La poussière n’était pas encore retombée, lundi soir, après l’attentat de Manchester, que des éditorialistes, déjà, se dépêchaient de conclure que l’événement servirait la cheffe du gouvernement, Theresa May, sur la route des législatives du 8 juin. Le drame allait imposer un agenda sécuritaire dans les médias, qui profiterait mécaniquement à la droite conservatrice des Tories. Alors que la campagne a repris vendredi, il est trop tôt pour savoir si l’analyse, hâtive, est juste. Jeremy Corbyn, le candidat travailliste (Labour), qui remonte dans les sondages, se démène en tout cas pour prouver le contraire.

Plutôt que de parler sécurité, il a choisi de dénoncer les errements, à ses yeux, de la politique extérieure du Royaume-Uni depuis plus de dix ans. Dans un discours marquant, vendredi, à Londres, il a jugé que le pays « doit être suffisamment courageux pour admettre que la “guerre contre le terrorisme” ne marche tout simplement pas »« Nous allons aussi changer ce que nous ferons à l’extérieur », a-t-il prévenu, avant de s’expliquer : « De nombreux experts, notamment des professionnels du renseignement et des services de sécurité, ont déjà souligné les connexions qui existent entre les guerres que notre gouvernement a soutenues, ou dans lesquelles il s’est engagé militairement, et le terrorisme ici, chez nous. »

Ces propos ne sont pas nouveaux dans la bouche du député londonien, connu pour ses positions pacifistes (et antinucléaires). Sous le gouvernement de Tony Blair, il s’était opposé, en 2003, à l’intervention militaire en Irak. Il avait aussi critiqué l’opération menée par Londres et Paris pour faire tomber le régime de Kadhafi en Libye, en 2011 et 2012. Or, c’est bien en Libye que Salman Abedi, l’auteur du massacre de la Manchester Arena, s’est rendu quelques jours avant son opération, et où résident certains membres de sa famille.

Le discours de Corbyn n’a bien sûr pas échappé à Theresa May. Elle lui a répondu vendredi, depuis le G7 auquel elle participait en Sicile, aux côtés notamment de Donald Trump et d’Emmanuel Macron. « Je veux être claire au sujet de ce qui a été dit aujourd’hui, a-t-elle lancé. Je viens de travailler toute la journée avec d’autres responsables internationaux, au sein du G7, pour combattre le terrorisme. Au même moment, Jeremy Corbyn explique que les attaques qui visent la Grande-Bretagne sont de notre propre faute […]. Il ne peut jamais y avoir d’excuse au terrorisme. Il ne peut y avoir aucune excuse par rapport à ce qu’il s’est passé à Manchester. »

Et la cheffe de l’exécutif de résumer l’enjeu, à ses yeux, des élections anticipées qu’elle a, elle-même, provoquées : « C’est un choix entre moi, qui travaillerai constamment pour la protection de l’intérêt national et de notre sécurité, et Jeremy Corbyn qui, franchement, n’est pas fait pour le job. » D’autres responsables des Tories, à commencer par le ministre des affaires étrangères Boris Johnson, ont entonné la même rengaine, jugeant « totalement extraordinaire et inexplicable que cette semaine plus encore que toute autre, certains s’essaient à justifier ou légitimer les actions de terroristes de cette manière ».

Cité par le site d’info Politico, un porte-parole du camp conservateur confirme la stratégie des Tories, d’ici au 8 juin : réduire les législatives à venir à un duel entre deux candidats et dénoncer l’incompétence, à leurs yeux, de Corbyn. « Si suffisamment de personnes votent pour n’importe quel autre parti que le parti conservateur, Jeremy Corbyn sera premier ministre. Mais il n’a pas le costume de l’emploi, il est faible et incompétent. Seule Theresa May peut offrir cette stabilité nécessaire aux négociations du Brexit. »...


Source Mediapart