Quand les Etats-Unis vont-ils mettre fin à leur guerre parallèle en Somalie ?
Article originel : When is America going to end its shadow war in Somalia?
Par Stephanie Savell*
The Guardian
Tant que l'armée étatsunienne ciblera al-Shabaab en tant que groupe terroriste, elle ne fera qu'alimenter la violence en Somalie.
"Al-Shabaab n'est pas seulement un groupe terroriste au sens d'un groupe qui commet des actes de violence contre des civils, c'est aussi un mouvement local de résistance contre l'interventionnisme étranger." Photographie : AFP/Getty Images
En juillet, lors d'un rassemblement de Trump, une foule a chanté "renvoie-la" au sujet de la représentante du Minnesota, Ilhan Omar, en reprenant comme des perroquets la suggestion de Trump qu'elle "retourne" en Somalie, d'où elle a immigré quand elle était enfant. Peu de temps après, le sénateur du Kentucky Rand Paul a offert d'acheter à Omar un billet d'avion pour la Somalie afin qu'elle puisse apprécier davantage sa maison étatsunienne. Ce que peu de commentateurs ont mentionné, c'est que, lorsqu'il s'agit de la Somalie, "la renvoyer" n'est pas seulement raciste et offensant. Elle ignore aussi complètement le rôle critique de la politique étrangère étatsunienne au cours des dernières décennies en contribuant à ce que Paul a appelé "la catastrophe qu'est la Somalie".
Peu d'Etatsuniens savent que les Etats-Unis mènent un nombre croissant de frappes de drones et même d'opérations de combat sur le terrain contre un groupe, al-Shabaab, que Washington qualifie de "terroristes". Bien que les frappes aériennes soient une réponse aux préoccupations des États-Unis au sujet des terroristes islamistes en Afrique et aux priorités de la politique étrangère mises en évidence dans la soi-disant "guerre contre le terrorisme", elles sont également une extension de la longue et triste histoire de l'intervention militaire étatsunienne en Somalie. Cette histoire a été caractérisée par des bévues, des erreurs, des atrocités, l'impunité, la collusion, la corruption tandis que les civils somaliens ont payé un très lourd tribut.
Un nouveau rapport publié aujourd'hui par le projet Costs of War, que je codirige, au Watson Institute for International and Public Affairs de l'Université Brown, examine les quatre dernières décennies de l'engagement militaire étatsunien en Somalie, y compris la guerre parallèle qui y est menée aujourd'hui, et conclut que tant que la politique militaire étatsunienne en Somalie visera al-Shabaab comme un groupe terroriste, l'opposera à la tactique contre-insurrectionnelle de la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis, cela ne donnera rien.
Selon le rapport, rédigé par Catherine Besteman, professeure au Colby College, les actions étatsuninennes en Somalie reposent sur une mauvaise interprétation du contexte local. Al-Shabaab n'est pas seulement un groupe terroriste au sens d'un groupe qui commet des actes de violence contre des civils, c'est aussi un mouvement local de résistance contre l'interventionnisme étranger.
La croissance d'al-Shabaab a été alimentée non seulement par une longue histoire d'opérations étatsuniennes en Somalie, mais aussi par la guerre actuelle contre ce pays.
Les États-Unis ont joué un rôle important dans la politique somalienne pendant des décennies, à partir des années 1970 en soutenant le dictateur brutal de la Somalie, Siad Barre, pendant la guerre froide, et plus tard en tentant inefficacement de reconstruire l'État effondré. En 1993, lorsque le tristement célèbre incident de la "chute du faucon noir" (hélicoptère étatsunien abattu par un groupe rebelle) s'est produit, l'armée étatsunienne s'est retirée de Somalie après qu'un groupe de miliciens locaux eut abattu un hélicoptère étatsunien qui poursuivait ses dirigeants. Toutefois, après le 11 septembre 2001, les États-Unis ont de nouveau commencé à mener des opérations militaires en Somalie, comme l'indique le rapport : "Les paniques de sécurité étatsuniennes ont identifié l'apatridie persistante de la Somalie comme une opportunité potentielle pour les terroristes." Depuis lors, Al-Shabaab n'a cessé de gagner en force et en puissance, alimenté par la rage des Somaliens depuis des décennies d'ingérence étrangère dans leur pays. Ainsi, la croissance d'al-Shabaab a été alimentée non seulement par une longue histoire d'opérations aétatsuniennes en Somalie, mais aussi par l'actuelle guerre étatsunienne contre elle.
Aujourd'hui, la politique militaire étatsunienne en Somalie ignore les liens étroits qui unissent al-Shabaab au gouvernement somalien, aux intérêts commerciaux, aux forces de sécurité nationales somaliennes, à la Mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom) et aux entités régionales. Par exemple, elle recueille des fonds en faisant passer en contrebande des exportations illicites de charbon de bois et de sucre, en se soustrayant à l'interdiction de ces exportations imposée par l'ONU, avec la complicité du gouvernement régional. Des membres de l'armée nationale somalienne et de sa force d'élite entraînée par les États-Unis, Danab, ont même fourni aux États-Unis des informations erronées sur l'emplacement d'Al-Shabaab afin de minimiser l'effet des frappes de drones sur l'organisation.
La stratégie antiterroriste étatsunienne n'a pas atténué l'impact des activités d'al-Shabaab. Selon le rapport, les actions étatsuniennes ont, au contraire, "renforcé la capacité d'al-Shabaab à contrôler la population locale parce qu'al-Shabaab est si étroitement lié à l'économie de guerre et en bénéficie directement". L'argent venant des Etats-Unis et d'ailleurs pour les opérations de sécurité contre al-Shabaab soutient l'économie, et " l'économie de la sécurité est l'économie en Somalie ". En d'autres termes, Besteman écrit : "La guerre est bonne pour les affaires et les affaires profitent de la guerre." De ce fait, il est hautement improbable que les États-Unis parviennent à contenir al-Shabaab sur le long terme par des actions militaires.
Le coût élevé de la guerre étatsunienne en Somalie est supporté par le peuple somalien. En mars, Amnesty International a demandé au gouvernement étatsunien d'enquêter sur des preuves crédibles selon lesquelles ses frappes aériennes auraient tué de nombreux civils en Somalie, en dépit du démenti de la plupart de ces décès par le US Africa Command (AfriCom). Pris entre l'extorsion d'al-Shabaab et les bombes étatsuniennes, les Somaliens luttent pour assurer leurs moyens de subsistance et leur autonomie. Des millions de personnes ont fui leur foyer pour se réfugier à l'intérieur des frontières de la Somalie et au-delà. Des décennies de troubles politiques en Somalie et d'opérations militaires étatsuniennes depuis le début des années 2000 ont conduit 4 millions de personnes à vivre dans des conditions difficiles et à avoir besoin d'aide humanitaire.
Étant donné qu'al-Shabaab est tellement mêlé aux intérêts commerciaux et politiques dominants et que le militarisme étranger vient de propulser le groupe, il est absurde de continuer à le combattre par la force militaire, comme les États-Unis s'y sont attachés. De plus, c'est cruel. Les législateurs étatsuniens, poussés par des groupes de défense des droits de l'homme, ont commencé à prendre des mesures pour mettre fin au rôle des Etats-Unis dans les atroces violations des droits de l'homme commises par les Saoudiens au Yémen. Il est maintenant temps de faire de même avec la Somalie.
* Stephanie Savell est codirectrice du projet Costs of War de l'Université Brown.
Traduction SLT
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