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L’incertitude et la crainte montent dans les milieux financiers dirigeants (WSWS)

par WSWS 11 Novembre 2023, 19:43 Economie Crise Allégations Articles de Sam La Touch

Un vent d’incertitude souffle sur les marchés financiers et sur l’ensemble du système financier mondial, car on craint que l’un ou l’autre élément – ou une combinaison d’entre eux – comme l’inflation continue, la hausse des taux d’intérêt, l’augmentation de la dette publique, le découplage d’avec la Chine, des pertes importantes d’entreprises du système bancaire parallèle et l’escalade de la guerre ne déclenche une crise majeure.

En outre, les milieux financiers et économiques dirigeants s’inquiètent toujours, mais rarement en public, d’une éruption des luttes de la classe ouvrière qui échapperait aux efforts des appareils syndicaux pour les contenir.

En début de semaine, Bloomberg a rapporté une conférence de banquiers mondiaux à Hong Kong. Celle-ci avait été convoquée pour traiter de comment ils géreraient les «complexités» du monde financier, mais elle avait « fini par s’attarder sur le potentiel pour des explosions financières».

C’est ce qui ressort d’un certain nombre de commentaires formulés par les principaux participants.

Christian Sewing, directeur général de la Deutsche Bank, a déclaré lors de la réunion: «Ma plus grande crainte est qu’il y ait encore une escalade géopolitique et qu’il se produise un événement sur le marché».

L’article de Bloomberg indique que cette réunion, l’un des plus grands rassemblements de dirigeants bancaires depuis le déclenchement de la guerre israélienne contre Gaza, avait été «morne, les dirigeants bancaires échangeant leurs observations et leurs craintes».

Bob Prince, co-responsable des investissements chez Bridgewater, a déclaré que les marchés «sous-estimaient» la durée des hausses de taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe – une réaction à l’opinion encore largement répandue que les banques centrales devront relâcher leurs efforts l’année prochaine.

Le fondateur de Citadel, Ken Griffin, a déclaré que la «démondialisation» – qui se manifeste clairement dans les mouvements de retrait de la Chine – était un «joker géant».

«Nous ne savons pas à quoi ressemble un monde qui implique la démondialisation», a-t-il déclaré, et cela incluait combien « celle-ci augmentait l’inflation de façon systémique »

Colm Kelleher, le président de la banque suisse UBS, qui est toujours empêtrée dans les retombées de son rachat du Crédit suisse après l’effondrement de celui-ci en début d’année, a attiré l’attention sur le secteur du «shadow banking», qui comprend les prêts accordés par les fonds spéculatifs et les groupes de capital-investissement.

Le secteur bancaire parallèle, qui échappe largement au système de régulation financière, a connu une croissance explosive depuis la crise de 2008, et près de la moitié des actifs financiers mondiaux se trouvent aujourd’hui dans ce «shadow banking » [secteur parallèle].

«C’est une véritable source d’inquiétude», a déclaré Kelleher. «La prochaine crise, lorsqu’elle se produira, concernera ce secteur. Il s’agira d’une crise fiduciaire.

Une crise fiduciaire est une crise où les différentes organisations qui opèrent sur le marché n’ont pas confiance les unes dans les autres. Kelleher n’a pas donné plus de détails, mais une telle crise de confiance peut rapidement sortir de l’ombre et s’étendre au système financier dans son ensemble.

David Solomon, PDG de Goldman Sachs, s’est inquiété de la croissance de la dette publique américaine et de son refinancement dans un environnement beaucoup moins liquide, c’est-à-dire dans une situation de contraction de la capacité des marchés financiers à acheter des obligations du Trésor.

Le directeur de Morgan Stanley, James Gorman, a résumé l’atmosphère générale de perplexité et d’incertitude en disant que les grandes perturbations étaient souvent causées par des forces imprévues.

Cette semaine, le Financial Times (FT) a consacré une importante série d’articles aux nouvelles conditions du système financier mondial, examinant des domaines clés tels que la dette des entreprises, les transactions réalisées par les groupes de capital-investissement et le financement d’une dette publique en constante augmentation.

L’article note que les opérations de rachat, conclues lorsque les taux d’intérêt étaient à des niveaux historiquement bas, commencent à s’effondrer. Certains participants voient dans ce qu’on appelle l’«ingénierie financière» un moyen de contourner les problèmes.

Mais comme l’indique un des articles du FT, «d’autres considèrent l’ingénierie financière comme le symptôme d’une crise qui s’aggrave» et qu’un «modus operandi qui a prospéré dans un environnement de taux d’intérêt faibles sera très différent si les taux restent élevés pendant un certain temps».

Un des articles de la série pose cette question: «L’Amérique des entreprises peut-elle faire face à son énorme dette? » Il note que le taux des défauts de paiement commence à dépasser sa moyenne historique.

Un autre portait sur les conséquences financières pour les gouvernements de la hausse des taux d'intérêt sur les marchés obligataires. Il pointait que selon l’agence de notation S&P, si la facture des intérêts pour les pays du G7 s’élevait à 905 milliards de dollars par an en 2018, elle atteindrait 1.500 milliards de dollars d’ici 2026.
 

