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Robert Fisk : « J’ai retracé les carcasses de missiles d’Al-Qaeda en Syrie jusqu’à leurs vendeurs d’origine. » (Zero Hedge)

par Robert FISK 18 Juillet 2018, 12:06 Al Qaïda Armement Traçage

 Robert Fisk : « J’ai retracé les carcasses de missiles d’Al-Qaeda en Syrie jusqu’à leurs vendeurs d’origine. »
Article originel : Robert Fisk: « I Traced Al-Qaeda Missile Casings In Syria Back To Their Original Sellers »
Par Tyler Durden
Zero Hedge

(c) AP

(c) AP

Enfin, un journaliste d’un grand média britannique suit méthodiquement les numéros de série des cargaisons d’armes et les documents en anglais récupérés auprès des groupes d’Al-Qaïda en Syrie, et il se présente littéralement aux usines d’armement et interroge les trafiquants d’armes, y compris les officiels de l’ambassade saoudienne à Londres, en leur demandant : pourquoi vos armes sont-elles entre les mains de terroristes ?

Robert Fisk, ancien correspondant de guerre au Moyen-Orient, a récemment publié un rapport explosif intitulé « j’ai retracé les douilles de missiles d’Al-Qaeda en Syrie jusqu’à leurs vendeurs d’origine”, il est donc temps pour l’Occident de révéler à qui ils vendent des armes. Dans ce rapport, Fisk parle d’une enquête qu’il a récemment engagée après avoir découvert l’an dernier un lot de douilles de missiles et des documents d’expédition cachés dans ce qu’il décrit comme « le sous-sol d’une base islamiste bombardée dans l’Est d’Alep » avec les mots « Hughes Aircraft Co/Guided Missile Surface Attack » inscrits sur le côté.

Bien sûr, le gouvernement syrien a repris la région aux insurgés islamistes, dont les terroristes d’al-Nusra et leurs alliés en décembre 2016, et a fait des rapides progrès dans l’Est et le Sud du pays depuis ; Fisk a fait le tour du pays en trekking pour voir ce qu’il pouvait trouver.

L’entreprise Raytheon est spécialisée principalement dans les domaines des systèmes de défense et d'électronique et dans l'aérospatiale

L’entreprise Raytheon est spécialisée principalement dans les domaines des systèmes de défense et d’électronique et dans l’aérospatiale

Son « histoire policière« , comme il l’appelle, semble en fait solliciter l’aide du public, et commence comme suit :

Chers lecteurs, une petite histoire policière. Notez ce numéro : MFG BGM-71E-1B. Et ce numéro : RÉFÉRENCE 1410-01-300-300-0254. Et ce code : DAA A01 A01 C-0292. J’ai trouvé tous ces chiffres imprimés sur le côté d’une douille de missile usée se trouvant dans le sous-sol d’une base islamiste bombardée dans l’Est d’Alep l’année dernière. Au sommet se trouvaient les mots « Hughes Aircraft Co », fondée en Californie dans les années 1930 par l’infâme Howard Hughes et vendue en 1997 à Raytheon, l’énorme entreprise de défense américaine dont les bénéfices de l’année dernière s’élevaient à 23,35 milliards de dollars US. Ses actionnaires comprennent la Bank of America et la Deutsche Bank. Les bureaux de Raytheon au Moyen-Orient se trouvent en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, en Israël, en Égypte, en Turquie et au Koweït.

Il y avait des douzaines d’autres douilles de missiles identiques usagées dans la même pièce souterraine au milieu des ruines à l’Est d’Alep, avec des codages séquentiels ; en d’autres termes, ces missiles anti blindés – connus dans le commerce sous le nom de Tows, « missiles à guidage optique et à guidage par fil« …

Une douille de missile usé en Syrie fabriquée par "Hughes Aircraft Company" qui a été retrouvée en 2014 (ne faisant pas partie du même lot d'armes analysées dans le rapport de Fisk). Notez la tentative d'effacer les numéros de série. Via les Services de recherche sur l’armement

Une douille de missile usé en Syrie fabriquée par « Hughes Aircraft Company » qui a été retrouvée en 2014 (ne faisant pas partie du même lot d’armes analysées dans le rapport de Fisk). Notez la tentative d’effacer les numéros de série. Via les Services de recherche sur l’armement

