En mettant volontairement le feu à une succursale de la Banque de France à Paris le 16 octobre, le réfugié politique russe est peut-être allé trop loin. L'affaire embarrasse les cercles du pouvoir... et les médias qui lui avaient tressé des lauriers.
L'artiste, performeur et activiste russe Piotr Pavlenski risque de perdre son statut de réfugié politique en France, après avoir incendié un bâtiment de la Banque de France, à Paris le 16 octobre dernier, qualifiant cette dernière de «nouveau foyer d'esclavage». L'affaire embarrasse les nombreux organes de presse qui l'ont jusque-là présenté comme un opposant du «régime» russe, à l'instar du Figaro dans un article d'avril 2017.
Piotr Pavlenski avait déjà incendié le siège du renseignement russe, le FSB, à Moscou en 2015. Mais en mettant le feu à une succursale de la Banque de France en plein Paris, l'activiste, adepte de l'automutilation artistique, semble être allé un peu trop loin, même pour les amateurs de performances extrêmes, confrontés à la gravité des faits. Ainsi, après avoir encensé l'activiste russe, la presse française se voit obligée de mettre un peu d'eau dans son vin. L'Express s'en tient aux faits pour évoquer l'arrestation de Piotr Pavlenski et reprend le 18 octobre 2017 sobrement les informations de l'AFP. Même sobriété de la part du Figaro lorsque le quotidien rapporte que l'activiste a décidé un «jeûne contestataire» pour protester contre son placement en détention. «Où va s'arrêter Piotr Pavlenski ?», s'interroge Le Figaro.
Un article de Libération sur l'obtention du statut de réfugié politique en France de mai 2017 n'est plus disponible sur le site – pour une raison inconnue. Le 16 octobre, le quotidien de gauche publie une brève d'exactement trois phrases sur l'arrestation de l'«artiste actionniste russe» pour lequel il ne tarissait pas d'éloges. Rien, depuis, sur l'expertise psychiatrique à laquelle il a été soumis et sa mise en examen. Le 4 octobre dernier, soit 12 jours seulement avant l'incendie de la Banque de France, Libération lui consacrait un portrait élogieux. L'article était intitulé «Piotr Pavlenski, couillu», en référence à une performance artistique où ce dernier s'était cloué le scrotum sur la place Rouge à Moscou en 2013.
L'artiste avait également défrayé la chronique en se cousant les lèvres en 2012 en soutien aux activistes des Pussy Riots, ce groupe punk féministe qui avait appelé la Vierge à délivrer la Russie de Vladimir Poutine lors d'une performance sauvagée réalisée dans l'église du Christ-Sauveur à Moscou. «Ouille», commentait le quotidien. «La douleur réveille ou, plutôt, éveille», s'émerveillait l'auteur du portrait, avant de se lancer dans une dissertation sur le statut du corps à notre époque et de sa pertinence dans la lutte contre la «répression étatique». Russe, bien sûr.
Le spectre de la psychiatrie soviétique... en France
Plus embarrassant encore, Piotr Pavlenski a été soumis, après l'incendie de la Banque de France, à une expertise psychiatrique.
A la suite d'un examen de comportement au lendemain de son interpellation, il avait en effet été transféré à l'infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police parisienne. Laquelle l'a «trouvé normal», selon l'avocate de l'artiste, avant que celui-ci ne soit mis en examen et placé en détention provisoire.
du sort, la question de la santé mentale de Piotr Pavlenski s'était posée également en Russie. En janvier 2016, la justice russe, dans l'attente de son procès, décidait de soumettre l'artiste à une expertise psychiatrique judiciaire à l'institut Sberski. Le Monde s'en était vivement ému. «Du temps de l'URSS, l'institut était surtout synonyme de gare de triage pour les dissidents internés en hôpital psychiatrique», notait alors le quotidien du soir.
«Une utilisation de nouveau de la psychiatrie à des fins politiques», évoquait encore le quotidien, citant Piotr Pavlenski. Et de rappeler, dans le même temps, et à quelques mots d'intervalle, que ce dernier s'était aussi... coupé le lobe de l'oreille sur le toit dudit institut en 2014. «Dissident», «Poutine», «expertise psychiatrique», Le Monde tenait là tous les ingrédients pour classer l'activiste russe dans le camp du Bien.
L'incendie du siège du FSB à Moscou, une pécadille ?
Mais la presse française ne relève guère la relative mansuétude de la justice russe, qui ne paraît pas cadrer avec la narration souhaitée. «Piotr Pavlenski, l'insoumis qui provoque Poutine», titrait ainsi L'Express, propriété comme Libération de SFR Group, le 31 août 2017.
«Russie : Un artiste condamné pour avoir mis le feu aux portes de l'ex-KGB», titrait pour sa part en juin 2016 BFMTV, préférant au nom exact du FSB celui, plus sulfureux, des services secrets de l'Union soviétique. BFMTV ne suivait en cela que la dépêche source de l'AFP. En retranchant toutefois le texte suivant : «L'artiste russe Piotr Pavlenski a été condamné [...] à une simple amende par la justice russe [...] une décision d'une rare clémence qui lui permet de repartir libre du tribunal.» Une amende de 500 000 roubles (environ 6 500 euros) que Piotr Pavlenski refusera d'ailleurs de payer.
«Depuis que l'opposition a été réduite au silence par l'assassinat de Boris Nemtsov, l'an dernier, les artistes sont les derniers à porter une parole libre au pays de Poutine», juge L'Express, qui minimise le geste incendiaire de Piotr Pavlenski : «contrairement aux apparences, cette action commando nocturne ne constitue pas un acte de vandalisme comme un autre. Baptisée La Menace, il s'agit au contraire d'une performance artistique relevant de l'art contemporain.» Et non pas du code pénal, du moins en Russie à en croire L'Express, «car son auteur se pose comme l'héritier de l'actionnisme viennois [mouvement artistique des années 1970]», soutiennent encore les journalistes de L'Express, visiblement sous le charme.
Preuve encore de l'a priori favorable dont peut jouir tout «opposant» russe en France, Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture et élue à la tête de l'Unesco le 13 octobre 2017, lui avait apporté son soutien discret. Si c'est de l'art...