Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les dissidents réduits au silence (Truthdig)

par Chris Hedges 6 Novembre 2017, 08:57 Médias Censure Dissidence Liste noire Mc Carthysme USA

Les dissidents réduits au silence
Par  Chris Hedges,
Truthdig, 17-09-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Les dissidents réduits au silence (Truthdig)

Les élites au pouvoir, qui comprennent que l’idéologie des régnants du monde des affaires du capitalisme mondial et de l’expansion impérialiste n’a plus de crédibilité morale ni intellectuelle, ont organisé une campagne pour supprimer les plateformes dédiées à leurs opposants. Les attaques de cette campagne comprennent la liste noire, la censure, la calomnie des dissidents les accusant d’être des agents russes et des fournisseurs de « fausses nouvelles ».

Aucune classe dominante ne peut tenir le contrôle longtemps quand la crédibilité des idées qui justifient son existence s’est évaporée. A ce stade, elle est forcée d’avoir recours à la coercition, l’intimidation et la censure. Cet effondrement idéologique aux États-Unis a transformé ceux d’entre nous qui attaquent l’entreprise étatique en une menace potentielle, non pas parce que nous devenons très nombreux, et certainement pas parce que nous répandons une propagande russe, mais parce que les élites n’ont plus d’arguments plausibles.

Les élites font face à un choix désagréable. Ils peuvent imposer des contrôles sévères pour protéger le statu quo ou virer à gauche vers le socialisme pour améliorer les injustices économiques et politiques montantes qu’endure la majeure partie de la population. Mais un mouvement à gauche, essentiellement en réinstallant et généralisant les programmes New Deal qu’ils ont détruits, serait un obstacle au pouvoir et aux profits des entreprises. Donc au lieu de cela, les élites, y compris les leaders du Parti démocrate, ont décidé d’étouffer le débat public. La tactique qu’ils utilisent est aussi vieille que l’état-nation – accusant les critiques de traîtrise au service d’une puissance étrangère. Des dizaines de milliers de gens conscients ont été mis sur liste noire de cette façon durant la Peur rouge entre les années 20 et 50. L’attention démesurée sur la Russie, adopté avec empressement par les médias « libéraux » comme le New York Times et la chaîne d’information en continu MSBNC a libéré ce que certains ont appelé un nouveau McCarthisme.

Les élites corporatives n’ont pas peur de la Russie. Il n’y a pas de preuves révélées publiquement de l’implication de la Russie dans l’élection de Donald Trump. De même, la Russie n’a pas d’intentions de se confronter militairement aux États-unis. Je suis sûr que la Russie essaye de s’intégrer dans les affaires américaines pour son propre bénéfice, comme nous le faisons et comme nous l’avons fait en Russie – y compris notre soutien bancaire à Boris Eltsine, dont la campagne victorieuse pour sa réélection en 1996 a coûté environ 205 milliards de dollars, l’essentiel de cette somme provenant indirectement du gouvernement américain. Dans le paysage médiatique d’aujourd’hui, la Russie est partout. L’état corporatif s’agace des médias qui donne la parole aux critiques du capitalisme d’affaire, de l’état sécuritaire, de la surveillance et de l’impérialisme, y compris le réseau RT America.

Mon programme sur RT America, « On Contact », comme ma chronique sur Truthdig, amplifie les voix de ces dissidents – Tarik Ali, Kshama Sawant, Mumia Abu-Jamal, Medea Benjamin, Ajamu Baraka, Noam Chomsky, Dr. Margaret Flowers, Rania Khalek, Amira Hass, Miko Peled, Abby Martin, Glen Ford, Max Blumenthal, Pam Africa, Linh Dinh, Ben Norton, Eugene Puryear, Allan Nairn, Jill Stein, Kevin Zeese et d’autres. Ces dissidents seraient partie prenante du discours mainstream, si nous avions un système de radiodiffusion public qui fonctionne, ou une presse commerciale libérée du contrôle des entreprises. Ils ne sont pas achetés, ni payés pour parler. Ils sont intègres, courageux et souvent brillants. Ils sont honnêtes. Pour ces raisons, aux yeux de l’état corporatif, ils sont très dangereux.

La première salve mortelle dans la guerre contre les dissidents est arrivée en 1971 quand Lewis Powell, un avocat d’affaires et plus tard juge à la Cour Suprême, écrivit et fit circuler un mémo parmi les dirigeants des grandes entreprises appelé « Attaque sur le système de libre entreprise américain ». C’est devenu le plan pour le coup d’état des entreprises, comme Powell le recommandait dans ce document, verser des centaines de millions de dollars dans l’assaut, financer les candidats politiques pro-business, monter des campagnes contre l’aile libérale du Parti Démocrate et la presse, et créer des institutions comme la « Business Roundtable Foundation », le « Manhattan Institute » le « Cato Institute », « Citizens for a Sound Economy », « The Federalist Society » et « Accuracy in Academia ». Le mémo avançait que les corporations doivent financer des campagnes soutenues pour marginaliser et réduire au silence ceux qui, dans « les campus, dans les chaires universitaires, les médias, les journaux intellectuels et littéraires » étaient hostiles aux intérêts des entreprises.

