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Un empire défaillant : la stratégie militaire russe et chinoise pour contenir les Etats-Unis (Strategic Culture Foundation)

par Federico Pieraccini 27 Septembre 2017, 10:03 Empire USA Effondrement Impérialisme Russie Chine Syrie Corée du Nord Géopolitique Articles de Sam La Touch

Un empire défaillant : la stratégie militaire russe et chinoise pour contenir les Etats-Unis
Par Federico Pieraccini*
Article originel : A Failing Empire: Russia and China's Military Strategy to Contain the US
Strategic Clture Foundation, 25.09.17


Traduction SLT, 27.09.17

Un empire défaillant : la stratégie militaire russe et chinoise pour contenir les Etats-Unis (Strategic Culture Foundation)

Si l'on observe le paysage politique mondial du mois dernier, deux tendances se dessinent. La tristement célèbre puissance militaire et économique dont dispose les Etats-Unis est en déclin, alors que dans le domaine multipolaire, une accélération s'est produite dans la création d'une série d'infrastructures, de mécanismes et de procédures visant à contenir et à limiter les effets négatifs du déclin du monde unipolaire des Etats-Unis. Cette série de trois articles se concentrera d'abord sur l'aspect militaire de ces changements en cours, puis sur l'économie en jeu, et enfin, comment et pourquoi les petits pays passent du camp unipolaire au champ multipolaire.

 

L'une des conséquences les plus tangibles du déclin de la puissance militaire étatsunienne peut être observée dans le conflit syrien. Au cours des dernières semaines, l'Armée arabe syrienne (AAS) et ses alliés ont achevé la libération historique et stratégique de Deir Ezzor, une ville assiégée depuis plus de cinq ans par les islamistes d'Al-Qaïda et de l'Etat islamique (EI). L'accent a maintenant été mis sur les champs pétrolifères situés au sud de la ville libérée, avec une hâte effrénée à la fois des forces démocratiques syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis et de l'AAS pour libérer des territoires encore détenus par l'EI. L'objectif final est de réclamer les ressources de la Syrie et de renforcer une position étatsunienne faible (les États-Unis ne font même pas partie des pourparlers de paix d'Astana) dans les négociations futures concernant l'avenir du pays. Pour comprendre à quel point le rêve étatsunien de balkaniser la Syrie échoue, il suffit de noter les échecs répétés des Etats-Unis, comme on l'a vu lors de la libération d'Alep puis de Deir Ezzor, et maintenant la traversée de l'Euphrate. Malgré les intimidations, les menaces et parfois même l'agression directe des Etatsuniens, l'armée syrienne a continué à travailler contre l'EI dans la province de Deir Ezzor, progressant sur des sites riches en pétrole. Grâce à la protection assurée par l'armée de l'air russe pendant le conflit, Damas a obtenu un parapluie protecteur nécessaire pour résister aux tentatives étatsuniennes de balkanisation du pays.

La confirmation supplémentaire de l'échec de la stratégie de Washington visant à diviser le pays en deux comme à la manière de ce qui s'est passé en Yougoslavie apparaît évidente à la lumière du réalignement stratégique des alliés les plus loyaux de Washington dans la région et au-delà. Au cours des dernières semaines, plusieurs rencontres ont eu lieu à Astana et à Moscou entre Poutine et Lavrov avec leurs homologues turcs, saoudiens et israéliens. Ces réunions ont permis de tracer les grandes lignes de l'avenir de la Syrie grâce aux lignes rouges de Moscou, en particulier en ce qui concerne la volonté d'Israël de poursuivre le changement de régime en Syrie et une attitude agressive envers l'Iran. Même les alliés les plus loyaux des Etats-Unis commencent à planifier un avenir en Syrie avec Assad en tant que président. Les alliés étatsuniens ont commencé à montrer un changement pragmatique vers une réconciliation avec les factions qui sont clairement en train de gagner la guerre et qui vont prendre les décisions à l'avenir. Les rêves et les désirs de longue date des cheikhs (Saudi-Qatar) et des sultans (Erdogan) de remodeler la Syrie et le Moyen-Orient à leur image sont révolus, et ils le savent. Les alliés de Washington ont été déçus, les États-Unis étant incapables de tenir leurs promesses de réaliser un changement de régime à Damas. Les conséquences pour les États-Unis ne font que commencer. Sans une posture militaire capable de plier ses adversaires et ses amis à sa volonté, les Etats-Unis devront commencer à faire face à une nouvelle réalité qui implique le compromis et la négociation, ce à quoi les Etats-Unis ne sont pas habitués.

