La pseudo-gauche appuie l’attaque impérialiste contre la Syrie
Par Andre Damon, 12 avril 2017
WSWS
Près de 16 ans après le début de la « guerre contre le terrorisme » et plus d’un quart de siècle après la première guerre du Golfe en 1991, la poussée interminable à la guerre impérialiste entre dans une étape nouvelle et plus dangereuse. Au lendemain des frappes aériennes de l’administration Trump contre la Syrie, les médias américains et l’establishment politique, qui répètent comme des perroquets la ligne de propagande officielle pour justifier les attaques, exigent des actions encore plus agressives contre la Syrie et la Russie. Il y a le danger très réel d’un conflit militaire nucléaire direct entre les États-Unis et la Russie, avec des conséquences incalculables.
Et pourtant, quatorze ans après les manifestations de masse contre la guerre en Irak en 2003, il n’existe aucun mouvement organisé anti-guerre. Avec chaque guerre successive, accompagnée de propagande et de mensonges toujours plus éhontés, le niveau des manifestations populaires organisées a diminué. C’est en dépit du fait que, parmi les vastes couches de la population, il y a une profonde inquiétude et une hostilité à l’égard au militarisme du gouvernement. Comment expliquer cela ?
Il est impossible de répondre à cette question sans analyser le rôle des partis politiques et des publications qui se disent « de gauche » qui sont devenus des animateurs stridents des opérations de changement de régime des États-Unis. Parmi eux figure l’International Socialist Organisation (qui publie Socialist Worker) et la revue International Viewpoint des pablistes.
Pendant des années, ces organisations ont été parmi les principaux partisans de l’opération de déstabilisation des États-Unis en Syrie et, avant cela, en Libye. Dans la mesure où ils s’opposaient à la politique étrangère de l’administration Obama, c’était pour la critiquer parce qu’elle n’était pas suffisamment engagée pour dégager le président syrien Bashar al-Assad du pouvoir. Une ligne similaire est en cours de développement sous Trump.
Entre mardi, lorsque tous les médias américains ont lancé une campagne pour accuser le gouvernement d’Assad de l’attaque sur Khan Sheikhoun pour préparer une frappe militaire, et jeudi, lorsque l’administration Trump a ordonné une attaque aérienne contre les forces gouvernementales syriennes, Socialist Worker et International Viewpoint ont maintenu le silence radio.
Immédiatement après les frappes aériennes de Trump, les deux se sont mis en action. Tout en s’opposant nominalement à l’attaque aérienne, leur réponse a été caractérisée par 1) la promotion des mensonges de la CIA comme argent comptant 2) une critique de l’administration Trump qui ne chercherait pas vraiment à changer le régime. Leur but, avant tout, était de démobiliser l’opposition à l’impérialisme américain.
Écrivant dans International Viewpoint le 9 avril, Frieda Afary et Joseph Daher ont apporté leur plein soutien au récit frauduleux des « armes de destruction massive » d’Assad. Leur article indique : « Le bombardement chimique de civils innocents […] perpétré par le régime d’Assad et ses alliés, la Russie et l’Iran, le 4 avril est une autre étape de la campagne meurtrière pour détruire ce qui reste de l’opposition populaire au régime d’Assad ».
Comme les médias bourgeois de l’establishment politique aux États-Unis et en Europe, ils ne présentent aucune preuve de cette affirmation sans nuance.
Ils ajoutent : « Il est clair qu’aucune solution pacifique et juste en Syrie ne peut être atteinte avec Bashar al-Assad et sa clique au pouvoir. »
La cible de leur invective n’est pas le gouvernement des États-Unis, qui cherche à dominer les peuples du Moyen-Orient, mais toutes les organisations politiques qui critiquent la « révolution » soutenue par la CIA en Syrie, affirmant qu’une opposition à la guerre impérialiste américaine pour le changement de régime équivaut au soutien pour Assad. Ainsi, Daher et Afary concluent avec le slogan : « Pas de gauche, pas de gauche, ceux qui soutiennent Bashar al-Assad ».
Fait significatif, ils appellent à la formation de « mouvements anti-guerre » en Russie et en Iran, mais pas aux États-Unis. De tels « mouvements » seraient des incubateurs pour les opérations de changement de régime dans ces pays, en parallèle avec les organisations islamistes soutenues par la CIA qu’ils appuient en Syrie. Leur opposition au régime de Poutine ne se fait pas depuis une position de gauche, révolutionnaire et socialiste, mais depuis la droite pro-impérialiste. Ils ne s’opposent pas au régime en le décrivant comme le résultat final de la trahison stalinienne et de la destruction de la Révolution d’Octobre, ni comme représentant d’une oligarchie capitaliste dont la richesse viens de la conversion des biens de l’État soviétique en propriété privée. L’ISO mène en réalité son opposition à Poutine uniquement avec la rhétorique frauduleuse et « droit-de-l’hommiste » de la CIA.
