Anniversaires et pertes de mémoire
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Billets d'Afrique
Le 26 octobre, François Mitterrand aurait eu 100 ans : un anniversaire que s’est empressé de célébrer le pouvoir socialiste actuel, en mal de reconnaissance. Au Cameroun, il faudra attendre 2033 pour fêter les 100 bougies du dictateur Paul Biya : 2033, c’est seulement 2 ans avant l’émergence qu’il a promise à son pays, annoncée sans rire pour 2035. Mais dès ce 6 novembre, on a pu célébrer le 34ème anniversaire de son accession au pouvoir – seulement un an et demi après celle de Mitterrand en France –, lui qui disait ouvrir l’ère du « renouveau ». Un tiers de siècle plus tard, ce renouveau prend une fois de plus un visage macabre, aujourd’hui celui d’une catastrophe ferroviaire impliquant l’une des sociétés de son grand ami français Vincent Bolloré.
Le 3 novembre, l’Elysée aurait pu commémorer un autre anniversaire : celui de l’assassinat à Genève de Félix Moumié, empoisonné par un agent des services français. Mais ce leader indépendantiste, éliminé par la France comme son compagnon de lutte Ruben Um Nyobè deux ans plus tôt, n’a pas le droit à d’autres hommages que celui de quelques militants camerounais qui doivent, le plus souvent, autant se battre pour joindre les deux bouts que pour résister à un système politique pervers, où la corruption et la prime à l’incompétence remplacent le plus souvent la matraque. Cette dernière n’est jamais bien loin pour autant : pour preuve, une semaine après le « vendredi noir » de l’accident de train, une quarantaine de personnes ont été arrêtées à Yaoundé lors d’une conférence organisée par Sand up for Cameroun, mouvement dont les membres s’habillent depuis des mois en noir tous les vendredis, et appellent la population à faire de même pour exprimer leur rejet du système Biya. Mais le silence continue de s’imposer et, sans surprise, aucun officiel français n’a évoqué le souvenir de Félix Moumié : les quelques secrets qui entourent encore son élimination, comme tous ceux liés à la guerre d’indépendance du Cameroun, restent avec tous les autres cadavres de la Françafrique, dans le placard des archives classifiées.
Alors, avec le pouvoir socialiste actuel, rendons hommage au palmarès françafricain de François Mitterrand. Rappelons qu’avant même l’assassinat de Sankara ou la complicité de génocide au Rwanda, il fut le président français qui permit, en novembre 1982, qu’Ahmadou Ahidjo cède son fauteuil de dictateur à Paul Biya, aujourd’hui octogénaire qui a dû ouvrir une bonne bouteille à la mémoire du centenaire. Il faut dire que « Tonton » était déjà le ministre de la France d’outremer qui, à 34 ans, avait convaincu l’ambitieux leader ivoirien Félix Houphouët-Boigny d’abandonner le panafricanisme et les mouvements de luttes émancipatrices des autres pays, dont le Cameroun, pour se rallier à la France coloniale. Comme l’écrivaient en 2011 les auteurs de Kamerun ! : « Ce retournement discret, qui marquera l’avenir d’un continent, n’est le fait que de quelques hommes. "J’ai conduit ma politique en Afrique noire jusqu’à un seuil de non-retour grâce à l’indifférence des milieux métropolitains et à l’inattention générale", analysera Mitterrand quinze années plus tard » [1]. Un grand homme dont s’inspirent toujours les gouvernants actuels.
[1] Deltombe, T., Domergue, M., Tatsitsa, J. [2011] Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), La Découverte, Paris (page 132).
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