Powell a attaqué personnellement Ralph Nader. Des lobbyistes ont envahi Washington et les capitales des États. Les contrôles de régulation furent abolis. Des allègements d’impôts massifs sur les sociétés et les riches furent mis en place, finissant par un boycott d’impôts de fait. Des barrières commerciales ont été supprimées et le tissu industriel de base du pays a été détruit. Les programmes sociaux ont été coupés de même que le financement des infrastructures, routes, ponts, bibliothèques publiques et écoles. La protection des travailleurs a été étripée. Les salaires ont baissé ou ont stagné. Le budget militaire, de même que les organismes de sécurité interne, devinrent énormes. Une liste noire de facto, spécialement dans les universités, et la presse, a été utilisée pour discréditer les intellectuels, les radicaux, les activistes qui critiquaient l’idée d’une nation qui se couche devant les diktats du marché des affaires, et condamnaient les crimes impérialistes, certains très connus comme Howard Zinn, Noam Chomsky, Sheldon Wolin, Ward Churchill, Nader, Angela Davis et Edward Said. Ces critiques ont été tolérés mais seulement en marge de la société, souvent hors des institutions, et beaucoup ont de grandes difficultés à survivre.

La crise financière de 2008 n’a pas seulement dévasté l’économie mondiale. Elle a aussi révélé les mensonges propagés par les avocats de la mondialisation. Parmi ces mensonges, on a : les salaires des travailleurs augmenteraient, la démocratie s’étendrait sur le globe, la techno-industrie remplacerait la fabrication comme source de revenus des travailleurs, la classe moyenne et les collectivités prospéreraient. Après 2008 il devint clair que le « marché libre » était une escroquerie, une idéologie zombie à cause de laquelle les travailleurs et les collectivités furent ravagées par les prédateurs capitalistes et les biens furent dirigés vers le haut, vers le 1% mondial. Les guerres sans fin, menées principalement pour le bénéfice des fabricants d’armes et le pouvoir militaire grandissant sont sans intérêt et contre-productifs pour les intérêts nationaux. La désindustrialisation et les programmes d’austérité ont appauvri la classe ouvrière et blessé mortellement l’économie.

Les politiciens de l’establishment des deux partis principaux, chacun au service du pouvoir des entreprises et responsables de l’attaque sur les libertés civiles et de l’appauvrissement du pays, ne sont plus capables de se servir d’identité politique et de guerres culturelles pour obtenir plus de soutien. Cela a conduit, durant la dernière campagne présidentielle, à une révolte menée par Bernie Sanders, écrasé par le parti démocrate, et l’élection de Donald Trump.

Barack Obama a surfé sur la vague d’une rancœur bipartite durant son mandat en 2008, puis il a passé 8 ans à trahir le public. L’attaque d’Obama sur les libertés civiles, y compris son utilisation de l’Espionage Act pour poursuivre en justice les lanceurs d’alerte, a été pire que celles engagées par George W Bush. Il a accéléré la guerre contre l’éducation publique en privatisant des écoles, en élargissant la guerre au Moyen-Orient, y compris avec l’utilisation de drones d’attaques, ne prêtant que peu d’attention aux réformes environnementales, ignorant la détresse de la classe ouvrière, déportant plus de sans-papiers que n’importe quel autre président, imposant un système de santé sous l’égide des sociétés privées qui sortait du cerveau de l’Heritage Foundation, organisation de droite, et interdisant au Ministère de la Justice de poursuivre les banquiers et les sociétés financières qui continuaient à lancer des produits dérivés toxiques et qui spéculaient sur le marché de l’habitat et de l’immobilier, condition qui a mené à la crise de 2008. Il incarnait, comme Bill Clinton, la faillite du parti démocrate. Clinton, supplantant les actions ultérieures d’Obama, nous a donné l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le démantèlement du système d’aide sociale, la déréglementation du secteur des services financiers et l’énorme expansion de l’incarcération de masse. Mme Clinton a également supervisé la déréglementation de la Federal Communications Commission, un changement qui a permis à une poignée de sociétés d’acheter les licences d’émission hertzienne.

