Le Burkina au bord de l’effondrement. La présence française en question
Par Bruno Jaffré
Blog de Bruno Jaffré, 2.12.21
Depuis plusieurs mois la situation se dégrade au Burkina Faso, les attaques se multiplient, la population manifeste sa colère contre le gouvernement et l’intervention française n’a jamais été aussi impopulaire.
Jamais depuis l’indépendance une crise au Burkina n’a été aussi grave. Le Burkina semble s’enfoncer dans une crise politico-militaire, sans qu’aucune perspective de dessine.
Dans un de nos précédents, articles récents (voir le dernier paragraphe à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/101021/enfin-le-proces-de-lassassinat-de-sankara-et-de-ses-compagnons), nous évoquions déjà l’électrochoc ressenti après l’attaque de la localité de la ville de Solhan, située à proximité d’un site d’orpaillage, qui avait fait 132 victimes, sans que l’armée n’ait été capable d’intervenir à temps, alors qu’un garnison n’était distante qu’à une quinzaine de kilomètres.
De nombreuses attaques se produisent très régulièrement laissant de nombreuses victimes. Il y a peu, les dits terroristes s’en prenaient aux civils, parfois aux religieux, avec pour objectif clair de faire fuir les personnels administratifs et les habitants, s’ils ne respectaient pas leur consigne. Les incursions menaçantes touchent de nouvelles régions plus au sud que le grand nord du Burkina. Les terroristes semblent se déplacer à leur gré dans de nombreuses régions, souvent par groupe de dizaines ou centaines de motos. Ils se promettent même de revenir s’ils ne sont pas entendus, donnant l’impression. L’armée parait dépassée et manquant de renseignements.
L’audio ci-dessous, datant de quelques jours illustrant le désarroi de la population. Elle provient du Nayala, une province située à environ 150 km à l’ouest de Ouagadougou, à peine plus au nord, est révélatrice de la progression de leur avancée vers le sud.
La population n’en peut plus. Si Ouagadougou semble vivre dans une certain insouciance, de nombreuses villes voient affluer des déplacés venir se réfugier fuyant l’insécurité. Depuis déjà plusieurs mois, de nombreuses manifestations se déroulent dans les grandes villes du nord et de l’est, les plus touchées par les attaques. Elles dénoncent très clairement l’incompétence du gouvernement et l’incapacité de l’armée. Souvent à l’origine de coalitions locales qui encadraient les manifestations, d’autres fois, avec un certain décalage à l’appel de l’opposition politique dirigée par le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti de Blaise Compaoré). La guerre frappe souvent aux portes de ces villes qui accueillent dans un élan de solidarité sans faille, des dizaines de milliers de déplacés.
Inata, l’attaque de trop.
L’attaque d’Inata, le 14 novembre dernier fait l’effet d’un électrochoc. Bilan, 57 tués dont 53 gendarmes, après un assaut de dizaines de motos accompagnées de pickup munis de mitrailleuses, attribué au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaeda, dans cette localité du nord du pays. 113 gendarmes et 5 civils étaient présents dans le camp. Un carnage doublé d’une grave défaite militaire. Le même jour une autre garnison à Kelto était attaquée mais selon un communiqué officiel de l’armée, les FDS et les VDP ont pu la repousser. Et le 21 novembre, une l’attaque d’un détachement de gendarmerie à Foubé, dans la province du Sanmatenga, tuant une dizaine de civils et neuf gendarmes.
Une défaite militaire écrasante ! Chacune de ces défaites est ressentie comme une humiliation pour ce pays, hier encore fier de son insurrection de 2014, qui a chassé Blaise Compaoré et de la victoire contre le putsch de 2015, organisé par le général Diendéré actuellement jugé pour l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons. Sept ans après, le Burkina est méconnaissable.
On lisait encore régulièrement il y a peu, sur Facebook des sarcasmes de Burkinabè à l’encontre des militaires d’autres pays, notamment au Mali, qui a entamé des négociations avec les russes de la milice Wagner pour affronter les terroristes.
