Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Niger. Le trouble jeu des Etats-Unis. Etatsunafrique contre Françafrique ?

par SLT 13 Août 2023, 05:33 Tiani Bazoum Nuland Niger Coup d'Etat Etatsunafrique Cedeao Françafrique USA France Néocolonialisme Articles de Sam La Touch

Alors que le plus grand silence semble régner dans les médias français et francophones (hormis quelques très rares médias dits libres), de plus en plus d'informations sortent dans les médias anglosaxons [1-3] sur les liens entre la junte militaire nigérienne putchiste et les Etats-Unis.


Selon The Intercept, en date du 11.08.23 dans un article intitulé [1] "Au moins cinq membres de la junte nigérienne ont été formés par les États-Unis":

"Les États-Unis ont formé au moins cinq membres de la nouvelle junte au pouvoir au Niger, a appris The Intercept. Les États-Unis ont maintenant « interrompu » l’assistance à la sécurité de ce gouvernement dirigé par l’armée alors même qu’ils cherchent à intensifier cette aide au Burkina Faso, qui est dirigé par un officier militaire qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 2022...

La junte nigérienne, qui s’appelle le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, a pris le pouvoir le 26 juillet et arrêté le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Le commandant de la garde présidentielle, Gen. Abdourahmane Tchiani, également orthographié Tiani, s’est proclamé le nouveau chef du pays, tandis que Bazoum et sa famille restent « en résidence surveillée virtuelle », a déclaré cette semaine Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État étatsunienne aux affaires politiques et sous-secrétaire d’État par intérim. Nuland et d’autres responsables étatsuniens ont demandé à voir Bazoum en personne lors de leur visite au Niger lundi, mais ses ravisseurs ont refusé.

Les câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks montrent qu’un Lt. Cl. Abdourahmane Tiani a été sélectionné pour participer à un programme de bourses internationales de lutte contre le terrorisme d’un an à l’Université de la défense nationale de Washington, D.C., de 2009 à 2010. Pendant le week-end, un autre mutin nigérien, Gen. Mohamed Toumba a pris la parole devant une foule enthousiaste dans un stade de 30 000 places du nom de Seyni Kountche, qui a dirigé le premier coup d’État du Niger en 1974. « Nous sommes conscients de leur plan machiavélique », a-t-il dit, de ceux qui « complotent la subversion » contre « la marche du Niger ». Il y a cinq ans, M. Toumba s’est adressé à des officiers militaires étatsuniens et à des dignitaires africains lors de la cérémonie d’ouverture de Flintlock, le plus grand exercice annuel d’opérations spéciales antiterroristes du Commandement des États-Unis pour l’Afrique..."



Selon le Wall Street Journal [3] "Au coeur du coup d’État du Niger il y a l’un des généraux préférés des Etats-Unis" en date du 9.08.23 :
"Barmou est un gars que l’armée étatsunienne courtise depuis près de 30 ans. C’est un type que les États-Unis ont envoyé à la prestigieuse université de la défense nationale de Washington. C’est un gars qui a invité des officiers étatsuniens à dîner chez lui. C’est un responsable des forces d’élite qui sont essentielles pour endiguer le flot de combattants d’Al-Qaïda et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest.« Brig. Gen. Barmou », a déclaré un responsable de la défense des États-Unis il y a quelques mois à peine, « c’est la clé » Il peut encore l’être."
 

Les mutins, après avoir destitué le président démocratiquement élu, Bazoum, trop proche à leurs yeux des autorités françaises et européennes, ont réclamé le départ de l'armée française du Niger. Mais, paradoxalement, ils semblent avoir été beaucoup moins diserts sur la présence militaire étatsunienne au Niger. En effet, l'armée étatsunienne dispose d'au moins 500 1100 soldats* sur le sol nigérien (contre 1500 pour la France [4]) et de 6 bases militaires dont deux fixes (selon des documents US datant de 2019 [5]). Truthout [2] ne s'y est pas trompé et a titré "formé par les États-Unis, le leader du coup d’État veut mettre fin à la coopération militaire avec la France".

En 2017, il y avait déjà 5 bases militaires US au Niger (deux fixes et trois provisoires), 4 bases françaises et une base allemande selon le Grip [6]

Positionnement des bases militaires françaises et étatsuniennes au Niger selon le GRIP en 2017 [6]

Positionnement des bases militaires françaises et étatsuniennes au Niger selon le GRIP en 2017 [6]

De toute évidence, nous sommes en train d'assister à une refonte des alliances des pays du Sahel. Au Burkina Faso et au Mali, les militaires parvenus au pouvoir avaient bénéficié eux aussi de formations militaires aux Etats-Unis [1]