L’année écoulée a été particulièrement marquée par des tentatives systématiques de traçage jusqu’à leur point d’origine des armes fournies par des étrangers sur le champ de bataille syrien, la plupart d’entre elles ayant été récupérées auprès de groupes terroristes (même l’Etat Islamique). Nous avons déjà détaillé un certain nombre de ces rapports, par exemple : Journaliste interrogé, viré pour avoir fait le lien entre la CIA et les survols d’armes syriennes ou encore Les armes sont passées de la CIA à l’Etat Islamique en moins de deux mois. – Ce dernier s’appuie sur des recherches approfondies en matière de localisation des armes et sur des recherches criminalistiques sur le terrain effectuées par Conflit Armement Research (CAR).

Robert Fisk, cependant, représente le rare cas d’un éminent journaliste en mission isolée pour retracer les numéros de série d’armes retrouvées lors de l’insurrection syrienne soutenue par l’étranger jusqu’à leurs origines aux États-Unis (ce qui inquiète les responsables du renseignement et les chefs militaires américains, The Guardian a même reconnu Robert Fisk comme « l’un des journalistes les plus célèbres du monde » pour son imperturbabilité dans ses enquêtes).

Fisk poursuit en racontant le moment où il a confronté un ancien dirigeant de Hughes Aircraft (maintenant Raytheon) au sujet de la découverte de leur produit entre les mains de terroristes :

« Il y a quelque temps, aux États-Unis, j’ai rencontré un ancien cadre de Hughes Aircraft qui a ri quand je lui ai raconté l’histoire de la découverte de ses missiles dans l’Est d’Alep. Lorsque l’entreprise a été vendue, Hughes avait été scindé en huit parties, a-t-il dit. Mais il est certain que ce lot de roquettes était parti d’une base du gouvernement américain. Les enquêteurs amateurs ont peut-être déjà retracé la première série de chiffres ci-dessus. Le « 01 » dans le numéro de stock est un code de l’OTAN pour les États-Unis, et le BGM-71E est un produit de Raytheon Systems Company. Il y avait des vidéos de combattants islamistes utilisant la variété BGM-71E-1B dans la province d’Idlib deux ans avant que je ne trouve les douilles d’autres missiles antichars dans la ville voisine d’Alep. Quant au code : DAA A01 C-0292, j’essaie toujours de retracer ce numéro. »

Robert Fisk a récemment suscité la controverse après avoir écrit qu'il n'a pas trouvé la preuve d'une attaque à l'arme chimique du gouvernement syrien contre Douma en tant que premier journaliste à entrer sur le site et à interviewer des témoins oculaires

Robert Fisk a récemment suscité la controverse après avoir écrit qu’il n’a pas trouvé la preuve d’une attaque à l’arme chimique du gouvernement syrien contre Douma en tant que premier journaliste à entrer sur le site et à interviewer des témoins oculaires

Fisk écrit en outre que, même s’il ne trouve pas la base américaine d’où proviennent les missiles, ainsi que l’usine spécifique où ils ont été fabriqués, il sait une chose de sûre : Hughes/Raytheon et le gouvernement américain ont mis en place un système de traces écrites conçu pour les protéger des lois anti-terroristes.

Il explique cette couverture légale :

« Ce missile aura été fabriqué et vendu par Hughes/Raytheon en toute légalité à une puissance de l’OTAN, pro-OTAN ou « amie » (c’est-à-dire pro-américaine) (gouvernement, ministère de la défense, etc.), et il existera pour cela un Certificat d’Utilisation Final (EUC), un document de provenance impeccable qui sera signé par les acheteurs – dans ce cas par ceux qui ont acheté les missiles Tow en très grand nombre – indiquant qu’ils sont les destinataires finaux des armes ».

Et pourtant, il n’y a aucun moyen de savoir si les « destinataires » officiels identifiés comme « utilisateur final » sont en fait les utilisateurs finaux, comme le prouve l’enquête de Fisk (parce qu’il a trouvé le lot de missiles dans un ancien bastion de Nusra/Etat Islamique/al-Qaeda).

Combien de ces armes de pointe fabriquées par Raytheon al-Qaïda a-t-il encore en sa possession ? Est-ce que quelqu’un à Washington ou à Londres s’en soucie ?