Et la colère grandit au fur et à mesure que les informations sur ce dernier drame se précisent. Dramatiques et révoltantes s’il en est ! Lefaso.net, média numérique de référence, fait rarissime, est sorti de sa neutralité le 23 novembre. On peut lire dans un éditorial intitulé Inata la grande honte de la muette, (voir https://lefaso.net/spip.php?article109233) des extraits d’un message radio, daté du 12 novembre, issu de la garnison se plaignant « d’une rupture totale de provision alimentaire » obligeant les soldats à abattre les animaux alentours pour se nourrir et ce depuis 2 semaines. Et plus loin un groupe de gendarmes « qui se présente comme les « gendarmes de la mission Dablo/Foubé » révèlent qu’ « avant le mois de mars 2021, tous ceux qui ont effectué des missions dans ces deux zones n’ont reçu que la moitié des primes. Aucune prise en charge sanitaire ». « Pourquoi ? » exclame le groupe qui dit n’avoir eu que des promesses de la part de ses supérieurs qui sont responsables de ces coupures ». Les gendarmes étaient donc abandonnés à eux-mêmes sans nourriture depuis près de 2 semaines !
Nouvelles promesses du président Roch Marc Christian Kaboré.
Une première réaction du président intervient d’abord le 17 novembre sous forme de condoléances. Et après un très long silence gouvernemental, la réponse aux manifestations qui se multiplient dans le pays intervient dans un discours le 25 novembre à 23h30 ! Il annonce le lancement d’une enquête administrative suivie de sanctions et de poursuites judiciaires, des changements dans la hiérarchie militaire, l’envoi sur le terrain des chefs militaires souvent accusés dans les réseaux sociaux de rester en sécurité à Ouagadougou, une équipe gouvernementale resserrée. Mais aussi ce qui est nouveau, et très attendu, une opération mains propres pour vider tous les dossiers pendants de corruption pour « mettre fin aux dysfonctionnements inacceptables qui sapent le moral de nos troupes combattantes et entravent leur efficacité dans la lutte contre les groupes armés terroristes ».
Quelle crédibilité accordée à ces déclarations ?
Alors que de nombreux partis ont rejoint la majorité présidentielle après les élections, le Chef de l’État apparait bien seul pour affronter la crise, bien faible même si tant est qu’il ait vraiment la volonté politique d’affronter les problèmes qui assaillent le pays. Même le MPP (Mouvement du Peuple pour le progrès), ce méga part, issu juste à temps d’une scission du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti de Blaise Compaoré, ayant obtenu la majorité absolue lors des précédentes élections, semble aphone devant la gravité des évènements. Il s’est contenté d’appeler à « fédérer des énergies contre le terrorisme ». Seul est monté au créneau l’UNIR MPS (Union pour la renaissance, Mouvement patriotique sankariste), appartenant à la majorité présidentielle. Son président, Me Bénéwendé Sankara[i], a proposé lors d’une conférence de presse, des changements dans l’armée, et la mise en place de l’état d’urgence et l’état de siège».
Pourtant la majorité présidentielle est écrasante après le ralliement de nombreux partis au lendemain des dernières élections. Leurs militants sont surtout formés pour organiser les élections mais s’avèrent incapables d’affronter cette grave crise politique et de se mobiliser pour défendre la politique gouvernementale. Par contre les journaux sont envahis de déclarations ou compte rendus de conférences de presse, de petites organisations sans envergure, affirmant leur soutien ou demandant la démission du Président.
Déjà lors des nombreuses grèves des années 2016 et 2017 à l'appel des syndicats demandant des augmentations de salaire, des voix s’exprimaient dans le pays dénonçant la faiblesse du gouvernement qui satisfaisait les revendications alors que la guerre s’amplifiait.
En réalité, La corruption et les dysfonctionnements de l’armée sont dénoncés depuis de nombreuses années sans que le gouvernement n’ait engagé d’action pour y remédier.
Des officiers corrompus, des moyens aériens déficients.
