Pourquoi Israël durcit le blocus de Gaza ?
Par Ben White
Source originale: Middle East Monitor
Traduit de l’anglais par Investig’Action
- 27 Oct 2016
Les faits sont là, parlants, et Ben White les relèvent: Israël resserre drastiquement le blocus sur Gaza. Un blocus qui, rappelons-le, viole allègrement le droit international. Mais Israël s’en fout. Reste à savoir pourquoi l’Etat colonial durcit les restrictions maintenant. (IGA)
Commençons par les faits : les autorités israéliennes ont, au cours de l’année dernière, resserré le blocus imposé depuis longtemps déjà à la bande de Gaza.
Même avant ces restrictions les plus récentes, le blocus israélien — que le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, avait qualifié de « politique illégale de punition collective » — continuait à nuire gravement à la vie des deux millions de résidents de Gaza, resserrant l’étau sur l’enclave.
En avril de cette année, l’ONU exprimait clairement que l’étape la plus urgente et nécessaire à la reconstruction de Gaza restait « la suppression des restrictions [israéliennes] à l’importation de matériaux de construction, en vue d’une levée totale du blocus« . Mais la situation a plutôt empiré.
En juillet, le journal israélien Haaretz a rapporté comment les « restrictions ont été renforcées pour les Palestiniens qui cherchent à quitter la bande de Gaza ainsi que pour les importations autorisées dans le territoire« . Ces restrictions comportent l’interdiction pour « certains hommes d’affaires d’importer leurs marchandises dans la bande de Gaza« .
Les données de l’ONU ont confirmé que le blocus s’est resserré dès juillet, avec en août, à peine 110 camions de marchandises quittant Gaza. C’est deux fois moins qu’en janvier, et cela correspond à 14 % de la moyenne de 2005. Pour le taux de patients autorisés à quitter Gaza pour un traitement, le mois d’août a également enregistré un seuil plancher qui n’avait plus été atteint durant ces sept dernières années.
Ensuite, en septembre, l’ONG israélienne Gisha a publié des statistiques montrant que « 1.211 Gazaouis ont été convoqués au poste frontalier d’Erez pour des interrogatoires israéliens de sécurité pendant la première moitié de l’année » — environ 2,5 fois le nombre de personnes interrogées au cours de la même période, un an plus tôt.
Début octobre, un haut fonctionnaire de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Gaza a décrit la situation actuelle comme « la pire jamais vécue« . Le 13 octobre, le responsable de l’ONU Nickolay Mladenov a lancé un avertissement à ceux « qui croient qu’il est possible de punir la bande de Gaza et de la garder sous blocus« .
Pendant ce temps, cependant, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a chargé l’armée israélienne de resserrer le blocus, en particulier les restrictions sur les « objets à double-usage ». Selon Gisha, cette liste « comprend des éléments dont l’utilisation est majoritairement civile et primordiale pour la vie des citoyens« .
En plus de ce qui précède, un haut fonctionnaire de l’ONU a récemment décrit comment « les conditions sont devenues beaucoup plus difficiles » pour la « communauté humanitaire« . En janvier, 3 % des demandes de permis d’entrée en Israël depuis Gaza ont été refusés aux employés palestiniens de cette communauté humanitaire ; en août, le taux était de 65 %.
Ces propos ont été repris cette semaine par le directeur de l’UNRWA des opérations à Gaza, Bo Schack. Il a également écrit un éditorial exhortant la fin du blocus. Joint par téléphone, Schack m’a confirmé que les restrictions israéliennes sur l’entrée de ciment ralentissent le rythme de la reconstruction.
Selon Schack, 400 familles dont les maisons sont encore à reconstruire restent en attente d’approbation (dans le cadre du mécanisme de reconstruction de Gaza). En outre, pour les six derniers mois, depuis mai de cette année, « nous n’avons reçu aucune autorisation pour les requêtes que nous avons soumises« , indique Schack.
Le responsable de l’ONU basé à Gaza a également affirmé qu’aux « restrictions de plus en plus dures sur les Palestiniens de Gaza« , s’ajoutent des « restrictions croissantes pour les mouvements du personnel de l’ONU — à un niveau beaucoup, beaucoup plus étendu qu’il ne l’était auparavant. »
Aux commerçants et travailleurs humanitaires de Gaza, nous pouvons aussi ajouter à présent les hauts responsables de l’Autorité palestinienne. Dernièrement, le Shin Bet [Service de sécurité intérieure israélien, NDT] a annulé le permis de sortie permanent de 12 des 14 responsables chargés des médiations entre les civils palestiniens et les autorités israéliennes. Autrement dit, les responsables chargés d’obtenir les permis de sortie ont perdu leur permis de sortie.
Un certain nombre d’observateurs ont insisté sur le fait qu’Israël n’a aucun désir de lancer une nouvelle offensive sur la bande de Gaza de sitôt, et que Lieberman, s’il n’a pas vraiment changé de nature, a modéré son bellicisme et ses désirs de renverser le Hamas à Gaza maintenant qu’il est ministre de la Défense
Mais alors, qu’est-ce qui explique ces mesures répressives qui sautent aux yeux ? Ce n’est pas comme si les conséquences du blocus relevaient du mystère. Même les experts de la sécurité israéliens se disent inquiets de « l’instabilité » à Gaza, pointant une crise croissante pour le Hamas et des niveaux stupéfiants de pauvreté.
Un porte-parole de l’Autorité palestinienne estime que Lieberman, en annulant les permis de sortie de Gaza des 12 fonctionnaires, met en œuvre sa politique déclarée de couper la communication israélienne avec les institutions sous Mahmoud Abbas, pour « créer une communication directe avec les résidents palestiniens« .
Amira Hass, écrivant cette semaine sur le refus de permis de sortie pour les Palestiniens de Gaza, a noté avec une ironie cinglante comment le Shin Bet « veut que je sois persuadée qu’une banquière est soudainement devenue dangereuse tout comme un adolescent atteint du cancer, qui a été traité en Israël depuis l’enfance et qui a actuellement a besoin d’une greffe de la mâchoire à Haïfa, est lui aussi devenu dangereux. »
Le Shin Bet sait que « c’est un non-sens« , a écrit Hass. Mais qui y a-t-il derrière tout cela ? « On n’a pas besoin d’attendre que les archives soient ouvertes pour répondre à notre question initiale« , dit-elle. « Le Shin Bet et ses responsables sont intéressés par une nouvelle terrible saignée — parce que la bande de Gaza n’obéit pas à leurs ordres et se maintient comme une partie tant de la société que de la géographie palestinienne. »
Traduit de l’anglais par Investig’Action
Source originale: Middle East Monitor