L’état corporatif était en crise à la fin de la présidence d’Obama. Il était largement détesté. Il devint vulnérable aux attaques par les critiques qu’il avait poussées jusqu’aux limites. Les plus vulnérables furent le parti démocrate, qui prétendait défendre les droits des travailleurs et travailleuses et protéger les libertés civiles. C’est pourquoi le parti démocrate est tellement empressé à discréditer ses critiques en les accusant d’être des valets de Moscou et d’accuser la Russie d’interférence ayant causé leur défaite électorale.

En janvier, il y avait un rapport sur la Russie venant du bureau du Directeur du Renseignement national. Le rapport comprenait sept des vingt-cinq pages dédiées à RT America et son influence sur l’élection présidentielle. Il prétendait que “les média russes faisaient de plus en plus de commentaires favorables à l’élection de Donald Trump alors que les campagnes de 2016 pour les élections générales et les primaires progressaient avec une couverture largement négative de la Secrétaire Clinton.” cela peut paraître vrai si vous ne regardez pas mes émissions sur RT America, ou j’attaque sans relâche aussi bien Trump que Clinton, ou regardez Ed Schultz, qui a maintenant un programme sur RT après avoir été présentateur d’un programme de commentaire sur MSNBC. le rapport aussi tentait de présenter RT America comme ayant une vaste empreinte médiatique et une influence qu’elle n’a pas en réalité.

« Dans un effort pour mettre en évidence les soit-disant manques de démocratie aux États-Unis, RT a diffusé, présenté et promu des candidats tiers et a fait des reportages de soutien du programme politique de ces candidats », lit-on dans le rapport, résumant justement les thèmes de mon émission. « Les présentateurs de RT affirment que le système américain à deux partis ne représente pas les opinions d’au moins un tiers de la population et que c’est une ‘mascarade’. »

Et cela a continué :

« Les reportages de RT décrivent souvent les États-Unis comme un « État de surveillance », et mentionnent des soit-disant infractions largement répandues des libertés civiles, des brutalités policières et des utilisations de drones.

RT s’est aussi concentré sur la critique du système économique américain, la politique monétaire, la cupidité prétendue de Wall Street, et la dette nationale. Certain des présentateurs de RT ont comparé les États-Unis à la Rome Impériale et ont prédit que la corruption du gouvernement et la « cupidité des sociétés » conduiraient à un effondrement financier. »

Est-ce que l’état corporatif est tellement obtus qu’il pense que le public américain n’est pas, tout seul, arrivé à ces conclusions sur l’état de la nation ? Est-ce que ce que ce n’est pas cela qui est défini comme des « fake news » ? Mais le plus important, n’est-ce pas la vérité que les courtiers de la presse mainstream et des chaînes publiques, dépendant financièrement de sources comme les Koch Brothers, refuse de présenter ? Et n’est-ce pas, pour finir, la vérité qui les effraie le plus ? Abby Martin et Ben Norton ont mis en pièces l’hypocrisie du rapport et la complicité des médias d’entreprise dans mon émission « On Contact » titrée « Le vrai but des rapports du renseignements sur le piratage russe » avec Abby Martin et Ben Norton.

En Novembre 2016, le Washington Post a rapporté une liste noire publiée par le site obscur et anonyme PropOrNot. La liste noire était composée de 199 sites que PropOrNot prétendait, sans aucune preuve, être « un écho fiable de la propagande russe ». Plus de la moitié de ces sites étaient d’extrême droite, conspirationnistes. Mais environ 20 de ces sites étaient des publication majeures de gauche, comprenant AlterNet, Black Agenda Report, Democracy Now!, Naked Capitalism, Truthdig, Truthout, CounterPunch et le World Socialist Website. La liste noire et les accusations fallacieuses que ces sites disséminaient des « fake news » au nom de la Russie ont tenu un rôle important dans le Post dans une histoire intitulée « La propagande russe a contribué a répandre des fake news durant les élections, disent des experts ». Le journaliste Craig Timberg écrivit que le but de la propagande russe, selon des « chercheurs indépendants qui ont retracé l’opération » était « de punir la démocrate Hillary Clinton, d’aider Donald Trump à saper la foi en la démocratie américaine ». En décembre dernier, le chroniqueur de Truthdig Bill Boyarsky écrivit un bon papier sur PropOrNot, qui jusqu’à ce jour, reste essentiellement une organisation mystérieuse.

Le propriétaire du Washington Post, Jeff Bezos, est aussi fondateur et PDG d’Amazon, il a un contrat de 600 millions de dollars avec la CIA. Google, pareillement, est profondément incrusté dans le système de sécurité et de surveillance et en phase avec les élites au pouvoir. Amazon a récemment supprimé plus de 1000 commentaires négatifs du livre de Hillary Clinton « What Happened ». L’effet a été que immédiatement, la cote du livre sur Amazon est passé de 2.1/2 à 5 étoiles. Est-ce que Google et Amazon poursuivent une telle censure au nom du gouvernement américain ? Ou est-ce que cette censure est leur contribution indépendante pour protéger l’état corporatif ?