Les FDS (forces de défense et de sécurité) qui affrontent les terroristes subissent de très graves revers, suivis parfois de quelques communiqués de victoire annonçant la mise hors d’état de nuire de dizaines de terroristes. Malheureusement le doute s’est installé depuis que par le passé, de simples civils se trouvaient assez facilement qualifiés de terroristes. Des organisations de la société civile, comme le MBDHP (Mouvement burkinabè des droits humains) dénoncent régulièrement les exactions des militaires.
La population qui ne ménage pas ses déclarations de soutien aux FDS ne cesse de déplorer les pertes militaires et civiles. Elle découvre avec stupeur mêlée d’une colère grandissante les très graves dysfonctionnements de l’armée.
A Inata les gendarmes n’étaient plus approvisionnés en nourriture depuis plus de deux semaines, faute d’indisponibilité d’un hélicoptère. Et ils abattaient les animaux alentours, ce qui n’est pas la meilleure façon d’acquérir la sympathie et la collaboration des habitants. Et ils s’apprêtaient même à quitter leur position faute de réponse de la hiérarchie, demandant sans succès que l’évacuation se fasse par hélicoptère. Mais ce n’est pas tout. La relève devait être assurée depuis début novembre. (Voir https://www.jeuneafrique.com/1268390/politique/burkina-faso-problemes-de-ravitaillement-absence-de-releve-ce-que-lon-sait-de-lattaque-dinata/). C’est un cantonnement isolé et abandonné par sa hiérarchie qui a été massacré. La moite environ des gendarmes ont été tués, on ne sait pas ce que sont devenus les autres, s’ils ont été blessés, évacués ou enlevés.
Ra-Sablga Seydou Ouedraogo[ii], directeur de l’institut de recherche indépendant Free Afrik, était interrogé sur 3TV le 25 novembre (voir https://www.facebook.com/latele3tv/videos/4006064206161720 ). Dès janvier 2017, a-t-il déclaré, l’institut Free Afrik a publié un rapport intitulé « Burkina Faso 2016/2017 : s’éloigner du précipice ; engager le renouveau » dans laquelle les dysfonctionnements actuels étaient déjà signalés, et notamment la corruption des officiers. : « Rien n’a été fait depuis» a-t-il lancé avec colère. Les militaires au front ne touchent plus leurs primes depuis plusieurs mois, une information reprise dans la presse.
Par ailleurs, Il a fustigé les députés de l’actuelle assemblée nationale dont beaucoup se sont fait élire pour bénéficier de l’immunité parlementaire. On trouvera ci-dessous la vidéo de l'interview de Ra-Sablga Seydou Ouedraogo à 3TV
Concernant les moyens aériens de l’armée, questionné lors du débat à l’assemblée nationale, le ministre de la défense le général Aimé Barthélémy Simporé a déclaré « Vous avez parlé des capacités aériennes, nous les renforçons. Bientôt, d’ailleurs, nous allons vous présenter de nouvelles acquisitions en matière d’outils aériens ». Ce débat a permis de rendre public les chiffres prouvant l’accroissement des moyens mis à la disposition de la défense. Ainsi, le portefeuille de la défense et de la sécurité est passé de 157 ,97 milliards de FCFA en 2016 à 428, 32 milliards de FCFA en 2021 !
