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De Macron à Bongo, les secrets d’un vieux routier de la Françafrique (L'Opinion.fr)

par Pascal Airault 14 Septembre 2016, 04:47 Macron Bongo Sarkozy Françafrique Simon France néocolonialisme

L’ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire publie les mémoires de ses quarante-quatre ans de diplomatie.

Dimanche 4 mars 2012, 21 heures, une voiture avec un fanion tricolore au vent, escortée par deux motards de la gendarmerie nationale, roule vers l’aéroport Houphouët-Boigny. À son bord, Jean-Marc Simon, l’ambassadeur de France. Il fête ses 65 ans et achève une carrière diplomatique de près de quarante-quatre ans. Dans sa tête, les images s’entrechoquent, les visages familiers, les souvenirs empreints de nostalgie.

Quatre ans plus tard, le diplomate reconverti dans le conseil publie ses mémoires : Secrets d’Afrique. Le Témoignage d’un ambassadeur. Des aventures parfois cocasses, souvent tragiques, où la France a été aux premières loges si ce n’est directement mêlée.

Celui qui se destinait à 8 ans à une carrière d’officier, de prêtre ou de pâtissier, fasciné par la personnalité du général De Gaulle, mit la première fois les pieds en Afrique en 1962 après une croisière sur un vieux navire anglais. Il a alors quinze et va découvrir l’amour à bord, dans les bras d’une jeune anglaise. En 1968, il intègre le Quai d’Orsay et rejoint Dakar à 21 ans comme vice-consul. S’ensuit une longue carrière comme conseiller au quai d’Orsay (1978) puis directeur de cabinet des ministres de la Coopération, de Michel Roussin à Jacques Godfrain. En 1996, il est nommé ambassadeur à Bangui, puis à Abuja (2 001), Libreville (2 003) et Abidjan (2 009).

A l’école Foccart. Jean-Marc Simon a fait ses classes avec Jacques Foccart, l’ancien secrétaire général de l’Élysée pour les Affaires africaines et malgaches. Diplomate madré au cuir épais, il a apprivoisé de fortes têtes comme le Tchadien Hissein Habré, le centrafricain Ange-Félix Patassé, le gabonais Omar Bongo Ondimba ou le nigérian Olusegun Obasanjo. Et vécu toute l’évolution de la politique africaine de la France, de la tutelle paternaliste au lendemain des indépendances, au désintérêt progressif de Paris sur fond de rivalité entre le Quai d’Orsay et le ministère de la Coopération, à l’affrontement entre balladuriens et chiraquiens, aux affres de la cohabitation ou encore à l’interventionnisme de Nicolas Sarkozy…

Au fil des pages, on croise les dirigeants français, de De Gaulle à Sarkozy. Mais aussi… des étudiants de l’ENA en stage. C’est le cas du jeune Emmanuel Macron, au début des années 2000. « Je l’ai accueilli à l’ambassade du Nigeria pendant six mois, confie Jean-Marc Simon. Il s’intéressait à l’Afrique et avait choisi volontairement d’y venir en stage ». Avec le futur ministre de l’Economie, le courant passe vite et les discussions se multiplient. L’ambassadeur lui délègue de nombreuses tâches et l’emmène dans ses rendez-vous avec les autorités du pays.

« Il avait un sens de l’analyse, de grandes qualités intellectuelles et humaines et rédigeait parfaitement les notes diplomatiques, poursuit Jean-Marc Simon. À la fin, il était capable de remplir toutes les fonctions, du conseiller politique au vice-consul ». Emmanuel Macron sera d’un voyage douloureux à Kano (Nigeria) avec le président Obasanjo, au cours duquel les autorités françaises doivent reconnaître le corps de deux enseignants français, victimes d’une catastrophe aérienne. Plus tard, l'ambassadeur Simon tentera même de faire entrer Macron au cabinet… d'Eric Woerth. Mais il a déjà rejoint la gauche.

« Pardon papa ». Dans Secrets d’Afrique, l’ambassadeur évoque aussi le Tchad en guerre sous Hissène Habré, sur fond de crise avec Mouammar Kadhafi ; une opération d’échanges de prisonniers en Afrique australe en pleine guerre froide ; le génocide du Rwanda ; les différentes mutineries en Centrafrique réglées à coups de diplomatie et de billets de banques.

Les présidents Idriss Deby et Omar Bongo joueront notamment les premiers rôles en 1996 à l’ambassade de France à Bangui, lors d’une réunion organisée par Jean-Marc Simon avec les mutins. Un sergent putschiste y invective les deux chefs d’État qui tentent de le ramener à la raison : « Et vous, comment êtes-vous arrivés au pouvoir ? ». Réponse de Deby en boubou blanc : « Ces temps sont révolus ! ». Et Bongo de se fâcher : « Dis donc, petit, personne ne m’a jamais parlé comme ça, même pas mon petit-fils ». Le sergent, sentant qu’il est allé trop loin, se met alors à genoux : « Pardon, papa ». Après des discussions à huis clos, un cessez-le-feu sera signé.

L’ambassadeur revient aussi sur l’inéluctable dévaluation du Franc CFA et la longue guerre de succession en Côte d’Ivoire, achevée par l’intervention française pour faire respecter le verdict des urnes et aider le président Alassane Ouattara à prendre au pouvoir. « La crise ivoirienne a été emblématique de la détérioration des liens entre l’Afrique et la France, indiquait l’ambassadeur avant de quitter son poste à Abidjan. Mais c’est aussi un challenge stimulant pour reconstruire un partenariat moderne ».

Secrets d’Afrique. Le témoignage d’un ambassadeur, de Jean-Marc Simon, éditions du Cherche-Midi, 2016.

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