Et l’escalade sera rapide dans les années à venir, l’agence de notation Moody’s estimant que la part de la facture d’intérêts du gouvernement américain dans ses recettes passera de moins de 10 pour cent en 2022 à 27 pour cent en 2033.

L’économie américaine n’a aucune chance de se sortir par la croissance du problème grandissant de la dette, car, comme l’indique l’article, «les prévisions de croissance économique pour l’année prochaine sont anémiques, à seulement 1,5 pour cent».

Le FT n’a pas évoqué les conséquences de cette situation, mais elles font déjà l’objet de discussions dans les milieux financiers qui réclament de plus en plus une réduction des dépenses publiques, en commençant par les prestations sociales aux États-Unis, en particulier celles de la sécurité sociale.

Mercredi, le Wall Street Journal a publié une interview de Mohamed El-Erian, conseiller économique principal du géant mondial de l’assurance et des services financiers Allianz et commentateur et analyste financier bien connu.

La principale caractéristique de son commentaire n’est pas son avertissement d’une récession aux États-Unis l’année prochaine, mais l’état de désarroi dans les cercles de décision politique, en particulier à la Réserve fédérale américaine.

Il a critiqué la Réserve fédérale pour au moins six erreurs de politique et de prévision, à commencer par son affirmation que l’inflation, qui a commencé à décoller en 2021 dû à l’impact de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement, était «transitoire».

Après avoir rappelé que le PDG de la Silicon Valley Bank avait déclaré au Congrès que si la banque s’était effondrée en mars, c’était parce qu’il avait cru la Fed lorsqu’elle avait déclaré que l’inflation était «transitoire», El-Erian s’est penché sur la gravité de la crise bancaire.

S’il n’y avait pas eu la décision des autorités de garantir essentiellement tous les dépôts bancaires, il y aurait eu une crise bancaire, un accident financier.

Il a qualifié de «confuse» la situation du marché obligataire américain, qui pèse 25.000 milliards de dollars et constitue la base du système financier mondial. L’année dernière, le marché obligataire s’était rendu compte que les banques centrales étaient à la traîne et qu’elles relèveraient leurs taux de manière agressive. Cette année, le marché avait compris que les taux d’intérêt resteraient élevés plus longtemps.

«Ensuite, les gens se sont inquiétés du déficit, du montant des émissions et de la question de savoir qui les achèterait», a déclaré El-Erian.

Il a ensuite soulevé ce qu’il considère comme une question plus fondamentale, à savoir la formulation de la politique.

Notant que les États-Unis sont la plus grande économie du monde et qu’ils disposent des institutions les plus matures, il poursuit ainsi: «Ce à quoi le consensus s’attendait est passé d’un atterrissage en douceur à un atterrissage brutal, puis à l’absence d’atterrissage, puis à un atterrissage en catastrophe, puis au retour à un atterrissage brutal, enfin à un atterrissage en douceur. C’est une séquence incroyable qui montre que nous avons perdu nos points d’ancrage. Nous avons perdu nos points d’ancrage économiques, nos points d’ancrage politiques et nos points d’ancrage techniques.

De nombreux analystes ignorent les effets sociaux de la politique économique et son impact sur la lutte des classes. El-Erian n’est pas de ceux-là et il attire l’attention sur les questions sociales et politiques plus larges contenues dans la crise croissante de l’économie capitaliste et de ses organes de décision.

Il a mis en garde contre la crise du changement climatique et la crise des inégalités.

Les inégalités n’étaient pas seulement un problème économique, c’était aussi un problème social et politique.
 

«Et vous commencez à obtenir de mauvais résultats parce qu’une plus grande partie de la population se sent aliénée, marginalisée. Et ensuite la prochaine chose dont vous vous rendez compte, c’est que vos problèmes économiques, y compris la réalité des plus vulnérables qui sont très, très exposés à tout choc, deviennent également sociaux et politiques.

Il a ensuite ajouté, peut-être pour se rassurer ou rassurer les autres: «Je pense qu’il y a aujourd’hui une plus grande prise de conscience du fait que nous devrions continuer à poursuivre le capitalisme, mais en gardant à l’esprit l’équité et la durabilité».

Bien entendu, les milieux dirigeants sont déterminés à «poursuivre le capitalisme» par toutes les méthodes brutales qu’ils jugent nécessaires. Mais ce sont précisément ces méthodes et la compréhension grandissante du fait qu’elles sont inhérentes au système de profit même qui conduisent à la montée de sentiments anticapitalistes et socialistes.

El-Erian a beau « garder à l’esprit » les inégalités, il n’a pu proposer aucune réponse pour y faire face et, en conclusion, il a insisté sur la nécessité de l’«espoir». Mais à mesure que la crise économique et géopolitique s’aggrave, les travailleurs ne vont pas essayer de s’en sortir « en espérant un miracle», ils vont de plus en plus se tourner vers l’action.

(Article paru en anglais le 10 novembre 2023)

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