Récemment, des communiqués de l’armée rapportaient les différentes sorties aériennes pour soutenir l’armée ou le retour des civils dans leurs villages. Pourtant lors de l’attaque de Sohlan, le ministre de la sécurité questionné sur l’absence d’hélicoptère avait déclaré « L’hélicoptère ne vole pas à toute heure. Il faut un certain équipement pour pouvoir voler de nuit » (voir http://touteinfo.com/spip.php?article3550). Plus grave, un bruit récurant, dont j’ai fait vérifier la véracité par deux sources sérieuses, court selon lequel des hélicoptères achetés par l’armée ne sont pas opérationnels. Ce serait l’œuvre de circuits mafieux d’achat d’armes que dénoncent M Ra-Sablga Seydou Ouedraogo dans sa vidéo. D’ailleurs 48 heures après l’attaque d’Inata, des troupes d’élite de la gendarmerie ont pu reprendre le contrôle de cette position. Mais c’est un Transall C-160 de l’armée française qui les a transportés avec leur matériel d’abord à Djibo, la ville la plus proche, puis un hélicoptère français a ensuite fait la navette à partir de Djibo pour les transporter sur place. (Source : https://www.wakatsera.com/attaques-terroristes-les-burkinabe-reprennent-le-controle-dinata )
Un convoi militaire français bloqué à Kaya
Kaya est une ville située à centaine de kilomètres au nord-est de Ouagadougou qui accueille des milliers de déplacés. Elle est située sur la route du nord qu’empruntaient jusqu’ici très régulièrement les importants convois militaires composés de plusieurs dizaines d’engins espacés parfois plusieurs kilomètres jusqu’ici sans incident.
Les incidents ont en réalité commencé quelques jours avant à Bobo Dioulasso, la seconde ville du pays. Des activistes du COPA/NF (Coalition des patriotes du Burkina Faso), peu connus avaient annoncé lors d’une conférence de presse en juin 2021 vouloir organiser une manifestation pour demander le départ des troupes françaises. Pour assurer le succès de leur manifestation, ils invitent Kemi Seba[iii] à Bobo Dioulasso. Celui-ci est finalement expulsé avant de rejoindre Bobo Dioulasso. Quelques centaines de manifestants se réunissent cependant, rapidement dispersés par les forces de l’ordre à l’appel du COPA BF mais aussi du Mouvement panafricain de rejet du Franc CFA et d’Urgences panafricanistes de Kemi Seba (voir https://lefaso.net/spip.php?article108663).
Des manifestations et tentatives de blocage, rassemblant plusieurs centaines de jeunes, rapidement dispersés ont émaillé le passage du convoi militaire à Bobo Dioulasso le 16 novembre, à Ouagadougou le 17 novembre.
Mais c’est une manifestation d’une toute autre ampleur qui va se dérouler à Kaya à partir du 18 novembre. Les échos de ces précédentes tentatives de blocage, des appels à la radio local, ont rapidement fait sortir des centaines puis des milliers de personnes après que les organisateurs sur place, mal identifiés, aient fait le tour des différents établissements scolaire de la localité pour ramener des renforts. Les appels à manifester vont jusqu’à raconter que ce convoi, à destination de Gao, contient des armes à destination des « djihadistes » !
Alors que partout dans le pays les manifestations fustigent le gouvernement et ses insuffisances exigeant souvent la démission de président Roch Marc Christian Kaboré, à Kaya seule l‘armée française est visée.
Cette fois le convoi est bloqué et bien bloqué. Les réseaux sociaux sont envahis de messages de soutien. Plusieurs leaders d’opinion tentent vainement d’expliquer que si ce convoi est là, c’est qu’il existe des accords entre le gouvernement et l’armée française et qu’il convient plutôt de s’adresser au gouvernement. Un communiqué du Balai citoyen publié le 20 novembre (voir https://lebalaicitoyen.fr/declaration-publique-du-balai-citoyen-sur-la-situation-securitaire-nationale/), silencieux sur ces évènements remet les responsabilités gouvernementales au premier plan.
