Printemps grincheux à Ougadougou Par Jean-François Julliard Le Canard Enchaîné, du 5 novembre 2014
Le renversement par le peuple burkinabé de son président Blaise Copaoré, désireux de prolonger d'un quinquennat (au moins) ses vingt-sept ans d'exercice du pouvoir, n'a pas suscité une franche euphorie à Paris. Pendant que la foule scandait : "Blaise dégage !" agitant le "balai citoyen", Fabius se contentait de commenter, flegmatique : "Ce que nous souhaitons, nous les Français, c'est que nos ressortissants soient protégés et que l'on aille vers l'apaisement".
Au moins le gouvernement n'a pas proposé d'assistance policière au régime, comme le fit Allliot-Marie sous Ben Ali...
Il est vrai que les militaires ont vite douché l'enthousiasme de la rue et désigné à la tête du pays Isaac Zida, un lieutenant-colonel inconnu dont les promesses démocratiques en laissent plus d'un perplexe. Il est aussi vrai que Compaoré, le balayé, comptait de solides admirateurs dans la classe politique française. Ségolène Royal, rappelle l'association Survie, avait déclaré, en 2011 à Ouagadougou : "Le Burkina peut compter sur moi dans sa volonté (sic) de redorer son image à l'étranger" et, Elisabeth Guigou affirmait au président d'alors, en juin 2013, sa "gratitude pour le rôle que vous jouez".
Et l'on n'évoque pas ici les amis de Blaise gratifiés par des valises de billets évoqués naguère par Robert Bourgi, conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy...
L'ami Compaoré était devenu, au fil des ans, l'un des piliers de la Françafrique. Considéré comme un stratège par Chirac, soutenu dans ses missions de "médiateur régional" (Côte d'Ivoire, Mali) par Sarkozy, il avait accepté d'accueillir à Ouagadougou une importante base des forces spéciales. Quant à Hollande, il avait fait du Burkina Faso l'un des deux centres opérationnels de l'opération "Barkhane", bouclier militaire proclamé contre le djihadisme dans la région.
Autant d'impérieuses raisons qui ont amené Paris à fermer les yeux, depuis vingt ans, sur d'innocentes activités politiques de Compaoré : son amitié désintéressée pour le boucher du Libéria Charles Taylor ; son soutien armé, en 2002, à la tentative de coup d'Etat en Côte d'Ivoire ; sa protection pour les trafics d'or, de diamants et de cocaïne. Le Burkina y a joué un rôle de plaque tournante mentionnée dans des rapports de l'ONU. Sa complicité avec Kadhafi, banquier de ses trafics. Son ambiguité, enfin, vis à vis des mouvements djihadistes. Le conseiller spécial de Compaoré, le mauritanien Chafi, fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour "appui logistique et financier à des groupes terroristes du Sahel" ?
Complétons le portrait par ce beau bilan : le Bukina pointe au 181ème rang sur 187 pays au classement du développement humain de l'ONU, avec la durée de scolarisation la plus faible du monde.