Ordre aux avions US d'épargner une filiale d'Al-Quaïda La Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar et les héritiers de Ben Laden aident Al-Nosra à se refaire une virginité en Syrie Par Claude Angelli Le Canard Enchaîné, 10 juin 2015.
Les combattants d'Al-Nosra affrontent deux adversaires en Syrie : Bachar et l'Etat islamique. "C'est ce qui fait le charme, en apparence, ironise un diplomate, malgré la présence de leur groupe sur la longue liste des organisations terroristes et son affiliation à Al-Quaïda." Mais ces mauvais souvenirs ne sont plus de saison. A Washington et à Paris, ces braves gens sont aujourd'hui considérés avec une relative bienveillance. L'armée de la conquête, qu'Al-Nosra dirige et rêve de conduire jusqu'à Damas, a obtenu le ralliement de salafistes et de rebelles issus de l'ex-Armée syrienne libre. Hélas ! Il n'y a pas que les militaires de Bachar sur le chemin, Al-Nosra doit aussi combattre l'Etat islamique.
Heureusement, il y a l'US Air Force. Au début de cette semaine, certaines informations d'origine américaine faisaient état d'un bombardement, par plusieurs avions de la coalition, des positions de l'Etat islamique afin de préserver celles, voisines tenues par le front Al-Nosra. Rien de nouveau sous le soleil syrien, à un croire un vieux routier du renseignement : "le choix stratégique du Pentagone est de cogner sur Daesh (Etat islamique) et d'épargner Al-Nosra." Une méthode décriée par Vincent Hervouët, dans "Ainsi va le monde" (LCI, 8/6). Les alliés de la grande Amérique n'ont pas voix au chapitre. Cela dit, Hollande et Fabius, ne s'en plaignent guère, car ils verraient avec plaisir Al-Nosra chassé Bachar de Damas.
Mohammed al-Joulani, le patron de ce front djihadiste, a souvent juré qu'il ne s'en prendrait pas aux Occidentaux. Il promet même d'épargner ses adversaires, s'ils se repentent et mieux encore. Le 27 mai, Al-Jazaïra, la célèbre chaîne du Qatar, lui a donné la parole pendant près d'une heure, face à un journaliste émouvant de complaisance.
Image très soignée
"Une interview aux petits oignons", s'amuse un diplomate qui en a vu d'autres, y compris sur les télés françaises. Al-Joulani s'est montré conciliant tout en réaffirmant sa fidélité au successeur de Ben Laden et sa volonté d'appliquer la charia, après la victoire...Suivraient de nouvelles promesses de respecter les minorités religieuses, en Syrie, et les Occidentaux en général.
Deux semaines plus tôt, à Paris, le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Khaled al-Attiya avait évoqué sans détour les accusations de terrorisme portées contre Al-Nosra, lors d'un entretien publié par "Le Monde" le 12 mai. "Nous sommes clairement contre tout extrémisme", déclarait-il,"mais à part Daesh tous ces groupes combattent pour la chute du régime (de Bachar). Les modérés ne peuvent pas dire au Front Al-Nosra (...) : On ne travaille pas avec vous. Il faut regarder la situation et être réaliste."
Drôle de "réalisme", qui a conduit le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie, dont la générosité n'est plus un secret, quoiqu'il leur en coûte, a aidé ces bons élèves de Ben Laden.
Claude Angelli