Tout ce que compte de notables, autorités politiques, chefs traditionnels, chefs religieux, tentent de négocier pour que le convoi puisse repartir, sans succès. Les FDS burkinabé tentent de maintenir la foule avec beaucoup de retenue Des vidéos ont montré des jeunes ayant réussi à ouvrir un container et vider quelques caisses à la recherche d’armes. Deux des camions appartenant à l’armée burkinabé, remplis de nourriture à destination des garnisons du nord furent finalement autorisés à passer. Une militaire française va tirer occasionnant plusieurs blessés comme le rapporte un reportage de la journaliste Agnès Faivre dans Libération[iv]. Elle a pu interroger plusieurs manifestants rapporte l’état d’esprit des manifestants. «Pendant que les attaques s'amplifient chez nous, on voit passer ces convois, tous les trois ou quatre mois. Si nos soldats avaient eu l'armement des Français à Inata, ils auraient pu combattre, complète Abdoulaye Ouedraogo, étudiant de 27 ans et secrétaire de l'association des élèves et étudiants de Kaya. Et puis nos soldats tombent. Leurs convois sont visés par des engins explosifs. Les Français passent sur les mêmes axes, mais on n'a jamais appris qu'un convoi français a été attaqué.» Et l'homme de s'interroger sur les «armes puissantes» des djihadistes. «Qui leur donne ?» On demande : dans quel but la France les armerait-elle ? «Nous, ce qu'on sait, c'est que la France n'a pas d'amis. Elle n'a que des intérêts», balaie calmement Ouedraogo. »
En réalité, les explications manquent sur les revers de l’armée à cause d’une communication déficiente. Secret défense ? La colère, et le désarroi laissent la population à la merci d’activistes peu scrupuleux qui diffusent des informations mensongères. Par exemple le Balai citoyen a dû diffuser un communiqué démentant être à l’origine de collectes pour soutenir les manifestants. Ce n’est pas nouveau. A chaque nouvelle attaque d’envergure, les Burkinabè se demandent, avec tous ces satellites, les réseaux de renseignements occidentaux, ne sont-ils pas informés ? Pourquoi ne préviennent-ils pas nos soldats ? Ce déficit de communication sur les accords entre l’armée française et les FDS burkinabè laissent la place à toute sorte de supputation. Au Burkina, selon nos informations, l’armée française n’intervient que lorsque les autorités burkinabè la sollicitent. La coopération est-elle efficace ? N’y a-t-il pas de la part du Burkina une volonté d’indépendance ? Autant de question sans réponse.
Pour éviter de nouvelles manifestations, et éviter la communication entre les manifestants le gouvernement va bloquer l’internet mobile rajoutant un motif supplémentaire de mécontentement.
Le convoi va rester bloqué 6 jours avant de pouvoir reprendre la route vers le Niger, où il se trouvera de nouveau confronté à des manifestants dans la localité de Tera. Deux manifestants vont perdre la vie, après des tirs de l’armée française pour dégager la voie, tandis que 18 sont blessés dont 11 gravement selon un communiqué de l’armée nigérienne (voir https://www.france24.com/fr/afrique/20211129-niger-le-convoi-de-la-mission-barkhane-enfin-arriv%C3%A9-%C3%A0-gao-apr%C3%A8s-de-nombreux-heurts).
Nouvelles Manifestations antigouvernementales
De nouveau les attaques d’Inata et de Kelto ont fait descendre dans la rue des milliers de manifestants exprimant leur colère contre le gouvernement, avec parfois même des appels à un coup d’État. Ce qui est nouveau ce sont les appels nombreux et récurrents partout lors des manifestations à la démission du Président. Un véritable ras le bol s’est emparé des Burkinabè. Si le blocage de Kaya a entrainé un véritable engouement parmi la jeunesse, de nombreuses voix moins juvéniles appellent a plus de retenu, expliquant qu’un coup d’État ne ferait qu’aggraver la situation, notamment le maire très respecté de Dori, la grande ville du nord.
Une coalition dite du 27 novembre[v] appelaient depuis plusieurs jours à manifester ce samedi 27 novembre. De nombreuses échauffourées ont éclatées à Ouagadougou, avec notamment des dégradations d’immeubles publics. Le nombre de manifestants est resté modeste au vu des photos publiées, dans la presse. Il est vrai que la manifestation étant interdite et les forces de l’ordre ont dispersé toute tentative de rassemblement. La presse a raillé les leaders ayant convoqué cette manifestation, pour leur absence sur les lieux. ON a vu certains manifestants demander aussi la libération de Gilbert Diendéré, actuellement jugé pour sa participation à l'assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons.
