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La Syrie impose l’accord d’Astana par la force alors que la tension monte entre la Turquie et la Russie (Elijah J. Magnier)

par Elijah J. Magnier 15 Février 2020, 13:00 Astana Idlib Syrie Armée syrienne Armée turque Confrontation Turquie Russie

Depuis 2012, la route M5 reliant Damas à Alep était sous le contrôle des forces djihadistes. L’armée syrienne vient maintenant de la libérer, tout comme plus de 140 villes, villages et hauteurs stratégiques. La Turquie et les Ouzbeks, Ouïgours et combattants de Hayat Tahrir al-Sham (l’ancien front al-Nosra) n’ont pu tenir leurs positions fortifiées, qu’ils ont abandonnées en se repliant dans la zone qui entoure Idlib.

Pour première fois, l’armée turque a essuyé des tirs d’artillerie de l’armée syrienne. Cinq officiers turcs ont été tués à l’aéroport militaire de Taftanaz, une base utilisée par la Turquie et ses alliés djihadistes. Ankara a été forcé de déployer sa propre armée sur le champ de bataille pour compenser la faiblesse de ses alliés djihadistes sur le terrain.

 

Libérer les 432 km de la route M5 des djihadistes était une obligation précisée dans l’accord d’Astana signé en octobre 2018, que la Turquie n’a pas honorée jusqu’ici. Le gouvernement syrien a fait trois avancées majeures vers la route M5 depuis, mais cette fois-ci, la décision de la récupérer était définitive. Il s’agit là d’un message de la Syrie et de la Russie au président Erdogan pour l’informer que le temps commence à manquer à Idlib. Le bras de fer entre la Turquie et la Russie dépasse aussi la frontière syrienne, comme on peut le voir en Ukraine et en Libye, où la Turquie cherche à jouer un rôle majeur.

Les Russes fournissent du matériel militaire perfectionné et des dizaines de T-90 à l’armée syrienne, qui l’aident à poursuivre ses offensives militaires la nuit. Cette assistance, de pair avec les centaines de frappes aériennes par l’armée de l’air russe, a permis de libérer tout le secteur à l’est de la route et bien d’autres secteurs du côté ouest, où l’opération militaire se poursuit. De plus, la Russie a fourni des renseignements militaires et du soutien à la planification sans précédent à l’armée syrienne pour assurer le succès des opérations, en plus de bombarder les lignes de front des djihadistes ainsi que leurs arrières.

 

Ce qui a causé toute une surprise, c’est la découverte de tunnels s’étendant sur des kilomètres où se trouvaient des hôpitaux de campagne, des munitions et du matériel de survie permettant de tenir un très long siège dans toutes les zones libérées des deux côtés de la route M5 et dans les principales villes comme Saraqeb et El-Eiss. Ces tunnels étaient reliés ensemble et liaient des villages par voie souterraine. Certains tunnels faisaient 20 mètres de profondeur, ce qui suffisait à les protéger des bombardements aériens. Les djihadistes se sont empressés d’abandonner toutes leurs positions en laissant tout derrière.

La tactique de l’armée syrienne des dernières années consiste à laisser une voie ouverte pour laisser le temps aux djihadistes de s’y replier avant de la fermer. Depuis la libération d’Alep, l’armée syrienne évite d’encercler les villes en raison de la propagande dont bénéficient les djihadistes de la part des médias institutionnels et des interventionnistes étrangers qui ne veulent pas que la Syrie se relève et s’unifie. C’est ce qui explique pourquoi des routes sont toujours laissées ouvertes pour que les djihadistes s’y replient avant tout assaut final.

La Turquie est incapable de protéger ses alliés djihadistes et ne peut leur offrir un soutien aérien. La Russie contrôle l’espace aérien syrien et Damas a averti la Turquie qu’il abattrait tout avion turc violant son espace aérien.

 

La libération récente de Maarrat al-Nu’man, Saraqeb, Tel el-Eiss et Rashedeen4 marque un nouveau virage stratégique dans la guerre syrienne. Cela indique que la Turquie aura de la difficulté à protéger ses djihadistes à long terme. La stabilité de la Syrie exige la libération de l’ensemble de son territoire. La stabilité de la Syrie est dans l’intérêt de la Russie et de ses objectifs de sécurité nationale. La Russie est allée au Levant pour mettre fin à la guerre. Sa crédibilité est en jeu. Elle y possède une base navale importante lui offrant un accès unique à la Méditerranée. C’est également dans l’intérêt de la Russie d’éliminer al-Qaeda et tous les groupes qui adhèrent à son idéologie takfirie, quels que soient leurs noms et leurs priorités divergentes. Les djihadistes ouzbeks et ouïgours n’ont nulle part où aller et devraient combattre jusqu’au dernier homme.

La Turquie montre les dents à la Russie en refusant de reconnaître la souveraineté russe en Crimée et en offrant à l’Ukraine 33 milliards de dollars pour soutenir son armée. La Turquie cherche à jouer un rôle plus efficace et reconnu en Libye, où le gouvernement central demande officiellement le soutien d’Ankara. La situation en Syrie est cependant différente. La Turquie sait que sa présence en Syrie ne peut durer bien longtemps et que la libération d’Idlib, même si elle n’est pas encore au programme, ne saurait tarder. Ce n’est qu’une question de temps.

Les forces d’occupation américaines se sont mises elles-mêmes au pied du mur dans une zone limitée au nord-est de la Syrie, où elles peuvent voler le pétrole syrien, comme l’a déclaré le président Donald Trump. Cette présence limitée des USA n’est pas une priorité pour l’armée syrienne. Idlib sera libéré en premier lieu, puis Afrin. Voilà pourquoi la Turquie tente de renforcer et de stabiliser son influence en Syrie. Quatre réunions ont eu lieu entre des officiers du renseignement syrien et leurs homologues turcs au plus haut niveau pour discuter de nouveaux accords. La Turquie veut modifier l’accord d’Adana de 1998 conclu avec la Syrie, qui régit la poursuite d’éléments du PKK par l’armée turque en territoire syrien.

La Russie et l’Iran jouent un rôle important pour apaiser les tensions entre la Turquie et la Syrie, mais l’essentiel demeure que la Turquie se retire de la Syrie.

La Turquie a acheté ses S-400 de la Russie et le gazoduc Turkstream a été officiellement inauguré le mois dernier afin de réduire les livraisons russes passant par l’Ukraine. Par ailleurs, la Turquie est également alliée de l’OTAN et une base militaire américaine importante se trouve à sa frontière. La Turquie aura du mal à maintenir un équilibre entre les deux superpuissances tout en protégeant ses djihadistes en Syrie. L’heure sera bientôt venue pour la Turquie de peser le mérite de ses options.

Elijah J. Magnier (à Alep)

 

Traduction de l’anglais : Daniel G.

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