Il souligne qu' »il n’y a ni obligation ni mécanisme d’enquête de la part des fabricants d’armes pour s’assurer que leurs produits infiniment chers ne soient pas livrés par « les acheteurs » à l’Etat Islamique, al-Nusra ou al-Qaeda – ce qui était clairement le cas à Alep – ou à un autre groupe islamiste anti-Assad en Syrie qualifié par le Département d’Etat américain lui-même d’organisation terroriste ». Tant pis pour les lois anti-terroristes américaines, non ?

Fisk poursuit avec un sarcasme approprié :

« Bien sûr, les armes auraient pu être envoyées (illégalement selon les termes de l’EUC) à une milice « modérée », comme l’Armée syrienne libre, désormais largement inexistante, et dont beaucoup d’armes – généreusement offertes par l’Occident – sont tombées entre les mains des « mauvais garçons » ; c’est à dire les gens qui veulent renverser le régime syrien (ce qui plairait à l’Occident) mais qui voudraient instaurer une dictature islamiste à sa place (ce qui ne plairait pas à l’Occident). »

En effet, il confirme ce que l’ancien espion du MI6 et diplomate britannique Alastair Crooke a déclaré un jour – que la CIA a sciemment établi une sorte de « Wal-Mart djihadiste » – auquel l’EI avait un accès immédiat et facile. Crooke a fait remarquer que le programme d’armement a été mis sur pied en gardant à l’esprit le « déni plausible« , ce qui permettrait à ses commanditaires américains du renseignement d’être à l’abri de toute poursuite judiciaire ou de tout embarras public.

Crooke a noté dans une interview de la BBC en 2015 que « l’Occident ne remet pas les armes à Al-Qaida, et encore moins à l’EI…, mais le système qu’ils ont construit mène précisément à cette fin« .

Fisk confirme cette analyse lorsqu’il conclut, « Ainsi al-Nusra peut être le destinataire des missiles de nos « amis » de la région – ici, oubliez les pays de l’Union Européenne – ou de ces fameux « modérés » qui à leur tour les remettent à l’EI, al-Nusra, etc, contre de l’argent, des faveurs, une guerre fratricide et la reddition.

Et puis il condamne à la fois les entreprises d’armement et les gouvernements occidentaux qui font tout cela, notant que, bien qu’une certaine lassitude et une paresse ignorante généralisée auto-imposée s’est installée lorsqu’il s’agit de grands médias enquêtant sur ces questions, cela continue d’être une affaire énorme et scandaleuse aux dimensions épiques qui devrait exiger la dénonciation de toutes les parties impliquées.

Fisk rage :

« Pourquoi l’OTAN ne suit-il pas toutes ces armes lorsqu’elles quittent l’Europe et l’Amérique ? Pourquoi ne révèlent-ils pas les véritables utilisateurs finaux de ces cargaisons mortelles ? Les armuriers auxquels j’ai parlé dans les Balkans ont attesté que l’OTAN et les États-Unis connaissent parfaitement les acheteurs de toutes leurs mitrailleuses et mortiers.

Pourquoi les détails de ces fameux certificats d’utilisateur final ne peuvent-ils pas être rendus publics – aussi transparents et accessibles que les armes effrayantes dont les fabricants sont heureux de se vanter dans leurs catalogues. »

Bien que consciencieusement ignoré dans la presse américaine (et nous estimons donc qu’il est de notre devoir de continuer la divulgation), Fisk est au milieu d’une série d’enquêtes en plusieurs parties pou son journal The Independent (Royaume-Uni) – il a récemment suivi les armes fournies venues de l’étranger jusqu’aux portes des fournisseurs partenaires des États-Unis dans les Balkans, ainsi qu’à l’ambassade saoudienne à Londres, où il a présenté les documents d’expédition et les documents du fabricant prouvant que diverses armes allaient directement des usines européennes à des groupes terroristes en Syrie via les Saoudiens (y compris les témoignages oculaires des ouvriers de l’usine de munitions des saoudiens qui ont inspecté l’installation).

The Independent a publié plus d'une douzaine d'articles de paperasse récupérés auprès des positions d'al-Nusra (Al-Qaïda syrien) à Alep

The Independent a publié plus d’une douzaine d’articles de paperasse récupérés auprès des positions d’al-Nusra (Al-Qaïda syrien) à Alep

Comme on pouvait s’y attendre, les autorités saoudiennes ont nié les preuves, affirmant que le Royaume n’a apporté « aucun soutien pratique ou autre à une organisation terroriste (y compris al-Nusrah et l’EI) en Syrie ou dans d’autres pays » et ont décrit les allégations soulevées par The Independent comme étant « vagues et non fondées« .