Quant au CFOP (Chef de file de l’opposition) il a lancé un ultimatum au gouvernement pour le 9 décembre : « « Si dans un délai d’un mois, rien de sérieux et de concret n’est entrepris pour maîtriser la situation sécuritaire, l’Opposition politique, en concertation avec des organisations soucieuses de l’avenir de la Nation, appellera à des manifestations fortes pour exiger purement et simplement la démission immédiate du chef de l’État et de son gouvernement » ( voir https://lepays.bf/ultimatum-lance-par-le-cfop-au-chef-de-letat/). Selon maitre Guy Hervé Kam, le CDP de Eddie Komboïgo, n’aurait guère le rayonnement suffisant pour drainer des foules derrière lui.
Le pouvoir à bout de souffle, les potentialités internes existent encore pour éviter le pire.
Les jours qui viennent seront déterminants. La réaction risque d’être vive si le président ne respecte pas ces dernières promesses. Mais la situation n’a rien à voir avec celle ayant précédé la fuite de Blaise Compaoré. Il n’y a pas de leaders capables de canaliser la jeunesse, alors qu’à l’époque les Sams’K Le Jah ou Smockey, alors respectés et écoutés comme leaders à la tête du Balai citoyen avaient de l’autorité, réussissant à limiter la violence. Et les manifestations de rue massive étaient parfaitement encadrées. Par ailleurs l’opposition qui alors parlait d’une seule voix paraissait en mesure d’assumer le pouvoir. Même si ce sont finalement les leaders de la société civile, hors du Balai citoyen d’ailleurs qui ont essentiellement œuvré à la mise en place de la Transition, alors que les partis semblaient laisser les choses se faire… avant de rejoindre le processus enclenché.
Comme nous l’avons dit la Burkina est fier de son histoire. Il regorge de personnalités compétentes et intègres aptes à affronter les problèmes d’aujourd’hui. Certes la compétition est vive dans les excès verbaux sans état d’âme sur les véracités des informations diffusées, entre des aspirants leaders souvent plus jeunes, amplifiée par les résonances dans les réseaux sociaux. Mais l’expression d’une prise de conscience des propres responsabilités des Burkinabè semble gagner du terrain. Et pas seulement celle des dirigeants, qui ont laissé le pays sombrer petit à petit perdant toute la rigueur morale dont le pays était fier par la passé, mais aussi celle de l'ensemble des Burkinabè. C’est en se ressourçant auprès de ses potentialités que ce pays pourra éventuellement sortir de cette grave crise inégalée jusqu’ici. Mais rien n’est possible sans une lutte implacable contre la corruption, ce qu’avait entrepris rapidement Thomas Sankara et qui avait entrainé cette immense popularité.
La présence française en question.
Les blocages qui ont gravement perturbé le convoi de l’armée française en route pour Gao ont démontré une impopularité importante jamais égalée jusqu’ici. Même si ce convoi a représenté un exutoire à l’explosion de colère des populations après l’attaque d’Inata, la désinformation affirmant que les armes étaient destiné aux terroristes, ne peut à elle seule expliquer le développement de cette colère, qui, nous l’avons vu a bien d’autres motifs. A ce propos, une meilleure communication conjointe entre les militaires et dirigeants politiques des deux pays, plus transparente, expliquant la réalité de la collaboration entre les militaires locaux et les français parait nécessaire.
Les réflexions critiques sur l’échec de politique française se sont multipliées aussi en France.
Cité par Médiapart, Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), explique (voir https://www.mediapart.fr/journal/international/291121/barkhane-le-crepuscule-de-la-force ) : « Dictée par des considérations humanitaires – la France craignait des exactions des soldats maliens contre les Touaregs – mais surtout stratégiques – le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui contrôlait Kidal, était un allié de la France dans la traque aux djihadistes –, cette décision a très vite retourné l’opinion contre l’opération Serval. Elle est aujourd’hui utilisée comme un argument pour dénoncer le « double jeu » de la France au Mali ».