"À la suite de coups d’État militaires, la loi étatsunienne empêche généralement les pays de recevoir une aide militaire. Mais The Intercept a récemment constaté que l’aide à la sécurité parvenait toujours au Mali, même si ce pays est dirigé par un officier formé aux États-Unis qui a renversé le gouvernement précédent et ses militaires ont été impliqués dans le meurtre de civils. Des officiers militaires ont renversé deux fois le gouvernement du Burkina Faso en 2022, mais les États-Unis continuent de fournir une formation aux forces burkinabè, selon le général. Michael Langley, le chef du commandement de l’Afrique, ou AFRICOM. En avril, moins d’un mois après que Langley ait informé les membres du Comité des services armés de la Chambre des représentants du soutien continu, l’armée burkinabè aurait massacré au moins 156 civils, dont 45 enfants, dans le village de Karma. Langley s’est également opposé aux restrictions imposées à l’aide militaire étatsunienne à la suite de coups d’État." [1]

Si les mutins maliens et burkinabés ont dénoncé à juste titre la politique africaine de la France, ils n'ont pas eu, eux aussi, la même célérité envers les autorités étatsuniennes qui néocolonisent à grand pas l'Afrique depuis la chute de Kadhafi renversé par l'OTAN en 2011 sous le terrible triumvirat Sarkozy-Obama-Cameron [7-13]. Une politique d'ailleurs poursuivie par leurs successeurs au nom de la prétendue lutte contre le terrorisme [14]. Une politique qui n'a pas été courronnée de succès puisque le nombre de groupes djihadistes au Sahel a connu un bon de 400% (chiffres de 2019 [5]) depuis 2010 alors que les installations militaires étatsuniennes et l'occupation militaire française ont considérablement augmenté entre 2011 et 2019.

Officiellement, la position étatsunienne est solidaire de celle de la France mais Washington se montre plus nuancé que Paris. Alors que les autorités françaises soutiennent à tout crin une intervention militaire de la Cedeao (dont on rappelera les accointances néocoloniales [15-17]), les autorités étatsuniennes évoquent en premier lieu la piste diplomatique [18]. Lorsque ces dernières sont confrontées au fait que les mutins étaient formés militairement par le Département d'Etat US, elles se montrent embarrasées mais déclarent ne rien pouvoir faire en l'état.

"Lundi, Nuland a rencontré Barmou, mettant en garde le nouveau chef de la défense contre « le soutien économique et autres que nous devrons légalement couper si la démocratie n’est pas rétablie ». Barmou — que les commandos étatsuniens ont déjà aidé à mettre sur pied des unités mobiles spécialisées conçues pour cibler les groupes terroristes et les gangs criminels — était apparemment insensible. « Ils sont très fermes quant à la façon dont ils veulent procéder », a déclaré Mme Nuland, soulignant que « c’était difficile aujourd’hui, et je vais être franche à ce sujet. » "[1]

Selon Nick Turse [1] :
"L’année dernière, The Intercept a demandé à Mme Nuland ce que les États-Unis faisaient pour ralentir le défilé des officiers africains qui renversent les gouvernements que les États-Unis forment pour les protéger. « Nick, c’était un commentaire assez chargé que vous avez fait », a-t-elle répondu. « Certaines personnes impliquées dans ces coups d’État ont reçu une certaine formation aux États-Unis, mais loin de toutes. » Depuis, cinq autres agents formés aux États-Unis ont participé à des coups d’État. Selon The Intercept, au moins 14 agents formés aux États-Unis ont participé à des coups d’État en Afrique de l’Ouest depuis 2008."

Le discours officiel étatsunien via la parole de Mme Victoria Nuland (connu pour avoir soutenu le Maidan ukrainien contre le pouvoir démocratique de Ianoutchenko en Ukraine [19-20]) est effectivement que les Etats-Unis n'ont rien vu venir avec une condamnation formelle du coup d'état et un soutien à une éventuelle intervention de la Cedeao tout en soutenant les efforts diplomatiques.

Officieusement, la question reste à débattre. Ce qui semble de plus en plus évident est que des militaires formés en partie aux Etats-Unis renversent des pouvoirs démocratiques en brandissant un discours exclusivement dirigé contre l'ancienne puissance coloniale française et avec une grande indulgence envers leurs mentors étatsuniens. Y a-t-il une instrumentalisation du discours anti-Françafrique par des militaires auprès des populations remontées contre les actions iniques de la France en Afrique [21] pour légitimer leur coup d'Etat tout en renforçant leurs liens avec les impérialistes étatsuniens ? Il ne faudrait pas que l'Africain moyen devienne le dindon de la farce.

Quand à la menace de la Russafrique au regard de l'hégémonie occidentale en Afrique si elle semble bien réelle en Centrafrique, cela semble moins être le cas dans les pays du Sahel et notamment au Niger à l'heure actuelle. Si les services secrets français n'ont pas vu venir le coup d'Etat au Niger [22] qu'en est-il des services étatsuniens ?

Pour résumer nos questions :
Avons-nous affaire à une nouvelle révolution orange au détriment de la France (dans son pré-carré nigérien) ou bien les Etats-Unis ont été visiblement dépassés par la situation ? Les Russes un épouvantail brandit par les mutins ou bien une réelle menace pour l'hégémonie occidentale au Niger ?


A suivre...

*MAJ 17.08.23 :  Selon Scott Ritter, les Etats-Unis disposent d'au moins 1100 soldats sur le territoire nigérien. Source : Scott Ritter : The US is caught in a dilemma with Niger. (traduction française cliquer ici)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page