Sous le prétexte de combattre les « fake news » inspirées par la Russie, Google, Facebook, Twitter, le New York Times, le Washington Post, Buzzfeed News, Agence France Presse et CNN ont imposé en avril des algorithmes et des filtres, supervisés par des « évaluateurs », qui traquent des mots comme « armée américaine », « inégalités » et « socialisme », avec des noms de personnes comme « Julian Assange » et la cinéaste Laura Poitras. Ben Gomes, vice-président de Google pour le moteur de recherche, a dit que Google a réuni quelques 10 000 « évaluateurs » pour déterminer la « qualité » et la « véracité » des sites web. Les usagers d’internet faisant des recherches sur Google, depuis la mise en place des algorithmes, sont éloignés de sites comme Truthdig et redirigés vers des publications mainstream comme le New York Times. Les organisations d’informations et les entreprises qui imposent ces censures ont des liens étroits avec le Parti démocrate. Ce sont les pom-pom-girls de l’Empire américain et du capitalisme mondial. Parce qu’ils luttent pour le profit dans un nouvel environnement médiatique, ils ont une raison économique de participer à la chasse aux sorcières.

Le site a déclaré en juillet que son volume global, ou ses « impressions », les liens affichés par Google en réponse aux demandes de recherche, ont chuté de façon spectaculaire au cours d’une courte période après l’introduction des nouveaux algorithmes. Il a également écrit qu’un certain nombre de sites « déclarés être des fake news » de la liste noire discréditée de PropOrNot sur le Washington Post… ont vu chuter leur positionnement global. La chute moyenne de positionnement de ces sites est de 25%.

Dans un autre article, « Trucage de Google pour bloquer l’accès à World Socialist Web Site », de ce même site web ce mois-là disait :

« Durant le mois de mai, les recherches sur Google comprenant le mot « guerre » a produit 61 795 impressions World Socialist Web Site. En juillet, les impressions WSWS ont chuté d’approximativement 90%, à 6613.

Les recherches sur les termes « guerre de Corée » ont produit 20 392 impressions en mai. En juillet, les recherches sur le même mot ont produit 0 impressions WSWS. Les recherches sur « guerre Corée du Nord » ont produit 4626 impressions en mai. En juillet le résultat sur la même recherche a produit 0 impressions. « Guerre Inde Pakistan » a produit 4394 impressions en mai. En juillet, le résultat, encore, était de 0. Et « guerre nucléaire 2017 » a produit 2319 impressions en mai, et 0 en juillet.

Pour citer quelques autres recherches: « Wikileaks » est tombé de 6576 impressions à 0. « Julian Assange » est tombé de 3701 impressions à 0 et Laura Poitras est tombée de 4499 impressions à 0. Une recherche sur « Michael Hasting » – le reporter mort en 2013 dans des circonstances suspectes – a produit 33464 impressions en mai, mais seulement 5227 impressions en juillet.

En plus de la géopolitique, le WSWS couvre régulièrement une large étendue de problèmes sociaux, dont beaucoup ont vu des chutes spectaculaires dans les résultats de recherches. Les recherches sur « bons d’achats », « licenciements chez Ford », « entrepôts Amazon », et « secrétaire d’éducation » sont tous tombés de plus de 5000 impressions en mai à 0 impression en juillet. »

L’accusation de collusion avec la Russie de la part des sites de gauche les ont en théorie exposés, avec ceux qui écrivent pour eux, à l’Espionage Act et à la Foreign Agent Registration Act, qui exigent que les Américains qui travaillent pour un état étranger s’inscrivent comme agents étrangers.

La dernière salve est arrivée ce week-end. C’est la plus menaçante. Le ministère de la justice a appelé RT America et ses « associés » – ce qui veut dire des gens comme moi – à s’inscrire selon le Foreign Agent Registration Act. Aucun doute que l’État corporatif sait que la plupart d’entre nous ne s’inscriront pas comme agents étrangers, signifiant que nous serons bannis des ondes. Cela, je m’y attends, est le but. Le gouvernement ne s’arrêtera pas à RT. Le FBI a reçu l’autorité de déterminer qui est un journaliste « légitime » et qui ne l’est pas. Il utilisera cette autorité pour décimer la gauche.

C’est une guerre idéologique. L’État corporatif ne peut pas concourir honnêtement dans cette compétition. Il fera ce que tout les régimes despotiques font – gouverner par une surveillance globale, des mensonges, des listes noires, des fausses accusations de trahison, une censure lourde et finalement, de la violence.

Source : Truthdig, Chris Hedges, 17-09-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page