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Macron-Sissi, les Rafales ont coulé les droits humains (Mondafrique)

par Rabha ATTAF 11 Novembre 2017, 20:02 Macron Sissi Collaboration Rafale Vente d'armes Egypte Françafrique France

(c) AFP

(c) AFP

Reçu par le président Macron à l’Elysée le 24 octobre, le chef de l’Etat Egyptien affiche un bilan catastrophique en matière de droits de l’homme.Sans que  le président français ne s’en émeuve.

La colère générale des ONG de défense des droits humains provoquée par la visite officiel du maréchal-président Al-Sissi à Paris n’a pas eu l’effet escompté. Le président Macron a en effet considéré que la question humanitaire n’était pas de son ressort. « De la même façon que je n’accepte qu’aucun autre dirigeant ne me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays (…) je n’en donne pas aux autres. », déclarait-il à l’issu du déjeuner de travail, ce mardi 24 octobre, tandis que le président Al-Sissi affichait la mine satisfaite d’un petit Pharaon reçu en grande pompe.

Priorité était donc donnée au « combat commun » contre le terrorisme et au « partenariat stratégique » de la France et de l’Égypte. Une ritournelle déjà chantonnée par l’ex-président Hollande, lors de son voyage officiel au Caire en avril 2016. Visite qui s’était soldée par la signature d’accords pour construire un satellite de télécommunications militaires, étendre le métro du Caire, et financer un parc éolien et une centrale solaire. En juin 2016, la France avait livré à l’Égypte le premier de deux porte-hélicoptères de classe Mistral, faisant partie d’une série de contrats d’armement entre France et l’Égypte, qui comprenaient également l’achat d’une frégate de classe FREMM, de quatre corvettes de classe Gowind… et dejà de 24 avions de chasse Rafale !

 

Les droits humains bafoués

« Ce président qui se veut l’infatigable avocat des libertés et des droits s’est fait celui d’Al-Sissi, malgré le désastreux bilan du président égyptien en matière de droits de l’homme », s’est immédiatement insurgée Bénédicte Jeannerod, la directrice de l’ONG Human Rights Watch France, par le biais d’une salve de tweets. Et de dénoncer une « scandaleuse politique de tolérance » envers le régime face à la « pire crise des droits humains en Égypte depuis des décennies ».

Exit donc, les droits humains et tant pis pour les 60 000 détenus politiques, les milliers de disparus forcés, les 1964 condamnés à mort, les 16 journalistes embastillés, les médias en ligne bloqués, les ONG fermées et leurs dirigeants interdits de voyager, la torture systématique dénoncée devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier. Sans oublier la chasse aux gays -dont 65 viennent d’être condamnés pour débauche- dernière invention de l’arsenal répressif égyptien pour mâter la société civile entrée en résistance.

 

Contrats juteux

Pas question de risquer de froisser la susceptibilité d’Al-Sissi dont la délégation importante -5 ministres mais aussi Khaled Fawzy, le patron des renseignements militaires-  laissait miroiter la signature de contrats juteux, et en particulier l’achat de 12 nouveaux avions Rafale destinés à remplacer les Mirages vieillissants de l’armée de l’air égyptienne. De quoi engranger des milliards d’euros pour le complexe militaro-industriel français, à condition, bien sûr, que l’Egypte soit solvable. « On verra s’il y a un nouveau contrat. L’Egypte a été le premier client à l’export du Rafale en 2015 », déclarait au micro d’Europe 1 Bruno Lemaire, le ministre de l’économie. Avant d’ajouter, prudent : « S’il peut y avoir de nouveaux contrats, tant mieux. C’est tant mieux si le régime a les moyens de payer les Rafale. Et c’est normal que Bercy s’assure que le régime égyptien soit en mesure de payer ces commandes d’avions”, ajoutant que l’Egypte avait demandé des facilités de paiements.

 

Bilan économique calamiteux

Et pour cause :  l’économie égyptienne est au point mort, sous perfusion des finances venues de l’étranger. En avril, les Émirats arabes unis ont promis une aide de 4 milliards de dollars, s’ajoutant aux 20 milliards de dollars déjà accordés ou prêtés par d’autres membres du Conseil de coopération du Golfe, depuis l’éviction de l’ancien président Morsi en 2013.

En septembre, le Fonds monétaire international a conclu un accord entre équipes d’experts avec l’Égypte sur un programme de prêts de 12 milliards de dollars destiné à accroître les recettes et à réduire les dépenses. L’accord obligerait l’Égypte à réduire les subventions, à imposer une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée et à faire flotter la livre égyptienne. Résultat : la monnaie égyptienne n’en finit pas de s’effondrer -1 euros vaut 21 livres actuellement- et les prix de l’énergie et des produits de première nécessité flambent, tandis que les coupes drastiques dans le budgets de la fonction publique mettent des milliers d’employés au chômage. Une situation explosive qui devrait  pourtant inquiéter sérieusement Bercy quant à la solvabilité du « partenaire » égyptien !

 

La gaffe du maréchal

Quoi qu’il en soit, le maréchal président s’en est retourné dans son pays, auréolé des ors prestigieux de la République française, après avoir fait ses « emplettes » à Paris -les possibles contrats Rafale ayant coulé les droits humains. Une opération de charme qui ne trompe pourtant pas ses compatriotes. Ces derniers ont en effet relevé une énorme gaffe : Al-Sissi a déclaré sans détours, lors de son interview très cadrée diffusée sur France 24 en arabe, que les Egyptiens ne sont pas des Européens et ne peuvent donc pas prétendre être traités selon les standards internationaux en matière de droits humains. La réplique ne s’est pas fait attendre sur les réseaux sociaux d’Egypte. Un post intitulé « Al-Sissi nous a renvoyé à l’âge de pierre ! » y fait un véritable buzz et n’en finit pas de tourner.

Idem concernant l’interview de maitre Gilles Deverre, effectuée par Al-Jazeera devant le palais de justice de Paris où l’avocat venait de déposer une plainte pour « détentions arbitraires et tortures » au nom de familles égyptiennes résidant en France. Un ultime bras d’honneur du Collectif des Egyptien pour la Démocratie, dont le rassemblement, prévu l’après midi du 24 octobre à 17h, fut interdit une heure avant par la préfecture alors que l’autorisation avait été délivrée le matin même. Car les faits sont têtus : même si l’Egypte est perçue par le président Macron comme une poule aux œufs d’or, il n’en demeure pas moins qu’elle est devenue un tombeau des droits humain depuis le coup d’état du maréchal Al-Sissi.

 

Rabha ATTAF

Grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient. Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.

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