 Un exemple de ce qui peut arriver si Washington décide d'aller contre un ancien ami peut être vu avec la crise du Golfe impliquant le Qatar. Depuis le début de l'agression contre la Syrie, le petit émirat est au centre des complots et des stratagèmes visant à armer et financer les djihadistes au Moyen-Orient et en Syrie. Cinq ans plus tard, après des milliards de dollars dépensés et aucune avancée significative en Syrie, le Conseil de coopération du Golfe, comme on pouvait s' y attendre, s'est plongé dans une lutte fratricide entre le Qatar et d'autres pays comme l'Arabie Saoudite, le Koweït, les Emirats Arabes Unis et l'Egypte. Ces derniers accusent Doha de financer le terrorisme, une vérité indéniable. Mais ils omettent de reconnaître leurs propres liens avec les djihadistes (l'Egypte dans ce cadre est exclue, combattant continuellement les terroristes inspirés par les Frères musulmans du Sinaï), démontrant une hypocrisie avec laquelle seuls les médias grand public peuvent rivaliser.

Les conséquences des actions du Riyad contre Doha, soutenues par une grande partie de l'establishment étatsunien, semblent, près de six mois plus tard, avoir finalement poussé le Qatar et l'Iran ensemble, en rouvrant les liens diplomatiques. Il s'agit de deux pays qui, depuis des années, sont opposés à de nombreux conflits au Moyen-Orient, reflétant les contrastes et les divisions dictés par les positions respectives de Téhéran et de Riyad. Cela ne semble plus être le cas, Doha et Téhéran s'approchant de plus en plus et contournant les sanctions et les blocus, surmontant les difficultés communes. Ce changement ne peut être décrit que comme un échec stratégique de Riyad.

Si l'on regarde six ans en arrière, une des raisons de l'éclatement du conflit en Syrie est liée au fameux pipeline que l'Iran avait l'intention de construire pour relier l'Irak à la Syrie. De façon incroyable, la fin du conflit verra l'émergence d'une nouvelle ligne de transport entre des pays qui, depuis des années, ont des objectifs stratégiques contradictoires et divergents. L'Iran et le Qatar sont actuellement engagés dans des accords commerciaux, et les rumeurs disent qu'un effort conjoint pour construire un nouveau pipeline qui devrait traverser l'Irak et la Syrie, pour se terminer en Méditerranée, est en cours d'élaboration. L'idée est d'exploiter conjointement le plus grand gisement gazier du monde et de devenir ainsi un nouveau fournisseur pour une Europe qui cherche à diversifier ses importations énergétiques. Riyad et Washington devront assumer l'entière responsabilité de cet échec épique.

Israël est un signe clair de la rapidité avec laquelle les choses changent dans la région et au-delà. Même l'État juif a dû abandonner tout rêve d'expansion territoriale en Syrie, malgré plusieurs tentatives de Netanyahu pour persuader Poutine du danger existentiel qu'Israël court avec la présence de l'Iran en Syrie. Un Poutine intelligent et pragmatique est capable de faire savoir à Israël que toute demande d'imposer des conditions à la Russie ou à ses alliés en Syrie sera fermement refusée. Mais en même temps, Moscou et Tel-Aviv continueront à entretenir de bonnes relations entre eux. Les personnalités politiques russes sont trop clairvoyantes pour jouer à un double jeu avec leurs alliés de longue date en Syrie ou pour sous-estimer la capacité d'Israël à perturber la région et à la plonger dans le chaos. De plus, Assad a invité la Russie en Syrie ainsi que l'Iran et le Hezbollah. Même si Poutine était prêt à aider Netanyahu, ce qui est douteux, le droit international l'interdit. Si quelque chose est clair, c'est que Moscou respecte le droit international comme peu de nations le font. Toutes les autres nations étrangères opérant en Syrie, ou survolant le ciel syrien, n'ont pas le droit d' y être, et encore moins d'imposer des décisions sur un territoire souverain.

Si l'objectif de Tel-Aviv avait été d'étendre la frontière illégale du Golan et de procéder à un changement de régime, la situation est en fait totalement différente six ans plus tard. L'Iran a étendu son influence en Syrie grâce à l'aide apportée à Damas dans la lutte contre le terrorisme. Le Hezbollah a accru son expérience et son arsenal de combat, ainsi que son réseau de contacts et de sympathisants à travers le Moyen-Orient. Le Hezbollah et l'Iran sont considérés comme des artisans de la paix au Moyen-Orient, jouant un rôle positif dans la lutte contre le fléau du terrorisme djihadiste ainsi que contre Israël et l'Arabie saoudite, des États qui ont essayé par tous les moyens d'aider les organisations terroristes avec des armes et de l'argent. Six ans plus tard, Washington, Riyad et Tel-Aviv se retrouvent dans un environnement totalement différent, avec des voisins hostiles, des amis moins coopératifs et, en général, un Moyen-Orient qui gravite de plus en plus autour des sphères d'influence iranienne et russe.

