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La dissolution de l’Eurozone vue d’Italie

par Stephano Fassina 12 Août 2015, 04:36 UE Eurozone Italie Dissolution

La dissolution de l’Eurozone vue d’Italie

Yanis Varoufakis a posté le 27 juillet, sur son Blog, un article de Stefano Fassina, intitulé Pour une alliance des fronts de libération nationale. Il a « aimablement envoyé » son article à Yanis Varoufakis qui l’a publié en l’introduisant par ces mots : » Bien que la « désintégration contrôlée de l’eurozone » qu’il défend soit, j’en suis convaincu, grosse de grands dangers, c’est là un débat que les Européens ne peuvent pas esquiver ».

Il me semble également que cet article nous donne un peu de grain à moudre. [Monica M.]

Pour une alliance des fronts de libération nationale

Par Stefano Fassina

Le brûlant drame grec a une valeur politique générale. Avant toute considération politique, partons du texte du Sommet Européen tenu le 12 juillet. Il est impossible de nier le caractère insoutenable, dans une perspective économique et fiscale, des dispositions qui y ont été prises.

Quoi qu’il en soit des ajustements obtenus par la délégation grecque à Bruxelles, les mesures imposées sont brutalement restrictives, ainsi que régressives sur le plan social.

Les mesures de compensation macroéconomique risquent d’être inopérantes. Le financement prévu pour le troisième Bail Out est destiné à recapitaliser les banques et à payer les dettes à la BCE, au FMI et aux créanciers privés. Rien ne va au poste des dépenses, alors que la crédibilité de la Commission Européenne à mobiliser 35 milliards d’euros pour des investissements sur 3-5 ans, afin d’aider le gouvernement grec, doit être mise en regard avec son incapacité à trouver un minimum de ressources pour le « Plan Juncker ». Et finalement, l’accord pour restructurer la dette publique grecque ouvre une perspective qui n’aura pas, en tout état de cause, de réels effets avant 2023 — la fin de la période de grâce accordée par les États Européens en ce qui concerne leurs prêts respectifs.

Quelles leçons peut-on tirer de l’évolution de la Grèce? Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont l’indéniable mérite historique d’avoir soulevé le voile de la rhétorique et de l’objectivité technique européistes dont l’objectif est de dissimuler les forces à l’œuvre dans l’eurozone. Nous voyons maintenant la politique de pouvoir et le conflit social entre l’aristocratie financière et les classes moyennes: l’Allemagne, incapable d’hégémonie, domine l’eurozone et mène son ordre économique qui ne sert que son intérêt national et ceux de la grosse finance.

Il y a deux points à considérer ici. Le premier: le mercantilisme néo-libéral dicté par et centré sur Berlin est insoutenable, la dévalorisation du travail, comme voie alternative à la dévaluation de la monnaie nationale pour de réels ajustements, entraîne une insuffisance chronique de la demande globale, un taux de chômage constamment élevé, la déflation, et un bourgeonnement de la dette publique. Dans un tel cadre, au-delà des frontières des états-nations dominants, l’euro entraîne une perte de démocratie, et réduit la politique à une administration pour le compte de tiers et à un divertissement.

Peut-on revenir en arrière ? C’est le second point. Il est difficile de répondre oui. Malheureusement, les corrections qui seraient nécessaires pour rendre l’euro soutenable apparaissent impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques. Les opinions publiques nationales ont des points de vue opposés et des positions conflictuelles, encore plus éloignées les unes des autres du fait de l’agenda dominant depuis 2008 dans l’eurozone. Les vues et positions prévalant chez les Allemands sont un fait. Le peuple allemand mérite le respect comme tous les autres peuples. En Allemagne, comme partout, les principes démocratiques fonctionnent dans la seule dimension politique pertinente: l’état nation.

Les deux premiers points d’analyse conduisent à une vérité inconfortable: nous avons besoin de reconnaître que l’euro a été une erreur de perspective politique. Nous avons besoin d’admettre que dans la cage néolibérale de l’euro, la gauche perd sa fonction historique et meurt en tant que force dédiée à la dignité et à la valeur politique du travail et à la citoyenneté sociale comme seul vecteur de la vraie démocratie. Le manque de pertinence ou la connivence des partis de la famille socialiste est manifeste. Continuer à évoquer, comme ils le font, les États Unis d’Europe ou une réécriture des traités en faveur du travail est un exercice virtuel ne menant qu’à une perte croissante de crédibilité politique.

Qu’est-ce qui pourrait être fait? Nous sommes à un carrefour de l’histoire. D’un côté, un chemin de continuité attaché à l’euro, c’est à dire l’acceptation de la fin de la démocratie de la classe moyenne et des États providence : un mélange détonant de chômage et de colère sociale, sur lequel pèse la menace de risques de rupture nationaliste et xénophobe. De l’autre côté, une décision partagée, sans actions unilatérales, pour aller au delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel qui lui est lié, avant tout pour fixer la responsabilité de la politique monétaire: une solution mutuelle bénéfique, en dépit d’un chemin difficile et incertain, avec des conséquences douloureuses au moins dans la période initiale.

L’Allemagne a compris cela et, encore attentive à son histoire, indique une sortie pour éviter un dissolution chaotique de l’eurozone et des incontrôlables dérives nationalistes (déjà inquiétantes, tant parmi les Allemands qu’à leur égard): un accord multilatéral pour sortir de la monnaie unique, illustré par la proposition de « Grexit assisté », écrite par le ministre des finances Schäuble et approuvée par la Chancelière Merkel. Cela implique non pas d’abandonner la Grèce à elle-même, mais une sortie accompagnée par une réduction de la dette publique (impossible sous les Traités actuels) et une assistance technique, financière, et humanitaire.

C’est un choix dramatique. La voie de la continuité est l’option explicite des coalitions conservatrices et des exécutifs “socialistes” (en France et en Italie par exemple). La voie de la discontinuité est peut-être la seule qui puisse sauver l’union européenne, revitaliser la classe moyenne et renverser la tendance à la dévaluation du travail. Pour une désintégration de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance des fronts de libération nationale, partant de la périphérie méditerranéenne de l’eurozone, et composée des forces progressistes acceptant de coopérer avec des partis souverainistes de droite. Le temps qui nous reste est de plus en plus court.

Stefano Fassina, Membre du Parlement, ancien Vice Ministre des Finances, Italie

Stefano Fassina, né en 1966, a été de 1990 à 1992 secrétaire national des étudiants des Jeunesses de gauche (organisation des jeunes du parti des Démocrates de gauche). Ses études terminées, il est devenu en 1996 Conseiller économique du ministère des finances du Gouvernement Prodi I. De 2002 à 2005, il a travaillé comme économiste au FMI. Pendant les années 2000, il a également été éditorialiste du journal L’Unità. En novembre 2009 il a été choisi comme responsable national, pour l’Economie et le Travail, du Parti Démocrate. Candidat aux primaires du Parti Démocrate en décembre 2012, puis candidat à la Chambre des Députés dans la circonscription Lazio 1, il a été élu député le 25 février 2013. Stefano Fassina est devenu vice-ministre à l’Économie et aux Finances du le 2 Mai 2013. Il en a démissionné le 4 janvier 2014, à la suite d’un désaccord avec la nouvelle ligne du parti représentée par le secrétaire général Matteo Renzi.

Article original: http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/

Traduit par Monica M.

Source: http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/290715/la-dissolution-de-leurozone-vue-ditalie-stefano-fassina

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