Fisk répond dans sa dernière colonne :

« Ces documents n’étaient pas « vagues » – pas plus que le souvenir du contrôleur des armes bosniaque qui a dit qu’ils sont allés avec les mortiers en Arabie Saoudite et dont j’ai trouvé les documents d’expédition en Syrie. En effet, Ifet Krnjic, l’homme dont j’ai recueilli le témoignage à l’Est d’Alep, a autant le droit de faire valoir sa parole que les autorités saoudiennes. Alors, qu’est-ce que les militaires saoudiens – à qui l’on a certainement montré les documents – ont fait de ces mortiers ? Qu’entend-on par « non fondé » ? Les Saoudiens affirmaient-ils par l’utilisation de cette expression que les documents étaient des faux ? »

Et Fisk répond à sa propre question en concluant, « Je parie qu’ils ne le sont pas car je ne pense pas que l’OTAN ou l’UE ait le moindre intérêt à poursuivre la provenance des armes entre les mains des combattants islamistes en Syrie ou ailleurs au Moyen-Orient – certainement pas dans le cas de Damas, où l’Occident vient d’abandonner sa tentative de destituer Assad ».

* * *

Nous pourrions aussi nous rappeler, de peur que cela ne disparaisse à jamais dans le trou de la mémoire publique collective, que jusqu’en 2013, lorsque, comme tous les analystes s’accordent à dire, la Maison Blanche d’Obama a failli lancé une guerre de changement de régime à la manière de l’Irak contre Damas… Devinez qui était un « expert » médiatique de premier plan, faisant du lobbying agressif pour un changement de régime ?

A cette époque, Stephen Hadley, alors directeur de Raytheon (depuis 2009) et ancien conseiller à la sécurité nationale de George W. Bush, a fait de multiples apparitions sur FOX, CNN, MSNBC et Bloomberg News au plus fort du débat national sur la question de savoir si les Etats-Unis devraient entrer en guerre en Syrie. Dans toutes ces apparitions, ainsi que dans un article d’opinion influent du Washington Post, il a plaidé en faveur d’une frappe de missiles américains sur Damas pour des raisons de sécurité nationale.

Dans chaque cas, Hadley a été présenté comme un expert objectif en matière de sécurité nationale – seul son rôle d’ancien conseiller en sécurité nationale a été révélé.

Cependant, l’étude médiatique méticuleusement documentée de la Public Accountability Initiative sur les experts pro-guerre qui avaient des liens non divulgués avec l’industrie de la défense l’a exposé comme n’étant pas du tout un « expert neutre » dans cette déclaration sommaire sur les multiples apparitions de Hadley à la télévision :

Dans chaque cas, l’auditoire de Hadley n’a pas été informé qu’il était directeur de Raytheon, le fabricant d’armes qui fabrique les missiles de croisière Tomahawk qui ont été largement cités comme une arme de choix dans une attaque potentielle contre la Syrie. Hadley touche une rémunération annuelle de 128 500 $ de la compagnie et préside son comité des affaires publiques. Il possède également 11 477 actions de Raytheon, qui se sont négociées à des prix records pendant le débat sur la Syrie (77,65 $ le 23 août, ce qui fait que la valeur totale de ses actions s’élève à 891 189 $). Malgré cet enjeu financier, Hadley a été présenté à son auditoire en tant qu’expert indépendant et expérimenté en matière de sécurité nationale.

Malheureusement, comme l’étude l’a confirmé à travers de multiples réseaux, un exemple comme Hadley est encore assez classique en termes « d’experts » majeurs faisant du lobbying « indépendant » pour la guerre sur la scène médiatique.

Raytheon, le fabricant du BGM-71 TOW (Hughes a été racheté par Raytheon en 1997), s’est beaucoup investi au cours du conflit syrien dès le début – son système de missiles TOW étant l’arme de choix que la CIA a distribuée aux « rebelles » pendant des années dans le cadre de l’opération «Timber Sycamore, et son missile de croisière Tomahawk étant l’arme utilisée lorsque le Président Trump a ordonné une frappe massive d’une seule nuit sur Damas en avril 2017 (environ 59 ont été lancés à un prix estimé à plus d’un million de dollars le missile).

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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