 Un autre indicateur du déclin militaire étatsunien est clairement visible sur la péninsule coréenne. La RPDC a obtenu une pleine capacité nucléaire grâce à un programme de développement qui n' a guère prêté attention aux menaces étatsuniennes, sud-coréennes et japonaises. L'impératif pour Pyongyang était de créer une force de dissuasion nucléaire capable de dissuader les décideurs politiques étatsuniens d'adopter un changement de régime en Corée du Nord. L'importance stratégique d'un changement de régime en RPDC s'inscrit dans la stratégie de confinement et d'encerclement de la République populaire de Chine, une doctrine ratée bien connue sous le nom de pivot asiatique.

Outre sa dissuasion nucléaire, les États-Unis ne sont pas en mesure d'attaquer la RPDC en raison de la dissuasion conventionnelle que Pyongyang a patiemment mise en place. Trump et ses généraux poursuivent la rhétorique du feu et des flammes, entraînant Séoul et Tokyo dans un dangereux jeu entre deux puissances nucléaires. Il n'est pas surprenant que les paroles de Trump inquiètent tout le monde dans la région, en particulier la République de Corée du Sud, qui paierait le prix le plus lourd si jamais la guerre éclatait. À la lumière de cette évaluation, il convient de souligner que l'option militaire est tout simplement impensable, Séoul et peut-être même Tokyo étant prêt à rompre avec son allié étatsunien en cas d'action unilatérale désastreuse contre Pyongyang.

Kim Jong-un, ainsi que Assad et d'autres dirigeants mondiaux sous la pression de Washington, ont pleinement compris et profité du déclin de la puissance militaire étatsunienne. Trump et son cercle rapproché de généraux sont pleins de menaces vides, incapables de changer le cours des événements dans différentes régions du monde, du Moyen-Orient à la péninsule coréenne. Que ce soit par l'action directe ou par procurations, les petits changements et les résultats demeurent les mêmes, ce qui démontre un échec continu des objectifs et des intentions.

La règle sous-jacente qui guide les décideurs politiques étatsniens est que si un pays ne peut pas être contrôlé, par exemple avec un régime de type saoudien qui ne sert que les intérêts étatsuniens au travers du pétrodollar, ce pays est inutile et devrait être détruit pour empêcher d'autres concurrents semblables d'élargir leurs liens avec ce pays. L'exemple libyen est encore frais dans les esprits. Heureusement pour le monde entier, la Russie est intervenue militairement et, à plus d'une occasion, elle a saboté ou dissuadé l'armée étatsunienne de prendre des mesures irréfléchies avec ses alliés (Ukraine, Syrie et RPDC).

En ce sens, la défaite d'Hillary Clinton, plus que la victoire de Trump, semble avoir insufflé un certain sens à cet empire en déclin, si l'on fait abstraction de la rhétorique forte et persistante. On ne peut qu'imaginer une présidence Clinton dans l'environnement actuel, avec sa course à toute allure vers un conflit avec la Russie en Ukraine et en Syrie ou une impasse nucléaire avec la RPDC en Asie.

Trump et ses généraux s'adaptent lentement à une nouvelle réalité où il est non seulement impossible de contrôler les pays, mais où il est de plus en plus difficile de les détruire. La vieille doctrine du chaos déchaîné sur le monde, qui veut émerger une fois que la poussière s'est dissipée pour devenir la puissance hégémonique du monde, semble aujourd'hui un lointain souvenir. Même la Syrie, malgré les destructions sans précédent qu'elle a subies, est sur la voie de la reconstruction et de la pacification.

La puissance militaire russe et l'économie chinoise auraient ainsi pu jouer un rôle inestimable dans la restriction de la machine de guerre étatsunienne. La RPDC a même fait un pas de plus en ce sens en mettant en place une formidable force de dissuasion nucléaire et conventionnelle, empêchant les États-Unis d'influencer les événements nationaux en provoquant la destruction et le chaos.

Bien que cette réalité soit difficile à accepter pour Washington, il doit finir par l'accepter. Après presque soixante-dix ans de chaos impérialiste et de destruction partout dans le monde, les amis et les ennemis des Etats-Unis commencent à réagir à cette situation. Washington se retrouve avec un président plein de déclarations tonitruantes et de fureur, mais une posture militaire crédible n'est plus qu'une chose du passé.

Les mécanismes financiers qui ont permis ces dépenses militaires aveugles reposent sur un lien intrinsèque entre le dollar, le pétrole et le rôle de la monnaie étatsunienne en tant que monnaie de réserve mondiale. La transition de l'ordre mondial d'une réalité unipolaire à un ordre multipolaire est profondément liée aux stratégies économiques et diplomatiques de la Russie et de la Chine. Le prochain article explorera le rôle de l'or, de l'investissement, de la diplomatie et du petroyuan, qui sont tous des facteurs décisifs qui ont accéléré la transformation et la division du pouvoir à l'échelle mondiale.

*Rédacteur indépendant spécialisé dans les affaires internationales, les conflits, la politique et les stratégies.

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