Et le Burkina Faso de Blaise Compaoré, très proche de la France, n’était pas en reste. En mars 2018, nous écrivions : « C’est encore un hélicoptère burkinabè qui viendra sauver in extrémis les chefs du MNLA, qui avaient aussi les faveurs de la France, en déroute le 26 juin 2012 », et la protection dont avait bénéficié Iyad Ag Ali à Ouagadougou (voir (voir https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/060318/de-nombreuses-questions-apres-la-rude-attaque-terroriste-ouagadougou).
Aujourd’hui ad Ag Ali est en quelque sorte devenu l’ennemi public numéro. Reste qu’il apparait difficile aujourd’hui pour le gouvernement français de ne pas repenser sérieusement sa stratégie. Car chaque convoi risque dorénavant d’être perturbé. Coincée entre sa volonté de défendre sa place de grande puissance dans la lutte contre le terrorisme, les difficultés des régimes en place, peu mobilisés par les problèmes sociaux des populations éloignées de la capitale, et leurs armées affaiblies par de graves dysfonctionnements internes, la France n’a guère de véritable marge de manœuvre.
Se retirer en ordre ? Ce serait reconnaitre sa défaite. Renégocier avec les gouvernements ses interventions ? Est-il encore possible d’éviter un retrait ? Gardons nous de nous poser en donneur de leçon, tant les questions sont complexes, mais nous souhaitons par cet écrit alerter et exprimer notre forte inquiétude.
Mais on reste en droit de se poser la question : y a-t-il eu un acte terroriste en France ou en Europe commis à la suite d’un ordre donné depuis le Sahel ? Sans se détourner du drame qui se joue au Sahel, n’est-il pas temps de réfléchir à des nouvelles formes de solidarité à négocier avec les gouvernements en place ?
Bruno Jaffré
[i] Me Bénéwendé a exprimé de nouvelles ambitions à l’issue de son récent congrès, affirmant : « l’objectif ultime c'est de conquérir le pouvoir d'Etat ». L’UNIR MPS est issu d’un congrès de réunification, de plusieurs organisations, partis et associations. Dont surtout l’ancien MPS (Mouvement patriotique pour la salut), dirigé par Augustin Lada, ancien chercheur et ancienne figure de la société civile, dont le président d’honneur n’était autre que le général Zida, ancien officier supérieur du RSP (Régiment de sécurité présidentielle) de Blaise Compaoré, qui fut le premier ministre de la transition.
[ii]C’est une des personnalités les plus en vue de la société civile, grâce à son intégrité, son engagement, ses qualités pédagogiques et ses compétences. Il multiplie les conférences dans son institut. Nous en avons déjà parlé dans notre blog. Il a joué un rôle important lors de la mise en place de la transition en 2014. (Voir Bruno Jaffré L‘insurrection inachevée, Burkina Faso 2014, Syllepse, octobre 2019, 316 p). Son portrait y figure ainsi que de nombreux autres de personnalités du pays.
[iii] Kemi Seba a d’abord côtoyé en France Alain Soral, proche des idées d’extrême droite plusieurs fois condamnés pour racisme. A son tour Condamné pour violence en France, il s’est installé en Afrique, d’abord au Sénégal puis eu Bénin. Polémiste, suprématiste noir, comme le surnomme les médias français, ses excès de langage relayés par une communication importante sur les réseaux sociaux l’ont rendu populaire en Afrique, notamment après son engagement contre le FCFA et maintenant contre la présence française en Afrique.
[iv] Voir le reportage à https://www.liberation.fr/international/afrique/convoi-de-barkhane-bloque-au-burkina-faso-la-france-na-pas-damis-que-des-interets-20211125_7IVQIC7S7BFGNEAYEXA2RN5Y74/ .
[v] Deux des personnalités à l’origine de la manifestation, Hervé Ouattara et Michel Tankoano se sont fait connaitre lors de l’insurrection et de la transition. Le premier a depuis un itinéraire sinueux, proche du MPP durant l’insurrection, il deviendra le responsable de la jeunesse du MPS, le parti qui a rejoint la coalition UNIR MPS) tout en se rapprochant de Kemi Seba.
Lire aussi :
- Rapport de l'IRSEM de novembre 2018. Comment l'armée française considère le blog de SLT et ...les autres