant de la révélation, en 2015, de l'ancien rédacteur en chef d'un grand journal allemand qui a déclaré avoir créé des articles pour la CIA. Udo Ulfkotte a affirmé avoir accepté des nouvelles écrites et données par l'agence et les avoir publiées sous son propre nom dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Bien que cela ait choqué beaucoup de monde, l'ancien officier supérieur des services de renseignement britanniques Peter Wright (auteur du livre autobiographique "Spycatcher", paru en 1987) a noté il y a plusieurs décennies que de nombreux journalistes de premier plan au Royaume-Uni étaient associés au MI5.
C'est un autre ancien patron de la CIA, William Casey, qui a déclaré dans les années 1980 :
"Nous saurons que notre programme de désinformation est terminé lorsque tout ce que le public étatsunien croira sera faux."
La souffrance des civils bénéficie d'une couverture médiatique complète lorsqu'elle peut être utilisée pour tirer sur la corde sensible afin d'influencer l'opinion publique. Les déversements de moralité sur le bien et le mal, conçus pour les médias, sont destinés à susciter l'indignation et le soutien à d'autres "interventions".
La formation de l'opinion publique n'est pas une affaire de hasard. Elle est désormais sophistiquée et bien établie.
Prenez, par exemple, la récolte de données Facebook par Cambridge Analytica pour façonner les résultats des élections étatsuniennes il y a quelques années et de la campagne du Brexit. Selon le journaliste Liam O'Hare écrivant en 2018, sa société mère Strategic Communications Laboratories (SCL), aujourd'hui disparue, a mené des programmes de "changement de comportement" dans plus de 60 pays. Parmi ses clients figuraient le ministère britannique de la Défense, le département d'État étatsunien et l'OTAN.
Selon O'Hare, parmi les activités de SCL en Europe figuraient des campagnes visant la Russie. La société avait des "liens étendus" avec les intérêts politiques et militaires anglo-étatsuniens. Au Royaume-Uni, les intérêts du parti conservateur au pouvoir et des acteurs du renseignement militaire étaient réunis par l'intermédiaire de SCL : les membres du conseil d'administration comprenaient "un éventail de lords, de donateurs conservateurs, d'anciens officiers de l'armée britannique et d'entrepreneurs de la défense".
Pour O'Hare, toutes les activités de SCL étaient inextricablement liées à sa branche Cambridge Analytica. Il déclare :
"Nous disposons enfin de la preuve la plus concrète à ce jour d'acteurs de l'ombre utilisant des astuces sales afin de truquer des élections. Mais ces opérateurs n'opèrent pas depuis Moscou... Ils sont britanniques, ont fait leurs études à Eton, ont leur siège social dans la City de Londres et entretiennent des liens étroits avec le gouvernement de Sa Majesté."
Bienvenue dans le monde de la tromperie de masse à la Edward Bernays et Joseph Goebbels.
Avec les discussions sur la création d'une "zone d'exclusion aérienne" au-dessus de l'Ukraine, les sanctions contre la Russie qui, selon Poutine, s'apparentent à une "déclaration de guerre" et le fait que Biden qualifie Poutine de "criminel de guerre", le monde se retrouve aujourd'hui dans un scénario "penser l'impensable" qui aurait pu être totalement évité.
La veille de l'invasion de l'Ukraine, Poutine a déclaré à la télévision russe :
"Quiconque tente de se mettre en travers de notre chemin et de créer de nouvelles menaces pour notre pays et notre peuple doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences sans précédent dans l'histoire. Toutes les décisions nécessaires ont été prises."
Le président du Conseil allemand des relations étrangères, Thomas Enders, a depuis réagi en appelant à une zone d'exclusion aérienne dans l'ouest de l'Ukraine, ce qui conduirait très probablement à une implication militaire directe de l'OTAN :
"Il est temps pour l'Occident d'exposer les menaces nucléaires de Poutine pour ce qu'elles sont vraiment - un bluff pour dissuader les gouvernements occidentaux d'intervenir militairement."
S'exprimant à la télévision en 2021, l'éminente politicienne étatsunienne et vétéran de la guerre en Irak Tulsi Gabbard a exposé les conséquences d'une guerre avec la Russie au sujet de l'Ukraine. Compte tenu des milliers d'armes nucléaires que les États-Unis et la Russie ont pointées l'un vers l'autre, elle a déclaré qu'un échange nucléaire "entraînerait pour chacun d'entre nous un coût qui se traduirait par une mort atroce et une souffrance dépassant l'entendement".
Tulsi Gabbard lance un avertissement sur une guerre potentielle avec la Russie
Et pourtant, malgré les mises en garde de Gabbard, l'arrogance et l'imprudence des courtiers du pouvoir sont affichées chaque jour aux yeux de tous.
Bien que cela puisse être considéré comme une posture politique - dans un "grand jeu" vieux de plusieurs siècles auquel se livrent les élites dirigeantes et qui se résume au pétrole, au gaz, aux minéraux, au pouvoir, à la richesse, à l'ego et à la domination stratégique et militaire -, parler d'une intervention directe de l'OTAN ou de la menace implicite de Poutine d'utiliser des armes nucléaires revient en fin de compte, pour ceux qui sont au sommet du pouvoir, à risquer de jouer votre vie et celle de chaque créature vivante sur la planète.
* Colin Todhunter est spécialisé dans le développement, l'alimentation et l'agriculture et est associé de recherche au Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal. Vous pouvez lire son "mini e-book", Food, Dependency and Dispossession : Cultivating Resistance, ici.
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Traduction SLT