Dans le Socialist Worker, Ashley Smith de l’ISO écrit que « personne ne devrait être surpris par la volonté d’Assad de violer l’accord [de 2013] et d’utiliser des armes chimiques ». En adoptant la ligne du Parti démocrate, Smith déclare qu’il est « difficile de prendre au sérieux les prétentions humanitaires de Trump » parce que jusqu’à récemment « Trump a soutenu un certain rapprochement avec Assad et la Russie ».
Ce faisant, l’ISO se plaint du fait que l’administration Trump « a rendu explicite ce qui avait été implicite sous Barack Obama – que les États-Unis toléreraient qu’Assad reste au pouvoir comme un allié de fait pour la guerre contre ISIS ». Le principal problème de la politique des États-Unis, c’est qu’ils « ont fermé les yeux alors que la Russie, l’Iran et le Hezbollah intervenaient pour soutenir la guerre contre-révolutionnaire d’Assad pour sauver sa dictature. »
Donc l’ISO, comme International Viewpoint, s’aligne sur la CIA et les factions de la classe dirigeante qui ont critiqué Trump non pas pour ses politiques d’extrême droite et belliqueuses, mais par ce qu’il est trop proche de la Russie.
La position de ces organisations est le résultat de processus sociaux et politiques plus larges qui remontent à un demi-siècle. Le mouvement anti-guerre tel qu’il a émergé dans les années 1960 était principalement de caractère petit-bourgeois, attirant des sections radicales de jeunes opposés au service militaire obligatoire et insatisfaits de l’environnement culturel conservateur qui prédominait. Les organisations qui ont dirigé ce mouvement ont cherché à éviter que la lutte contre la guerre devienne un mouvement de la classe ouvrière contre le capitalisme.
Au cours des cinq décennies suivantes, les dirigeants du mouvement de protestation contre la guerre du Vietnam ont viré loin vers la droite, et dans de nombreux cas ils sont eux-mêmes devenus des personnalités de la politique bourgeoise. Sur le plan idéologique, ces couches sociales répudient ouvertement le marxisme et adoptent le postmodernisme et la politique identitaire. Sur le plan politique, ils ont repris les justifications des « droits de l’Homme » de l’impérialisme américain.
Cette mixture nocive des tendances politiques et intellectuelles de droite se manifeste dans une haine viscérale de la Russie, une version de l’anticommunisme de la guerre froide réchauffée contre la Russie capitaliste. La dénonciation de la Russie, de la Chine et de l’Iran comme « impérialistes » par ces groupes sert de couverture pour leur soutien aux opérations de changement de régime parrainées par la CIA dans le monde entier, y compris en Russie et en Chine elles-mêmes.
Le Comité international de la Quatrième Internationale a qualifié ces organisations de « pseudo-gauche ». Elles utilisent la phraséologie populiste et une politique fondée sur l’identité individuelle pour promouvoir les intérêts socio-économiques des sections aisées de la classe moyenne supérieure. Elles sont pro-guerre et pro-impérialistes, et utilisent le slogan des « droits de l’Homme » pour légitimer des opérations militaires néocoloniales.
Leur évolution politique reflète une différenciation sociale. Au cours des 50 dernières années, les 10 pour cent de revenus les plus élevés ont bénéficié en grande partie de l’augmentation phénoménale de la valeur des actions et d’autres instruments financiers, en raison en grande partie du déclin implacable des salaires et des conditions de vie de la classe ouvrière, le résultat de décennies de trahisons de la part des syndicats.
Quels que soient leurs griefs par rapport au 1 pour cent le plus riche, leurs intérêts sont séparés par un vaste fossé de ceux de la vaste masse de la population. Leurs portefeuilles boursiers dépendent de l’exploitation continue de la classe ouvrière et, de manière plus critique, de la domination mondiale de l’impérialisme américain. La richesse de plus en plus importante de ce milieu social se reflète dans sa dégénérescence intellectuelle, culturelle et, on pourrait ajouter, morale.
Le mouvement anti-guerre renouvelé ne viendra pas de ces couches de la classe moyenne, mais de la classe ouvrière. La tâche la plus urgente dans la construction d’un véritable mouvement contre la guerre est la révélation de la nature politique de ces groupes de droite petits-bourgeois et des intérêts sociaux qu’ils représentent.
(Article paru en anglais le 11 avril 2017)